Cour d’appel de Paris, le 3 juillet 2025, n°24/11574

Par un arrêt du 3 juillet 2025, la cour d’appel de Paris, statuant sur l’appel d’une ordonnance du juge-commissaire, infirme la décision de rejet d’une créance déclarée au passif d’une procédure de liquidation judiciaire et procède à son admission partielle, après avoir réduit à un euro une clause pénale prévoyant une indemnité en cas d’ordre ou de distribution.

Une société exerçant dans le secteur de la fabrication de vêtements a fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire ouverte par jugement du tribunal de commerce de Paris le 8 novembre 2022. Un établissement bancaire a déclaré sa créance, au titre d’un prêt, pour un montant de 173 489,29 euros à titre privilégié. Cette créance a été admise sans contestation par ordonnance du 7 décembre 2023. Entre-temps, le 1er janvier 2023, cet établissement a été absorbé par une autre banque par voie de fusion-absorption. La procédure de redressement a été convertie en liquidation judiciaire le 3 janvier 2023. La banque absorbante a alors adressé, le 17 janvier 2023, une nouvelle déclaration de créance pour un montant actualisé de 198 361,96 euros, incluant notamment une indemnité d’exigibilité de 3 % et une indemnité en cas d’ordre ou de distribution de 5 %. Le liquidateur a contesté cette créance, estimant qu’elle faisait double emploi avec la déclaration initiale. Par ordonnance du 4 juin 2024, le juge-commissaire a rejeté en totalité la créance, considérant que la banque n’avait pas répondu à la contestation dans le délai légal de trente jours.

La banque a interjeté appel. Elle soutient avoir répondu à la contestation du liquidateur par courrier recommandé du 6 octobre 2023, réceptionné le 11 octobre suivant, soit dans le délai imparti. Elle reproche au juge-commissaire d’avoir rejeté sa créance sans l’avoir préalablement convoquée. Le liquidateur accepte de reconnaître que la réponse a été adressée dans les délais mais demande la réduction de l’indemnité en cas d’ordre ou de distribution, qu’il qualifie de clause pénale manifestement excessive.

La question posée à la cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si le juge-commissaire pouvait rejeter une créance pour défaut de réponse à la contestation lorsque le créancier établit avoir répondu dans le délai légal. Il convenait ensuite de rechercher si une indemnité forfaitaire en cas d’ordre ou de distribution, prévue par le contrat de prêt, constitue une clause pénale susceptible d’être réduite par le juge.

La cour infirme l’ordonnance. Elle constate que la banque a répondu à la contestation dans le délai de trente jours prévu par l’article L. 622-27 du code de commerce, de sorte que le rejet de la créance pour ce motif était erroné. Sur le montant de l’admission, elle retient que l’indemnité en cas d’ordre ou de distribution constitue une clause pénale au sens de l’article 1231-5 du code civil. Elle relève que le contrat prévoyait déjà une indemnité d’exigibilité anticipée de 3 % ainsi que des intérêts de retard majorés. L’ajout d’une indemnité forfaitaire de 5 % apparaît dès lors « manifestement excessif ». La cour réduit cette indemnité à un euro et admet la créance pour le surplus.

La procédure de vérification des créances et le pouvoir de modération du juge sur les clauses pénales en matière de procédures collectives méritent un examen approfondi. Le respect du contradictoire dans la contestation des créances constitue une garantie fondamentale pour le créancier (I). La qualification de clause pénale et son contrôle judiciaire révèlent l’équilibre recherché entre liberté contractuelle et protection contre les stipulations excessives (II).

I. Le respect du contradictoire dans la procédure de vérification des créances

Le mécanisme de contestation des créances repose sur un dialogue organisé entre le mandataire judiciaire et le créancier (A). Le non-respect de ce processus par le juge-commissaire constitue une irrégularité substantielle (B).

A. L’exigence d’un dialogue préalable à toute décision sur la créance

L’article L. 622-27 du code de commerce organise la procédure de contestation des créances déclarées. Lorsqu’une discussion s’élève sur tout ou partie d’une créance, le mandataire judiciaire « en avise le créancier intéressé en l’invitant à faire connaître ses explications ». Ce texte institue un délai de trente jours pour répondre. Le défaut de réponse dans ce délai interdit toute contestation ultérieure de la proposition du mandataire.

En l’espèce, la cour constate que « la Société Générale a répondu à la contestation le 6 octobre 2023, c’est-à-dire dans le délai de 30 jours imparti par la loi ». La banque avait adressé un courrier recommandé avec accusé de réception, réceptionné par le liquidateur le 11 octobre. Le liquidateur lui-même « indique accepter de considérer que la lettre de réponse à contestation du 6 octobre 2023 et l’accusé de réception y afférent versés aux débats font foi ».

Le dispositif légal vise à garantir que le créancier puisse faire valoir ses arguments avant toute décision sur sa créance. Le délai de trente jours constitue un délai préfix dont le respect s’apprécie à la date d’envoi de la réponse. Cette procédure précontentieuse permet au juge-commissaire de disposer des éléments nécessaires pour statuer en connaissance de cause.

B. La sanction de l’omission du contradictoire

Le juge-commissaire avait rejeté la créance « pour défaut de réponse à la contestation ». Cette motivation reposait sur une erreur factuelle puisque la banque avait effectivement répondu dans les délais. La cour relève que « c’est à tort que le juge-commissaire a rejeté sa créance pour défaut de réponse à la contestation ».

La banque reprochait également au juge-commissaire de l’avoir privée d’une convocation à une audience contradictoire. Sans se prononcer expressément sur ce grief, la cour infirme l’ordonnance. La solution s’impose dès lors que le motif de rejet retenu par le premier juge était inexact. Le créancier qui justifie avoir répondu dans le délai légal ne peut voir sa créance rejetée sur ce fondement.

Cette solution illustre l’importance du contradictoire dans la procédure de vérification du passif. Le rejet d’une créance emporte des conséquences patrimoniales considérables pour le créancier. La rigueur procédurale s’impose tant au mandataire qu’au juge-commissaire. L’erreur commise en première instance justifie l’infirmation et l’examen au fond de la demande d’admission.

II. Le contrôle judiciaire des clauses pénales dans les contrats de prêt

La qualification de clause pénale s’étend aux stipulations prévoyant une indemnité forfaitaire en cas de recouvrement forcé (A). Le pouvoir de modération du juge permet de sanctionner le caractère manifestement excessif du cumul de pénalités contractuelles (B).

A. La qualification de clause pénale appliquée à l’indemnité de production

Le contrat de prêt litigieux prévoyait, en son article 9, une « indemnité en cas d’ordre ou de distribution » ainsi libellée : « Dans le cas où le Prêteur produirait à un ordre ou à une distribution judiciaire pour arriver au recouvrement de sa créance, il aurait droit à une indemnité fixée à forfait à 5% du montant de la somme en principal, intérêts et accessoires pour lequel il aurait produit ».

La cour retient que cette stipulation « constitue une clause pénale ». Cette qualification n’est pas contestée par les parties. Elle s’inscrit dans une jurisprudence constante qui assimile à la clause pénale toute stipulation conventionnelle prévoyant une indemnité forfaitaire destinée à réparer le préjudice né de l’inexécution contractuelle ou à contraindre le débiteur à exécuter.

L’indemnité de production vise à compenser les frais et diligences exposés par le créancier contraint de participer à une procédure de distribution. Son caractère forfaitaire et automatique, déclenché par la seule participation à un ordre, justifie sa qualification de clause pénale soumise au pouvoir de modération du juge.

B. La réduction de la pénalité manifestement excessive

L’article 1231-5 du code civil confère au juge le pouvoir de « modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire ». La cour fait application de ce texte en constatant que « le contrat prévoit également une indemnité d’exigibilité anticipée équivalente à 3% des sommes dues d’un montant de 5.204,68 euros, qui s’analyse en une clause pénale, ainsi que des intérêts de retard majorés qui ne sont pas contestés ».

Le cumul de ces différentes pénalités fonde le caractère manifestement excessif de l’indemnité de production. La cour relève qu’« ajouter une indemnité forfaitaire de 5 % en cas d’ordre ou de distribution, qui constitue une autre clause pénale, apparaît manifestement excessif ». Elle réduit cette indemnité « à un euro ».

Cette solution témoigne d’un contrôle rigoureux des stipulations contractuelles en matière de crédit. Le juge examine l’économie globale des sanctions contractuelles prévues en cas de défaillance du débiteur. La réduction à un euro symbolique neutralise la clause tout en préservant formellement son existence. Cette technique permet d’admettre la créance au passif pour un montant correspondant à la réalité du préjudice du créancier, sans lui accorder le bénéfice d’une pénalité disproportionnée.

La portée de cet arrêt réside dans l’appréciation concrète du caractère excessif. Le juge ne se borne pas à examiner isolément chaque clause. Il apprécie le cumul des différentes pénalités stipulées au contrat. La combinaison d’intérêts de retard majorés, d’une indemnité d’exigibilité de 3 % et d’une indemnité de production de 5 % excède ce qui peut être admis. Cette approche globale du contrôle des clauses pénales renforce la protection du débiteur en difficulté dans le cadre des procédures collectives.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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