Cour d’appel de Paris, le 3 juillet 2025, n°23/04150

La cour d’appel de Paris, 3 juillet 2025, statue sur l’évaluation et l’imputation des postes de préjudice corporel ainsi que sur la pénalité d’intérêts de l’article L. 211-13 du code des assurances. L’affaire naît d’un accident de 2016 impliquant un véhicule assuré, pris en charge au titre des accidents du travail et suivi d’une expertise judiciaire consolidant l’état en 2018. Par jugement du 7 février 2023, le tribunal judiciaire de Paris a fixé plusieurs postes, imputé la rente d’accident du travail sur le déficit fonctionnel permanent, et limité le doublement des intérêts à une période restreinte. La victime et sa compagne relèvent appel sur l’imputation du déficit fonctionnel permanent, l’étendue et la durée de la pénalité d’intérêts, ainsi que l’indemnisation des préjudices par ricochet. La question porte sur l’articulation, après l’Assemblée plénière du 20 janvier 2023, entre la rente d’accident du travail et le déficit fonctionnel permanent, et, corrélativement, sur l’assiette, le point de départ et le terme de la sanction de l’article L. 211-13. La cour retient l’exclusion d’imputation de la rente sur le déficit fonctionnel permanent, fixe ce poste à 53 000 euros, étend la pénalité d’intérêts à compter du 21 novembre 2016, et revalorise les préjudices d’affection et de troubles dans les conditions d’existence du proche.

I — L’exclusion d’imputation de la rente d’accident du travail sur le déficit fonctionnel permanent

A — La consécration du principe et son ancrage normatif

La cour rappelle la finalité du déficit fonctionnel permanent, par une définition claire du poste: « Ce poste de préjudice vise à indemniser, pour la période postérieure à la consolidation, les atteintes aux fonctions physiologiques, les souffrances chroniques, la perte de la qualité de vie et les troubles ressentis par la victime dans ses conditions d’existence personnelles, familiales et sociales. » La distinction entre sphère personnelle et sphère professionnelle fonde l’absence d’imputation de la rente d’accident du travail sur ce poste.

La motivation s’aligne sur la jurisprudence de l’Assemblée plénière et en reprend l’économie: « En effet, eu égard à sa finalité de réparation d’une incapacité permanente de travail, qui lui est assignée à l’article L. 431-1 du code de la sécurité sociale, et à son mode de calcul, en fonction du salaire de référence défini à l’article L 434-2 du même code, la rente d’accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l’accident, c’est-à-dire ses pertes de gains professionnels futurs et l’incidence professionnelle de l’incapacité et que dès lors cette prestation ne saurait être imputée sur le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent qu’elle n’a pas vocation à réparer (Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 21-23.947 et Ass. plén., 20 janvier 2023, pourvoi n° 20-23.673, publiés). » L’arrêt applique ainsi le revirement en confirmant la logique de la nomenclature des chefs de préjudice.

B — L’évaluation concrète et l’écart aux méthodes abstraites

Sur la base des séquelles relevées par l’expertise, la cour refuse la capitalisation par une base journalière et écarte la valeur unique du point. Elle motive un quantum individualisé à partir des douleurs persistantes et des troubles de la vie ordinaire. Elle énonce que « il convient d’évaluer ce poste de préjudice à la somme de 53 000 euros sans qu’il y ait lieu de se référer à un point abstrait d’incapacité ou à une base journalière d’indemnisation comme pour l’évaluation du déficit fonctionnel temporaire. » Cette préférence pour l’individualisation s’inscrit dans une tendance récente, pragmatique, attentive aux circonstances.

La solution présente une cohérence méthodologique: l’exclusion d’imputation vaut pleine restitution du déficit fonctionnel permanent à la victime, tandis que l’évaluation retient une appréciation globale et motivée. L’articulation avec les postes professionnels demeure nette, conformément au principe rappelé par l’Assemblée plénière.

II — La pénalité d’intérêts et les préjudices par ricochet du proche

A — Assiette, point de départ et terme du doublement des intérêts

La cour reproduit les termes du mécanisme légal et en précise la portée cumulative. Elle rappelle d’abord le principe: « A défaut d’offre dans les délais impartis, étant précisé que le délai applicable est celui qui est le plus favorable à la victime, le montant de l’indemnité offerte par l’assureur ou allouée par le juge, produit intérêt de plein droit au double du taux de l’intérêt légal, en vertu de l’article L.211-13 du même code, à compter de l’expiration du délai et jusqu’au jour de l’offre ou du jugement devenu définitif. Cette pénalité peut être réduite par le juge en raison de circonstances non imputables à l’assureur. » Elle ajoute ensuite une précision décisive sur l’assiette et le terme: « Il convient de rappeler, à titre liminaire, qu’il résulte de ces textes, d’une part, qu’une pénalité dont l’assiette est fixée à la totalité des sommes allouées par le juge ne peut avoir pour terme que la date de la décision devenue définitive, d’autre part, que lorsque l’offre d’indemnité est tenue pour complète et suffisante par le juge et que sa date est retenue pour terme de la sanction, son montant, avant déduction de la créance des tiers payeurs et des provisions versées, constitue l’assiette de la sanction. »

Sur les faits, l’absence d’offre provisionnelle complète dans les huit mois déclenche la pénalité dès le 21 novembre 2016. Les lettres non recommandées ne prouvent pas l’envoi effectif, et leur contenu incomplet équivaut à une absence d’offre. La cour retient donc une assiette calée sur les indemnités judiciaires, avant imputation des tiers payeurs et avant déduction des provisions, avec un terme fixé au jugement puis à l’arrêt devenu définitif selon les chefs. La solution harmonise rigueur probatoire et finalité incitative du dispositif.

B — Préjudice d’affection et troubles dans les conditions d’existence

S’agissant du proche, la cour rappelle un critère dégagé par la jurisprudence récente, qui affranchit l’indemnisation de deux conditions souvent discutées. Elle énonce que « le préjudice d’affection subi par les proches de la victime directe à la vue de ses souffrances et séquelles n’est subordonné ni à une cohabitation effective ni à la gravité du handicap. » L’existence d’un lien d’affection continu, la reprise de la vie commune et la chronologie des événements suffisent ici à établir le dommage moral autonome.

Les troubles dans les conditions d’existence sont caractérisés par la charge concrète prise au chevet et dans la gestion du quotidien, y compris le remplacement effectif au sein de l’activité de la victime pendant la convalescence. La cour indemnise de manière mesurée, distinguant la période d’aide et de suppléance des périodes postérieures, sans faire peser la séparation temporaire sur l’accident faute de preuve. Le quantum retenu, de 4 000 euros pour l’affection et de 5 000 euros pour les troubles, reflète l’exigence d’un préjudice certain, direct et objectivé, en adéquation avec les éléments produits et sans dérive réparatrice.

Par cet arrêt, la cour d’appel de Paris ordonne une mise en cohérence précise des postes de préjudice avec leur finalité propre et assure l’effectivité de la sanction d’offre tardive. L’ensemble consolide la lisibilité des indemnisations, en maintenant une frontière nette entre sphères professionnelle et personnelle et en garantissant, par la pénalité, une diligence effective de l’assureur.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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