Cour d’appel de Paris, le 3 septembre 2025, n°21/05586

Rendue par la Cour d’appel de Paris le 3 septembre 2025, la décision porte sur l’allégation de harcèlement moral, l’obligation de sécurité et la rupture judiciaire. Une salariée, embauchée en 2016 et promue responsable adjointe, invoquait des agissements répétés de son supérieur, un malaise professionnel du 26 juillet 2019, un refus de congé sans solde et des certificats médicaux corroborant une altération de sa santé.

Saisie antérieurement, la juridiction prud’homale avait rejeté l’ensemble des demandes. Sur appel, les écritures de l’employeur ont été déclarées irrecevables par ordonnance, de sorte que la discussion s’est concentrée sur la force probante des éléments produits par la salariée et sur la charge de la preuve. L’appelante sollicitait la résiliation judiciaire avec les effets d’un licenciement nul, des dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l’obligation de sécurité, un rappel au titre de la prévoyance et les indemnités de rupture.

La question posée tenait, d’une part, au seuil probatoire permettant de présumer le harcèlement moral et au contrôle des mesures de prévention exigées de l’employeur. D’autre part, elle concernait les conditions d’une résiliation judiciaire aux torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement nul, la fixation de sa date d’effet et les conséquences indemnitaires. La cour répond en retenant que « Ces éléments pris dans leur ensemble sont de nature à faire présumer un harcèlement moral […] » et rappelle que « L’employeur, tenu à une obligation de santé et de sécurité, doit prendre toute mesure préventive et curative pour préserver la santé et la sécurité des salariés. » Elle juge enfin que « Il sera donc fait droit, par infirmation du jugement, à la demande de résiliation, laquelle doit avoir les effets d’un licenciement nul […] », et précise la règle de date d’effet: « La date d’effet de la résiliation doit être fixée à la date de la décision judiciaire la prononçant dès lors que le contrat n’a pas été rompu avant cette date. »

I. Le sens de la décision

A. La présomption de harcèlement moral et la charge de la preuve

La cour rappelle le cadre légal probatoire en termes clairs et orthodoxes: « la salariée qui allègue un harcèlement moral doit, en application des dispositions de l’article L 1154-1 du code du travail […], présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement […]. Au vu de ces éléments, il incombe alors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement […]. » Elle sélectionne des éléments précis et concordants: attestation d’une collègue, accident du travail, certificats médicaux, refus de congé et plainte pénale. Leur accumulation emporte la présomption, sans exiger une preuve parfaite des agissements allégués.

La formulation retient l’unité d’appréciation des faits et rejette une lecture atomisée: « Ces éléments pris dans leur ensemble sont de nature à faire présumer un harcèlement moral […]. » Le reproche adressé aux premiers juges s’inscrit ici: « Le jugement, qui a, à tort, apprécié les faits séparément et in fine fait peser l’intégralité de la charge de la preuve sur la salariée, doit être infirmé. » Faute de justifications recevables en défense, la présomption n’est pas renversée et la qualification est retenue.

B. Le contrôle du manquement à l’obligation de sécurité

La cour énonce la norme de prévention avec sobriété: « L’employeur, tenu à une obligation de santé et de sécurité, doit prendre toute mesure préventive et curative pour préserver la santé et la sécurité des salariés. » Elle constate ensuite l’inertie postérieure à l’accident du travail: « En l’espèce, aucune pièce du dossier ne vient justifier que l’employeur a mis en ‘uvre des moyens pour respecter cette obligation […]. » Le manquement cause un préjudice autonome, apprécié en perte de chance d’éviter la dégradation de l’état de santé et le blocage de progression.

L’indemnisation est calibrée distinctement des suites de l’accident du travail. La cour alloue deux chefs de réparation, proportionnés à la gravité retenue: « Compte tenu du préjudice de santé physique et moral subi, la somme de 3 000 euros est de nature à réparer entièrement les préjudices subis en dehors de ceux consécutifs à l’accident du travail », puis « La somme de 6 000 euros réparera entièrement les préjudices subis en dehors de ceux consécutifs à l’accident du travail. »

II. Valeur et portée

A. La résiliation judiciaire aux torts de l’employeur produisant la nullité

Le standard de gravité gouvernant la résiliation est redit sans détour: « En droit, le salarié qui demande la résiliation judiciaire du contrat de travail, doit justifier des griefs qu’il impute à l’employeur, et qui doivent être suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail. » La cour articule ensuite l’office du juge en cas de rupture ultérieure: « […] le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée; c’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur. »

La qualification de harcèlement et le manquement de sécurité emportent une conséquence de droit positif: « Toutefois, la rupture intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2 du code du travail relatifs au harcèlement moral, est nul en application des dispositions de l’article L 1152-3 du même code. » C’est l’un des apports de l’arrêt, assumé explicitement: « Il sera donc fait droit, par infirmation du jugement, à la demande de résiliation, laquelle doit avoir les effets d’un licenciement nul […]. » La règle de date d’effet est rappelée avec pédagogie, puis adaptée à l’espèce où la relation s’est éteinte par un licenciement antérieur au prononcé: « La date d’effet de la résiliation doit être fixée à la date de la décision judiciaire la prononçant dès lors que le contrat n’a pas été rompu avant cette date. » La cour retient logiquement la date de cessation effective du contrat déjà intervenue.

B. Les suites indemnitaires et l’effectivité des sanctions

La nullité commande un socle indemnitaire spécifique. La cour vise l’article L 1235-3-1 et fixe une base minimale, ensuite adaptée aux circonstances: « à des dommages et intérêts qui ne peuvent être moindre que les salaires des six derniers mois en application des dispositions de l’article L 1235-3-1 du code du travail. » Elle retient une période antérieure aux suspensions pour neutraliser l’incidence des arrêts maladie, puis évalue le préjudice global à 15 000 euros, en considération de l’ancienneté, de l’âge et des salaires de référence.

Les accessoires de la nullité sont ordonnés avec méthode: indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, complément d’indemnité légale de licenciement, régularisation de prévoyance. La décision renforce l’effectivité par le mécanisme de remboursement des allocations de chômage sur le fondement de l’article L 1235-4, dans la limite légale de six mois. L’ensemble trace une ligne de cohérence entre la preuve du harcèlement, la prévention défaillante et les conséquences normatives de la nullité, au service d’une protection effective de la santé au travail.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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