Cour d’appel de Paris, le 3 juillet 2025, n°20/06013

Par un arrêt du 3 juillet 2025, la Cour d’appel de Paris se prononce sur la validité d’un licenciement intervenu dans le sillage d’un contentieux portant sur la réaffectation d’un salarié. Engagé d’abord en contrat à durée déterminée, puis en contrat à durée indéterminée, l’intéressé avait été affecté successivement sur différents sites dans le cadre d’une clause de mobilité. Après la perte d’un marché, l’employeur a envisagé un transfert conventionnel refusé par l’entreprise entrante, puis une réaffectation interne, ce qui a nourri un différend persistant.

Par arrêt du 28 novembre 2017, la Cour d’appel de Versailles avait ordonné la remise d’un avenant contractuel, d’un planning mentionnant le site et les horaires, ainsi que la reprise du paiement des salaires. En décembre 2017, l’employeur a proposé une affectation de nuit sur un site aéroportuaire, invitant le salarié à prendre attache avec un responsable. Faute de présentation au poste malgré plusieurs mises en demeure, un licenciement pour faute grave a été notifié en février 2018. Par jugement du 31 juillet 2020, le conseil de prud’hommes de Bobigny a prononcé la nullité du licenciement, ordonné la réintégration sous astreinte et alloué des salaires. L’employeur a interjeté appel.

Devant la Cour d’appel de Paris, l’employeur soutenait la régularité de la réaffectation au regard de la clause de mobilité et l’objectivité des griefs. Le salarié invoquait l’atteinte au droit d’agir en justice au regard de la proximité temporelle avec l’arrêt antérieur, et contestait la loyauté de la mise en œuvre de la mobilité. La question portait sur la nullité éventuelle du licenciement au titre d’une liberté fondamentale, et, subsidiairement, sur l’existence d’une cause réelle et sérieuse au regard des modalités de la réaffectation et du refus opposé. La cour infirme la nullité mais retient l’absence de cause réelle et sérieuse, allouant 7 000 euros, confirmant au surplus l’irrecevabilité d’une demande de rappel antérieure et procédant à l’application des règles relatives aux intérêts et au remboursement des allocations de chômage.

I. Rejet de la nullité pour atteinte au droit d’agir en justice

A. Les balises probatoires et le contrôle du motif

La formation d’appel rappelle des principes directeurs qui gouvernent l’office du juge. « Tout licenciement, quel qu’il soit, doit être motivé par une cause réelle et sérieuse que le juge doit pouvoir apprécier. Le motif invoqué par l’employeur doit reposer sur des faits objectifs, précis et matériellement vérifiables. » Ce cadre recentre l’analyse sur la matérialité des faits et leur démonstration, loin des procès d’intention abstraits.

La motivation exige, selon la décision, une recherche effective de la cause. « Il y a lieu de rechercher la véritable cause du licenciement et ce, quels que soient les motifs mentionnés dans la lettre de licenciement. » Cette directive autorise l’exploration des circonstances de la réaffectation et des échanges antérieurs, afin d’apprécier si les griefs disciplinaires couvrent une réalité objective et étrangère à toute considération illicite.

B. De la présomption circonstancielle à sa réfutation

La cour refuse de déduire mécaniquement l’atteinte du seul chevauchement temporel. « Le seul fait qu’une action en justice exercée par le salarié soit contemporaine d’une mesure de licenciement ne fait pas présumer que celle-ci procède d’une atteinte à la liberté fondamentale d’agir en justice. » La concomitance ne suffit pas; une consistance probatoire est requise.

Elle constate cependant des éléments précis de contexte. « Cette donnée, ainsi que la grande proximité de temps entre l’arrêt de la cour d’appel de Versailles rendu le 28 novembre 2017 et la procédure de licenciement initiée le 24 janvier 2018, date de la convocation du salarié à un entretien préalable laissent présumer un licenciement illicite. » Surgit alors une présomption de fait, qui déplace la charge de la preuve vers l’employeur, tenu d’établir l’objectivité du motif invoqué.

L’employeur produit des éléments circonstanciés relatifs à la réaffectation et au refus persistant du poste, de sorte que la cour tranche sans ambiguïté. « Aucune violation d’une liberté fondamentale ne pouvant être constatée, le licenciement ne saurait être qualifié de nul. » L’angle des libertés fondamentales se referme, sans épuiser le contrôle sur la cause.

II. Absence de cause réelle et sérieuse en raison d’une mobilité déloyale

A. Les exigences de bonne foi dans la réaffectation

L’exclusion de la nullité ne scelle pas la légitimité du licenciement; encore faut-il caractériser une cause réelle et sérieuse au regard des obligations de bonne foi. La décision retient un manquement déterminant. « Par conséquent, comme relevé dans le jugement de première instance, la mise en oeuvre de la clause de mobilité et de l’affectation du salarié n’est pas démontrée comme faite de bonne foi. » La loyauté ne se présume pas; elle s’atteste par des modalités opérationnelles établies.

L’employeur n’établissait ni un planning détaillé, ni l’identification précise du poste, ni l’organisation d’un rendez-vous opérationnel avec accès sécurisé. L’exigence de bonne foi implique des informations claires, un lieu précisément désigné, des horaires répartis, et la fourniture des autorisations nécessaires, conditions minimales pour valider discipline et refus.

B. Conséquences indemnitaires et portée pratique

La conséquence logique est explicite. « En revanche, ledit licenciement intervenu dans ces conditions, fondé sur le refus du salarié de sa nouvelle affectation, alors que la clause de mobilité et la réaffectation de ce dernier au sein des effectifs de l’entreprise n’avaient pas été mises en ’uvre de bonne foi, est dépourvu de cause réelle et sérieuse. » L’édifice disciplinaire s’effondre faute de socle probatoire loyal.

Le quantum de 7 000 euros est arrêté en considération de l’âge, de l’ancienneté, du salaire et des justificatifs, dans le cadre normatif applicable. La cour rappelle enfin le régime des intérêts: « Conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du Code civil et R.1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal courent sur les créances indemnitaires à compter de la décision qui les fixe. » S’y ajoute le remboursement des allocations de chômage dans la limite légale, garantissant l’effectivité de la sanction et le rétablissement des équilibres.

L’arrêt opère ainsi une dissociation nette entre la protection du droit d’ester et le contrôle de la cause, tout en fixant des standards concrets de bonne foi en matière de mobilité. L’employeur doit instruire la réaffectation avec précision et diligence; à défaut, le refus du salarié ne peut fonder une rupture valable.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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