Cour d’appel de Paris, le 3 septembre 2025, n°21/07084

La Cour d’appel de Paris, le 3 septembre 2025, statue sur un litige prud’homal relatif à une sanction disciplinaire, à la qualification de harcèlement moral et à l’exécution de bonne foi du contrat de travail. Un machiniste receveur, engagé en CDI en 2005, a été sanctionné en 2018 d’une journée de mise en disponibilité sans solde pour « conduite non sécuritaire ». Il invoque des procédures disciplinaires répétées, un refus de formation, une dégradation de ses conditions de travail et le non‑respect de restrictions médicales prescrivant l’absence de service après 21 heures.

Le Conseil de prud’hommes de Paris, le 16 juin 2021, a annulé la sanction et alloué un rappel de salaire, tout en rejetant les chefs relatifs au harcèlement et à l’exécution déloyale. L’employeur a interjeté appel, tandis que le salarié a sollicité la confirmation sur la sanction et l’infirmation pour les autres demandes. La cour confirme l’annulation de la mesure disciplinaire, reconnaît le harcèlement moral et retient un manquement à l’obligation de sécurité au titre de l’exécution loyale, allouant des dommages et intérêts distincts.

La question posée portait d’abord sur le contrôle du bien‑fondé et de la proportionnalité de la sanction au regard de la preuve du caractère volontaire du comportement reproché. Elle portait ensuite sur l’existence d’agissements répétés caractérisant un harcèlement moral, au regard du mécanisme probatoire de l’article L.1154‑1, et sur la loyauté de l’exécution du contrat au prisme de l’obligation de sécurité. La Cour confirme l’annulation de la sanction, retient l’existence d’un harcèlement et sanctionne l’inobservation des restrictions médicales relatives aux horaires, rejetant la demande de remise de documents sous astreinte.

I. Le contrôle de la sanction disciplinaire

A. L’office du juge disciplinaire et le bénéfice du doute

La cour rappelle la règle directrice en ces termes: « Le juge apprécie si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. » Elle réaffirme la charge de l’employeur d’étayer la mesure par des éléments objectifs et circonstanciés. Le cœur du contrôle tient au principe selon lequel « Si un doute subsiste, il profite au salarié (article L. 1333-1 du code du travail). » La motivation articule ainsi la formation de la conviction judiciaire avec la règle probatoire protectrice, laquelle s’applique pleinement en matière disciplinaire.

Cette approche conduit à un examen serré de la matérialité et de l’intentionnalité des faits. La cour isole le point décisif, à savoir l’absence de preuve du caractère volontaire du heurt d’un plot. Elle souligne que « aucun des éléments produits ne permet de retenir que ce comportement était volontaire et qu’il ne s’agit pas d’une erreur de conduite ; » Il en résulte que la simple occurrence matérielle de l’incident ne suffit pas à justifier une sanction portant sur l’image sécuritaire attendue, en l’absence d’intention ou de manquement caractérisé.

B. La proportionnalité de la mesure et l’annulation retenue

La proportionnalité est appréciée in concreto, en lien avec la qualification des faits. Dépourvue de démonstration de la volonté délibérée, la mesure d’une journée de mise en disponibilité sans solde excède ce que commande l’économie de la faute. La cour en déduit que « La cour retient que la sanction de 1 jour de mise en disponibilité sans solde est nulle. » L’annulation entraîne le retrait du dossier et le rappel de salaire afférent, réparant l’atteinte immédiate attachée à la mesure annulée.

Ce raisonnement s’inscrit dans une logique pédagogique de la faute disciplinaire. En l’absence de preuve d’un comportement intentionnel, le doute profite au salarié et neutralise la mesure. L’arrêt illustre ainsi un contrôle substantiel du motif, et non un contrôle minimal de l’erreur manifeste, ce qui conforte l’exigence de proportionnalité et d’objectivation des griefs disciplinaires.

II. Harcèlement moral et exécution loyale du contrat

A. La méthode probatoire en harcèlement et le constat des manquements

La cour rappelle le cadre légal applicable: « Aux termes de l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral […] ». Elle précise la mécanique probatoire: « L’article L.1154-1 du même code prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement ». Cette présentation déclenche l’exigence, pour l’employeur, de justifier des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Au regard des éléments versés, la cour retient une combinaison d’actes révélant une pression injustifiée et l’inaction de l’employeur face aux alertes. Elle relève que « la cour retient notamment que les mesures prises ne relèvent pas de l’exercice normal du pouvoir disciplinaire et de gestion, sont disproportionnées ». La conclusion est nette: « Le harcèlement moral est établi. » L’allocation de 6 000 euros répare un préjudice autonome, distinct des effets de l’annulation disciplinaire, en cohérence avec la nécessaire individualisation de la réparation.

B. L’obligation de sécurité et la loyauté d’exécution

S’agissant de l’exécution du contrat, l’arrêt rappelle la norme cardinale: « L’article L.1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi. » La loyauté est ici appréciée à l’aune de l’obligation de sécurité et de prévention, combinée aux préconisations médicales. La cour constate un manquement caractérisé: l’employeur n’a pas organisé le service pour assurer le respect de la restriction interdisant tout service après 21 heures, et ne peut imputer au salarié une marche lente non prouvée.

Cette défaillance engage la responsabilité contractuelle, justifiant l’allocation de 2 000 euros. La portée pratique est notable: la gestion des horaires et des affectations doit intégrer, de manière effective, les prescriptions du médecin du travail. L’arrêt rappelle que le respect des restrictions est une obligation de résultat dans l’organisation du travail, dont l’inobservation ne saurait être excusée par les aléas ordinaires de l’exploitation.

Enfin, la demande de remise de documents sous astreinte est rejetée, faute d’éléments probants sur un refus ou un retard, tandis que les dépens et l’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile sont mis à la charge de l’employeur, conformément à l’économie générale de la décision et à l’issue du litige.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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