Cour d’appel de Paris, le 3 septembre 2025, n°21/07117

La Cour d’appel de Paris, Pôle 6, chambre 3, par arrêt du 3 septembre 2025, statue sur une demande de résiliation judiciaire formée par une salariée contre son employeur, placée entre-temps en liquidation judiciaire. L’arrêt intervient après une ordonnance de référé allouant des salaires impayés et un jugement prud’homal prononçant la résiliation, mais insuffisamment motivé sur les prétentions pécuniaires. L’appel soulève l’insuffisance de motivation, la date d’effet de la résiliation, l’étendue des créances salariales et de rupture, ainsi que la portée de la garantie légale des salaires. La Cour annule le jugement pour défaut de motivation, prononce la résiliation judiciaire à la date de son arrêt, fixe des sommes au passif, refuse l’indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, et précise les limites de la garantie applicable. La question centrale tient d’abord à la caractérisation du manquement grave justifiant la résiliation et à ses effets, ensuite à l’articulation des créances avec la procédure collective et le régime légal de garantie.

I. Fondements et portée de la résiliation judiciaire retenue

A. L’annulation du jugement et l’exigence de motivation des chefs pécuniaires

La Cour censure le jugement pour méconnaissance des exigences des articles 455 et 458 du code de procédure civile. Elle relève que « le jugement dont la nullité est sollicitée ne comporte aucune motivation relative aux demandes en paiement, en outre le dispositif ne mentionne pas la décision du conseil de prud’hommes sur celles-ci, il convient en conséquence d’annuler le jugement ». La sanction préserve l’exigence d’un contrôle effectif sur l’ensemble des prétentions et interdit une confirmation tacite des demandes chiffrées sans raisons explicitement énoncées. La démarche est orthodoxe, car l’énoncé des demandes et des motifs conditionne l’intelligibilité et la force exécutoire du dispositif.

L’annulation rétablit, sur déféré, la Cour dans son office pour statuer intégralement sur le fond. Le rappel liminaire selon lequel la partie non comparante « est réputée s’approprier les motifs du jugement » n’empêche pas la censure, puisqu’aucune motivation pertinente ne pouvait, en réalité, être appropriée. Le contrôle conduit ainsi à une réévaluation globale, notamment des prétentions salariales et de rupture, au regard des pièces produites.

B. Les critères de la résiliation et ses effets de licenciement injustifié

La Cour énonce, dans le droit fil d’une jurisprudence constante, que « la résiliation judiciaire à la demande du salarié n’est justifiée qu’en cas de manquements de l’employeur d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail. Elle produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ». Elle constate le non-paiement répété des salaires et l’absence de fourniture de travail, déjà partiellement reconnus en référé. Elle en déduit que « l’employeur a donc commis un manquement grave justifiant le prononcé de la résiliation judiciaire à ses torts, ce qui équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse prononcée à la date de l’arrêt rendu par la cour ».

La solution sur la date d’effet est explicitement posée: « en cas de résiliation judiciaire du contrat de travail, la date d’effet de la résiliation ne peut être fixée qu’au jour de la décision qui la prononce, dès lors que le contrat n’a pas été rompu avant cette date ». La Cour applique ce principe, parfaitement aligné avec la jurisprudence sociale, en fixant la rupture au jour de l’arrêt. Corrélativement, la demande d’indemnité pour non-respect de la procédure est écartée, puisque « la rupture du contrat de travail est prononcée par la cour, il ne peut donc être soutenu que son employeur n’a pas respecté la procédure ». L’indemnisation retenue s’inscrit dans les bornes légales, la Cour fixant l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’indemnité de préavis avec congés payés afférents, ainsi que l’indemnité légale de licenciement. L’économie de la décision respecte ainsi la nature et les effets propres de la résiliation.

II. Créances salariales et garantie en contexte de procédure collective

A. La date de rupture et les limites temporelles de la garantie légale des salaires

La Cour rappelle la règle gouvernant la garantie légale, centrée sur des créances nées dans des périodes précisément visées par la loi. Elle en tire la conséquence, au regard de la date de rupture fixée au prononcé, que les indemnités de rupture ne sont pas couvertes, la rupture intervenant hors du périmètre temporel de garantie. Cette approche, stricte quant aux périodes, s’accorde avec la finalité du mécanisme de garantie, instrument de continuité minimale et non de couverture générale de toute créance née à la suite d’une rupture postérieure.

Le dispositif rend l’arrêt opposable à l’organisme de garantie, dans les limites de la garantie légale et du plafond réglementaire, et enjoint l’avance des créances garanties sur présentation du relevé et justification de l’insuffisance d’actif disponible. La décision se conjugue avec l’arrêt du cours des intérêts à l’ouverture, les créances salariales ou assimilées ne portant intérêts qu’entre la convocation prud’homale et le jugement d’ouverture. L’ensemble traduit une articulation rigoureuse entre le droit du travail et le droit des entreprises en difficulté.

B. La fixation des créances salariales et l’exigence probatoire en l’absence de documents sociaux

S’agissant des salaires postérieurs à juin 2019, la Cour confronte pièces contradictoires et lacunes documentaires. Elle constate l’absence de lettre de licenciement, d’attestation d’emploi et de solde de tout compte. Elle juge, en conséquence, qu’« il sera fait droit à la demande […] au titre des salaires dus pour la période de juillet 2019 à janvier 2020, ainsi qu’au paiement de la somme de 1 048,60 euros au titre des congés payés y afférents ». Ces sommes sont fixées au passif et relèvent, pour leur part, de la garantie, car exigibles à la date d’ouverture.

La Cour ordonne la remise des documents sociaux conformes, sans astreinte, et charge le mandataire d’établir le relevé des créances pour inscription au passif. La solution ménage la protection du salarié créancier, tout en préservant la discipline collective par la fixation et l’opposabilité des sommes. On peut relever que la Cour se montre prudente sur la prise en compte d’allocations antérieures, les incohérences relevées dans les relevés versés n’emportant pas, à elles seules, extinction des droits salariaux sans justificatifs probants. Cette appréciation garde l’équilibre, car elle subordonne les avances de garantie aux diligences procédurales du mandataire et au contrôle des plafonds.

Ainsi, l’arrêt articule clairement les deux séries d’enjeux. D’un côté, il rappelle, avec netteté, les critères et effets temporels de la résiliation judiciaire. De l’autre, il précise la portée de la garantie légale face aux créances nées avant l’ouverture, tout en assurant la fixation utile au passif et la délivrance des documents sociaux.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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