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Par arrêt du 3 juillet 2025, la Cour d’appel de Paris (pôle 1, chambre 2) a infirmé une ordonnance de référé ayant déclaré irrecevable l’action du représentant de la masse des obligataires. Le litige portait d’une part sur la qualité pour agir de ce représentant après une consultation écrite, d’autre part sur l’octroi de provisions au titre du principal et des accessoires d’une émission obligataire.
Les faits utiles tiennent à une émission obligataire conclue en 2020 pour refinancer une opération immobilière, assortie de coupons mensuels, d’une pénalité de retard et d’une clause de majoration du taux en cas d’incident. Des impayés de coupons sont apparus en 2023 et une mise en demeure a été adressée en mai 2023, alors qu’un solde de principal restait dû.
Saisi en référé, le président du tribunal de commerce de Paris a retenu l’irrecevabilité de l’action du représentant de la masse, faute d’autorisation prétendument donnée en assemblée générale. En appel, l’appelante a produit le contrat d’émission prévoyant la consultation écrite et un procès-verbal de consultation électronique tenu fin février-début mars 2024, soutenant la régularisation de la fin de non‑recevoir et l’absence de contestation sérieuse sur le principal et les intérêts. L’intimée a contesté la portée de la consultation et la lisibilité des clauses relatives aux pénalités et à la majoration.
La question juridique se concentrait d’abord sur l’articulation des articles L. 228‑54 et L. 228‑46‑1 du code de commerce, quant à la qualité pour agir du représentant de la masse, puis sur l’office du juge des référés au regard de l’article 873 du code de procédure civile face à des clauses financières discutées. La cour a déclaré l’action recevable, alloué des provisions sur le principal et les intérêts échus, et dit n’y avoir lieu à référé pour le surplus.
I. La validation de la qualité pour agir du représentant de la masse après consultation écrite
A. Le cadre normatif et l’appui jurisprudentiel
Au soutien de la recevabilité, la cour rappelle le principe de l’article L. 228‑54 du code de commerce suivant lequel « Les représentants de la masse, dûment autorisés par l’assemblée générale des obligataires, ont seuls qualité pour engager, au nom de ceux‑ci, toutes actions ayant pour objet la défense des intérêts communs des obligataires ». Elle relève que l’article L. 228‑46‑1 admet la consultation écrite, y compris électronique, si le contrat l’autorise, ce qui évite l’exigence d’une réunion formelle.
La motivation relaye, en outre, une jurisprudence récente venue préciser l’exclusivité de la représentation pour les actions protégeant l’intérêt commun. Ainsi, « Il en résulte qu’une action qui a pour objet de voir ordonner, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, une mesure d’instruction avant tout procès, ne peut être intentée que par le représentant de la masse autorisé par l’assemblée générale des obligataires si le litige potentiel susceptible d’opposer les parties a pour objet la défense des intérêts communs des obligataires. » (Com., 9 octobre 2024, n° 23‑10.645). L’arrêt s’inscrit donc dans une ligne constante déjà affirmée, notamment, par la chambre commerciale le 15 juin 1999.
B. L’application au cas d’espèce et la régularisation de la fin de non‑recevoir
La cour constate que le contrat d’émission prévoyait la consultation écrite, que celle‑ci s’est déroulée par voie électronique et que les délais et formes n’étaient pas discutés. Elle en déduit, par une formule nette, que « l’action était recevable au regard des dispositions combinées des articles L 228‑54 et L 228‑46‑1 du code de commerce, étant relevé qu’aucun de ces textes ne prévoit que l’autorisation donnée par la masse des obligataires doive être sollicitée avant l’introduction de l’action en justice et que s’agissant d’une fin de non‑recevoir, elle est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité devant être écartée si sa cause a disparu au jour où le juge statue. »
Cette solution éclaire utilement l’articulation entre le droit substantiel des titres obligataires et le contentieux de la recevabilité. Elle conforte la faculté, pour la masse, de sécuriser a posteriori l’autorisation d’agir dès lors que la cause de l’irrecevabilité a disparu au jour où la juridiction statue. L’arrêt fournit ainsi une grille lisible pour les contentieux d’urgence impliquant des organes de représentation collective.
II. L’office du juge des référés face aux clauses financières du contrat d’émission
A. La provision sur principal et intérêts au prisme de l’absence de contestation sérieuse
Sur le terrain de l’article 873 du code de procédure civile, la cour vérifie la non‑sérieuse contestation des obligations invoquées. Elle retient la défaillance dans le remboursement du principal et dans le paiement des coupons. Elle relève également que les stipulations relatives aux coupons et à leur périodicité permettaient de déterminer l’assiette des accessoires.
Surtout, la juridiction d’appel affirme que l’examen requis n’excède pas l’office du juge des référés. En ce sens, elle indique que certaines stipulations « ne nécessitent donc aucune interprétation excédant les pouvoirs du juge des référés, de sorte que la contestation de l’intimée sur ce point ne peut être considérée comme sérieuse. » Une telle appréciation conduit à l’allocation d’une provision significative, couvrant le principal exigible et les intérêts échus non réglés.
La portée pratique est double. D’une part, la cour rappelle la souplesse du référé-provision lorsque l’obligation ressort de clauses claires, même en présence d’objections générales. D’autre part, elle fixe une ligne de partage nette entre interprétation créatrice et simple lecture technique de clauses financières standardisées.
B. La majoration d’intérêts qualifiée de clause pénale et le refus d’en connaître en référé
La clause de majoration du taux en cas d’incident, stipulée à 15 % pour la période postérieure aux échéances, est examinée à part. La cour écarte les objections tirées d’un prétendu déséquilibre significatif, tout en rappelant la clarté du texte contractuel. Surtout, elle requalifie la majoration en clause pénale, susceptible de modulation par le juge du fond. Elle énonce en des termes précis que « Pour autant, compte tenu de sa fonction tant indemnitaire que comminatoire, cette majoration des intérêts de plusieurs points s’analyse d’évidence, en une clause pénale, laquelle est susceptible de réduction par le juge du fond si son montant apparaît manifestement excessif. » En conséquence, « De la sorte, il n’y a pas lieu à référé sur ce point. »
Ce choix confirme la limite structurelle du référé face aux stipulations à coloration punitive, dont l’adaptation relève du plein contentieux. Il en résulte un traitement différencié des accessoires : provision possible sur les intérêts échus, réserve prudente sur la majoration assimilée à une peine privée. L’arrêt, en outre, aboutit à ne retenir au dispositif que les provisions sur principal et intérêts, « Dit n’y avoir lieu à référé sur les autres demandes », ce qui en restreint la portée pratique tout en préservant l’office du juge du fond.
L’ensemble articule avec cohérence la protection de l’intérêt collectif des obligataires et la rigueur du contrôle en référé. La recevabilité est mise au service de l’efficacité de la représentation, tandis que la prudence commande de réserver à la formation de jugement l’éventuelle réduction d’une stipulation à fonction comminatoire.