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Le statut de conjoint salarié constitue une question récurrente en droit du travail, à la croisée du droit des sociétés et du droit social. La distinction entre un contrat de travail réel et un contrat fictif revêt une importance particulière lorsque les époux se séparent et que l’un d’eux conteste son licenciement.
La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 3 juillet 2025, a été amenée à se prononcer sur la compétence du conseil de prud’hommes dans un litige opposant une salariée à son ancien employeur, également son ex-époux.
Une société exploitant des places sur des marchés municipaux avait embauché, le 13 septembre 2007, l’épouse de son associé unique en qualité de responsable des ventes. Le couple a divorcé le 30 janvier 2020. Souhaitant cesser son activité, l’employeur a licencié la salariée le 2 novembre 2021, au motif que le repreneur potentiel ne souhaitait pas reprendre le personnel. La salariée a saisi le conseil de prud’hommes afin de contester la rupture de son contrat de travail.
Le conseil de prud’hommes de Longjumeau, par jugement du 20 décembre 2024, s’est déclaré matériellement incompétent et a renvoyé l’affaire devant le tribunal de commerce d’Évry. La salariée a interjeté appel de cette décision.
La salariée soutenait que son contrat de travail était établi par de nombreuses pièces et que le liquidateur amiable ne démontrait pas sa fictivité. L’employeur opposait que l’intéressée n’avait jamais agi comme une salariée mais comme une cogérante de fait, signant elle-même son contrat de travail et exerçant des prérogatives de direction.
La question posée à la Cour était de déterminer si, en présence d’un contrat de travail apparent conclu entre époux, l’employeur qui en invoque la fictivité rapporte la preuve suffisante de l’absence de lien de subordination.
La Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement et décidé que le conseil de prud’hommes de Longjumeau était compétent pour connaître du litige. Elle a considéré que les pièces produites par l’employeur ne démontraient pas la fictivité du contrat de travail.
Cet arrêt illustre la rigueur probatoire exigée lorsqu’un employeur conteste l’existence même du contrat de travail d’un conjoint salarié. Il convient d’examiner successivement les règles gouvernant la preuve de la fictivité du contrat de travail (I), puis l’appréciation concrète des éléments probatoires opérée par la Cour (II).
I. La charge de la preuve en présence d’un contrat de travail apparent
La Cour rappelle le mécanisme probatoire applicable au contrat de travail apparent (A) avant d’en préciser l’articulation avec le statut de conjoint salarié (B).
A. Le renversement de la charge de la preuve au détriment de l’employeur
La Cour énonce que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ». Ce principe, issu d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation, signifie que le juge doit rechercher la réalité de la relation au-delà des apparences contractuelles.
La Cour précise ensuite qu’« en présence d’un contrat de travail apparent, il appartient à celui qui invoque son caractère fictif d’en apporter la preuve ». Cette règle probatoire protège le salarié qui dispose d’un contrat écrit. L’employeur qui prétend que ce contrat ne correspond à aucune réalité doit le démontrer positivement.
En l’espèce, la salariée produisait son contrat de travail du 13 septembre 2007, un avenant, ses bulletins de paie, son relevé de carrière, son certificat de travail et son attestation Pôle emploi. La Cour en déduit que « les pièces produites établissent l’existence d’un contrat de travail apparent ». Dès lors, la charge de la preuve pesait sur l’employeur.
B. L’articulation avec le statut légal du conjoint salarié
La Cour vise l’article L. 121-4 du code de commerce qui impose au conjoint du chef d’entreprise exerçant une activité régulière d’opter pour l’un des trois statuts suivants : conjoint collaborateur, conjoint salarié ou conjoint associé. Elle rappelle que cet article prévoit qu’« à défaut de déclaration d’activité professionnelle, le conjoint ayant exercé une activité professionnelle de manière régulière dans l’entreprise est réputé l’avoir fait sous le statut de conjoint salarié ».
Cette disposition législative renforce la protection du conjoint travaillant dans l’entreprise. Le législateur a entendu éviter que le travail du conjoint ne demeure sans statut juridique. La présomption légale joue donc en faveur du salariat lorsqu’aucune déclaration n’a été effectuée.
La salariée faisait valoir que « le fait que Madame [E] soit l’ex-épouse de Monsieur [Y] n’empêche en rien l’existence d’un lien de subordination ». La Cour ne contredit pas cette analyse. Le lien matrimonial n’exclut pas par principe l’existence d’un contrat de travail. Encore faut-il que les conditions du salariat soient réunies, ce que l’employeur contestait.
La transition vers l’examen concret des preuves s’impose. La Cour ayant posé le cadre juridique applicable, elle procède à l’analyse des éléments produits par l’employeur pour tenter de renverser la présomption attachée au contrat apparent.
II. L’insuffisance des preuves rapportées par l’employeur
La Cour écarte successivement les échanges électroniques produits (A) ainsi que les attestations versées aux débats (B).
A. L’inopposabilité des échanges WhatsApp
L’employeur produisait des échanges WhatsApp afin de démontrer que la salariée exerçait en réalité des fonctions de direction. La Cour écarte cette pièce en relevant qu’elle « ne comporte aucune précision quant à l’identité des personnes qui ont échangé, ni sur quelle période, ni dans quel contexte précis ».
Cette exigence d’identification et de contextualisation des preuves électroniques s’inscrit dans une jurisprudence rigoureuse. Les messages produits doivent permettre d’établir avec certitude l’identité des interlocuteurs. À défaut, leur force probante est nulle.
La Cour ajoute que « tout au plus, au regard de la teneur des échanges, on peut uniquement constater qu’ils sont afférents à l’activité économique de l’entreprise sans autre précision ». Le fait qu’un salarié s’intéresse à l’activité économique de son employeur ne démontre pas qu’il en assure la direction. La participation à la vie de l’entreprise n’exclut pas la subordination.
La Cour en conclut que « ce document ne peut utilement justifier de ce que Madame [E] aurait eu la qualité de dirigeant de fait de l’entreprise ». L’employeur échoue donc à établir, par cette pièce, que la salariée exerçait des prérogatives de direction incompatibles avec le salariat.
B. L’irrecevabilité et l’insuffisance des témoignages
L’employeur produisait également des attestations d’anciens salariés affirmant que l’intéressée exerçait les mêmes fonctions que son mari en qualité de cogérante. La Cour les écarte au motif qu’elles « ne remplissent nullement les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile alors qu’aucune pièce d’identité n’est annexée ».
L’article 202 du code de procédure civile impose des conditions de forme strictes aux attestations. L’absence de pièce d’identité annexée constitue une irrégularité substantielle. La Cour refuse d’accorder force probante à des témoignages dont l’authenticité ne peut être vérifiée.
La Cour ajoute qu’« à défaut de pouvoir vérifier la qualité d’anciens salariés des deux personnes qui témoignent mais également des éléments tels qu’ils sont décrits car, ne pouvant être objectivés par d’autres pièces, ces deux témoignages ne peuvent être utilement retenus ». L’isolement probatoire de ces attestations achève de les disqualifier.
S’agissant de l’attestation du comptable, la Cour observe qu’il « atteste de l’augmentation de la rémunération dont a bénéficié Madame [E] sur la période considérée sans toutefois pouvoir utilement témoigner du travail et des tâches quotidiennes qu’aurait réalisées l’intéressée ». Un comptable externe ne peut témoigner que de ce qu’il constate dans l’exercice de ses fonctions.
La Cour relève que ce comptable mentionne qu’un courrier avait été adressé aux trois salariés pour leur proposer une reprise. Elle en déduit que « ces précisions sont plutôt de nature à confirmer le statut de salarié de Madame [E] ». L’employeur lui-même traitait donc l’intéressée comme une salariée lorsqu’il envisageait la cession de son activité.
Quant aux augmentations de salaire, la Cour précise qu’« il n’est pas interdit à un salarié de demander une augmentation ». Le fait que la salariée ait sollicité des revalorisations ne démontre pas qu’elle disposait du pouvoir de les décider seule. L’attestant ne précisait pas avoir agi sur instruction de la salariée.
La Cour conclut que cette dernière attestation « n’est donc également pas de nature à démontrer la fictivité du contrat de travail » dès lors que l’attestant « ne mentionne nullement qu’il a exercé sa fonction de comptable unique sous la direction de Madame [E] ».
Cet arrêt présente une portée significative en matière de preuve du contrat de travail du conjoint. Il rappelle que la production d’un contrat de travail écrit crée une présomption que l’employeur doit renverser par des preuves précises et concordantes. Les témoignages irréguliers en la forme et les échanges électroniques non authentifiés sont insuffisants. La décision s’inscrit dans une jurisprudence protectrice du conjoint salarié, conforme à l’esprit de l’article L. 121-4 du code de commerce. Elle invite les employeurs à constituer des preuves rigoureuses lorsqu’ils entendent contester la réalité du contrat de travail conclu avec leur conjoint.