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La rémunération des chauffeurs de taxi parisiens obéit à un régime juridique hybride, combinant un salaire fixe journalier et une quote-part de la recette réalisée. Ce mode de calcul, encadré par la convention collective et des arrêtés préfectoraux successifs, soulève régulièrement des contentieux relatifs à la détermination du temps de travail effectif et à son articulation avec les sommes versées au salarié.
Un chauffeur de taxi a été engagé par contrat à durée indéterminée le 3 octobre 2019. Il a démissionné le 19 novembre suivant. Le 15 novembre 2021, il a saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin d’obtenir des arriérés de salaires pour la période courant d’octobre 2019 à mai 2021, une indemnité pour travail dissimulé ainsi que la remise de bulletins de paie conformes.
Par jugement du 29 août 2023, le conseil de prud’hommes a déclaré la requête introductive d’instance recevable mais a débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes. L’employeur a été débouté de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le salarié a interjeté appel le 6 octobre 2023. Il sollicitait la condamnation de l’employeur au paiement de 19 019 euros d’arriérés de salaires, de 10 291 euros d’indemnité pour travail dissimulé et la remise de bulletins conformes sous astreinte. L’employeur formait un appel incident, invoquant l’irrecevabilité de la requête initiale pour défaut d’exposé sommaire des motifs et défaut de qualité à agir. Sur le fond, il concluait à la confirmation du débouté.
Deux questions se posaient à la cour d’appel de Paris. D’une part, une requête prud’homale signée par l’avocat en lieu et place du salarié et ne comportant pas d’attestation sur l’honneur est-elle recevable? D’autre part, comment établir le temps de travail effectif d’un chauffeur de taxi lorsque l’employeur ne produit pas d’éléments objectifs pour corroborer les mentions figurant sur les bulletins de salaire?
Par arrêt du 3 juillet 2025, la cour d’appel de Paris a infirmé partiellement le jugement. Elle a confirmé la recevabilité de la requête et le rejet de la demande d’indemnité pour travail dissimulé. Elle a condamné l’employeur à verser 2 115,20 euros de rappel de salaire et ordonné la remise d’un bulletin récapitulatif conforme.
L’arrêt illustre la souplesse procédurale reconnue devant la juridiction prud’homale tout en rappelant les exigences probatoires respectives des parties en matière de durée du travail. La cour confirme d’abord la validité d’une requête formée par avocat malgré ses irrégularités formelles (I), puis elle applique le mécanisme probatoire propre au contentieux du temps de travail pour accueillir partiellement la demande de rappel de salaire (II).
I. La recevabilité de la requête prud’homale malgré les irrégularités formelles
La cour écarte la fin de non-recevoir en retenant une conception finaliste des exigences procédurales. Elle examine successivement la régularité de la représentation par avocat (A) puis l’absence de grief causé par les irrégularités invoquées (B).
A. La validité de la représentation par avocat sans formalisme particulier
L’employeur soutenait qu’un avocat ne pouvait signer seul un formulaire Cerfa destiné au salarié et que l’absence de signature de l’attestation sur l’honneur rendait la saisine irrecevable pour défaut de qualité à agir.
La cour rappelle les articles R.1453-1 alinéa 2 et R.1453-2 du code du travail selon lesquels les parties peuvent se faire représenter par un avocat « qui n’a pas à justifier d’un pouvoir spécial ». Elle relève que « la requête a été renseignée par Me [P] en lieu et place du salarié » et que « la rubrique assistance ou représentation porte le nom, l’adresse de Me [P] ainsi que son cachet ». Elle constate également que « la requête porte la signature de Me [P] » et qu’« il n’est pas contesté par la société employeur que Me [P], avocat, était dûment mandaté afin de représenter son client ».
Cette solution s’inscrit dans la tradition de simplicité procédurale propre au contentieux prud’homal. Le formulaire Cerfa, conçu pour faciliter l’accès direct du salarié à la justice, n’exclut pas l’intervention d’un représentant. L’essentiel réside dans la réalité du mandat et non dans le respect d’un formalisme inadapté à la représentation par avocat.
La cour adopte ainsi une lecture pragmatique des textes. Elle privilégie la substance sur la forme et refuse de sanctionner l’utilisation d’un formulaire type par un professionnel du droit dûment mandaté.
B. L’exigence d’un grief pour prononcer la nullité d’un acte de procédure
L’employeur invoquait également l’absence d’exposé sommaire des motifs dans la requête elle-même. La cour rappelle l’article 114 du code de procédure civile selon lequel « la nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour l’adversaire qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité, même lorsqu’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public ».
Elle relève que la requête faisait « mention de l’identité du demandeur, de son adversaire, de la créance salariale réclamée, de la période concernée, des prétentions chiffrées » et qu’elle faisait « référence à une note et à des pièces jointes ». Le document censé être joint ne l’était pas initialement mais « il n’est pas contesté qu’il a été transmis par le greffe lors de la convocation de l’employeur ».
La cour conclut que « la société intimée n’établit pas, ni même ne soutient que la requête ne lui a pas permis de connaître l’auteur et l’objet de l’action, et ne démontre pas en tout état de cause l’existence d’un grief ». Elle précise que les irrégularités ne l’ont « pas empêchée d’organiser sa défense et de répondre utilement aux arguments ».
Cette exigence du grief, constante en droit processuel, prend un relief particulier devant le conseil de prud’hommes. La juridiction sociale a vocation à trancher les litiges sur le fond plutôt qu’à sanctionner des manquements formels sans incidence sur les droits de la défense.
II. L’application du régime probatoire du temps de travail au contentieux salarial des chauffeurs de taxi
La cour accueille partiellement la demande de rappel de salaire en faisant application du mécanisme probatoire prévu par l’article L. 3171-4 du code du travail. Elle examine d’abord la suffisance des éléments présentés par le salarié (A) puis elle constate la carence probatoire de l’employeur pour liquider la créance (B).
A. La présentation d’éléments suffisamment précis par le salarié
Le salarié soutenait que l’employeur n’avait respecté ni la réglementation du taxi ni celle relative au SMIC. Il invoquait son contrat de travail stipulant une durée mensuelle de 153 heures et les articles 15 et 16 de la convention collective des taxis parisiens prévoyant une durée journalière de 6 heures 40 minutes.
La cour rappelle qu’en vertu de l’article L. 3171-4 du code du travail « il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement ».
Elle relève que « le salarié indique dans ses conclusions avoir travaillé 153,33 heures par mois, conformément aux stipulations contractuelles, sans avoir perçu la rémunération correspondant à cette durée ». La cour en déduit que « l’intéressé présente, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis sur le temps de travail qu’il prétend avoir accompli pour permettre à l’employeur d’y répondre utilement ».
Cette appréciation tient compte de la spécificité du secteur. Le contrat de travail et la convention collective constituent des références objectives permettant au salarié d’étayer sa demande sans avoir à produire un décompte quotidien détaillé. La charge initiale est ainsi satisfaite par la référence aux stipulations contractuelles.
B. La carence de l’employeur dans la justification du temps de travail effectif
L’employeur opposait que la durée maximale d’utilisation du taxi ne pouvait être confondue avec le temps de travail effectif. Il invoquait l’autonomie du chauffeur et la réglementation préfectorale fixant la répartition de la recette.
La cour admet que « les plages horaires pendant lesquelles le véhicule est à la disposition du salarié ne peuvent être confondues avec le temps de travail effectif, eu égard à la grande autonomie du chauffeur de taxi ». Elle reconnaît que « le temps de travail se limite au temps de conduite et au temps d’attente des clients ».
Cependant elle constate que « les bulletins de salaire mentionnent un chiffre d’affaires ainsi qu’un nombre d’heures payées, sans toutefois que soit produit d’élément objectif pour les corroborer ». Elle relève que « la société ne produit pas les documents internes permettant de dire que le calcul du salaire a été exact, conformément au temps de travail effectif et au pourcentage de recettes faites ».
La cour en conclut qu’« à défaut d’éléments sur la durée du travail effectif réalisé, il convient d’accueillir en son principe la demande de rappel de salaire ». Elle liquide la créance à hauteur de 2 115,20 euros « au vu des éléments versés aux débats, sans qu’une expertise soit nécessaire ».
Cette solution rappelle que l’employeur, qui « assure le contrôle des heures de travail effectuées », doit être en mesure de produire des justificatifs. L’absence de tels éléments, fussent-ils adaptés au mode de rémunération particulier des chauffeurs de taxi, ne saurait profiter à celui sur qui pèse l’obligation de contrôle et de documentation du temps de travail.