Cour d’appel de Paris, le 3 juillet 2025, n°24/00504

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 3 juillet 2025, statue sur un litige relatif à un crédit à la consommation. Elle confirme pour l’essentiel la décision du juge des contentieux de la protection du 16 mai 2023, tout en modifiant le point de départ des intérêts au taux légal.

Un établissement de crédit avait consenti le 16 décembre 2017 à deux époux un prêt personnel de 20 000 euros remboursable en 84 mensualités au taux nominal de 5,89 %. Les emprunteurs furent déclarés recevables au bénéfice d’une procédure de surendettement le 8 décembre 2020, avant de se désister le 12 mai 2021. Face aux impayés persistants, le prêteur entendit se prévaloir de la déchéance du terme et assigna les emprunteurs en paiement le 8 novembre 2022. Le premier juge prononça la résolution judiciaire du contrat, la déchéance du droit aux intérêts contractuels, et condamna solidairement les emprunteurs au paiement de 8 835,98 euros avec intérêts au taux légal non majoré. L’établissement de crédit interjeta appel.

La Cour devait répondre à plusieurs questions. La déchéance du droit aux intérêts contractuels pouvait-elle être soulevée d’office par le juge au-delà du délai de prescription quinquennale ? Le prêteur avait-il satisfait aux exigences d’information précontractuelle relatives au TAEG ? La majoration du taux légal devait-elle être écartée ?

La Cour d’appel de Paris écarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription et confirme la déchéance du droit aux intérêts. Elle juge que « la prescription est sans effet sur l’invocation d’un moyen qui tend non pas à l’octroi d’un avantage, mais seulement à mettre en échec une prétention adverse ». Elle confirme également l’exclusion de la majoration du taux légal au motif que celle-ci priverait la sanction de son efficacité.

Cette décision mérite examen tant sur le régime de la déchéance du droit aux intérêts (I) que sur l’effectivité de cette sanction à l’égard du prêteur défaillant (II).

I. Le régime de la déchéance du droit aux intérêts contractuels

La Cour précise les conditions dans lesquelles la déchéance peut être invoquée, en distinguant son régime procédural (A) de ses conditions substantielles (B).

A. L’imprescriptibilité du moyen de défense

L’établissement de crédit soutenait que le juge ne pouvait soulever d’office la déchéance du droit aux intérêts le 21 mars 2023, la prescription quinquennale ayant commencé à courir à la date d’acceptation de l’offre, soit le 16 décembre 2017.

La Cour rejette cette argumentation par une distinction fondamentale entre action et exception. Elle énonce que « défendant à une action en paiement du solde d’un crédit à la consommation, l’emprunteur peut opposer tout moyen tendant à faire rejeter tout ou partie des prétentions du créancier par application d’une disposition du code de la consommation prévoyant la déchéance du droit aux intérêts, sans se voir opposer la prescription, pour autant qu’il n’entende pas en obtenir un autre avantage tel le remboursement d’intérêts indûment acquittés ».

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence de la Cour de cassation qui distingue l’exception, moyen de défense imprescriptible, de l’action tendant à obtenir un avantage positif. La Cour rappelle que « le moyen soulevé d’office par le premier juge et susceptible de priver le prêteur de son droit aux intérêts contractuels, n’a pas pour effet de conférer à l’emprunteur un avantage autre qu’une minoration de la créance dont la banque poursuit le paiement ». La solution protège efficacement le consommateur qui, face à une action en paiement tardive, conserve la faculté d’invoquer les manquements du prêteur à ses obligations d’information.

B. L’exigence de transparence dans la mention du TAEG

Sur le fond, la Cour examine la conformité des documents contractuels aux exigences légales. L’article R. 312-10 du code de la consommation impose que l’encadré mentionne « le taux annuel effectif global et le montant total dû par l’emprunteur » et précise que « toutes les hypothèses utilisées pour calculer ce taux sont mentionnées ».

Le prêteur arguait que pour un crédit à taux fixe, « il n’existe qu’une hypothèse » et que « le TAEG est lui-même fixe et résulte des conditions d’octroi du crédit ». La Cour reconnaît partiellement ce raisonnement mais relève une lacune décisive : « même les éléments de cette hypothèse unique ne figurent ni dans l’encadré ni dans la FIPEN » et « il n’est toutefois pas précisé le délai de la première échéance après le décaissement alors que ceci influe sur le calcul du TAEG ».

Cette exigence de précision, qui peut paraître formaliste, répond à l’objectif de transparence poursuivi par le droit de la consommation. Le délai entre le décaissement et la première échéance affecte mathématiquement le TAEG réel supporté par l’emprunteur. L’omission de cette donnée, même pour un crédit à taux fixe, caractérise un manquement aux obligations d’information précontractuelle justifiant la déchéance du droit aux intérêts.

II. L’effectivité de la sanction prononcée à l’encontre du prêteur

La Cour veille à ce que la déchéance du droit aux intérêts constitue une sanction réellement dissuasive, tant dans ses conséquences pécuniaires (A) que dans la détermination des accessoires de la créance (B).

A. L’exclusion de la majoration du taux légal

La question de l’application de la majoration de cinq points prévue par l’article L. 313-3 du code monétaire et financier se pose avec acuité. Le prêteur soutenait que « seul le juge de l’exécution a le pouvoir de supprimer la majoration de 5 points car cette question relève de l’exécution ».

La Cour écarte cet argument en affirmant sa compétence et en se fondant sur la jurisprudence européenne. Elle rappelle que « ces dispositions légales doivent cependant être écartées s’il en résulte pour le prêteur la perception de montants équivalents ou proches de ceux qu’il aurait perçus si la déchéance du droit aux intérêts n’avait pas été prononcée ». Elle se réfère expressément à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 27 mars 2014 (affaire C-565/12) qui exige que la sanction conserve « ses caractères de dissuasion et d’efficacité ».

En l’espèce, le taux contractuel s’élevait à 5,89 %. La Cour observe que « les montants susceptibles d’être effectivement perçus par le prêteur au titre des intérêts au taux légal significativement inférieurs à ce taux conventionnel ne le seraient plus si ce taux devait être majoré de cinq points ». La majoration aurait conduit à un taux supérieur au taux contractuel, vidant la sanction de sa substance.

B. La détermination du point de départ des intérêts

La Cour modifie cependant le point de départ des intérêts au taux légal. Le premier juge l’avait fixé au 16 septembre 2022, date de la mise en demeure. La Cour d’appel retient le 16 mai 2023, date du jugement ayant prononcé la résolution.

Cette modification s’explique par la cohérence du raisonnement juridique. Dès lors que la déchéance du terme invoquée par le prêteur est jugée irrégulière et que seule la résolution judiciaire est prononcée, c’est cette dernière qui cristallise la créance. Les intérêts moratoires ne peuvent courir qu’à compter de la décision qui constate l’exigibilité de la dette.

Cette solution, favorable aux emprunteurs sur ce point particulier, illustre la rigueur avec laquelle les juridictions contrôlent la régularité des procédures de recouvrement. Le prêteur qui a manqué à ses obligations d’information ne saurait bénéficier d’une déchéance du terme qu’il a lui-même irrégulièrement prononcée.

La décision commentée confirme l’attention portée par les juridictions à l’effectivité des sanctions du droit de la consommation. Elle rappelle aux établissements de crédit que le formalisme informatif n’est pas une simple contrainte administrative mais une garantie substantielle dont la méconnaissance emporte des conséquences financières significatives.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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