Cour d’appel de Paris, le 3 septembre 2025, n°22/00603

Cour d’appel de Paris, 3 septembre 2025. Une salariée, engagée en 2014 comme assistante de direction avec fonctions financières, est demeurée dans l’entité initiale après la création d’une filiale opérationnelle. Après un arrêt maladie puis une inaptitude avec dispense de reclassement, l’employeur a notifié un licenciement pour inaptitude. La juridiction prud’homale avait retenu le coemploi, accordé des rappels d’heures supplémentaires et jugé la rupture sans cause réelle et sérieuse, ordonnant en outre un remboursement à l’organisme d’assurance chômage.

Les sociétés ont interjeté appel, contestant le coemploi, l’irrégularité de la rupture et l’ensemble des condamnations accessoires. La salariée a soutenu la nullité pour harcèlement moral et, subsidiairement, la responsabilité de l’employeur au titre de l’obligation de sécurité, en sollicitant également une indemnité pour travail dissimulé et la confirmation des heures supplémentaires. La cour devait trancher les conditions du coemploi et du harcèlement, puis l’étendue de l’obligation de sécurité et ses effets sur la rupture et les créances salariales.

La cour d’appel rejette le coemploi et le harcèlement, mais retient des manquements à l’obligation de sécurité sans incidence causale déterminante sur l’inaptitude, confirme des heures supplémentaires dans une moindre mesure et écarte l’intentionnalité du travail dissimulé. Elle rappelle notamment que « le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements » et que, « pris dans leur ensemble, les éléments de fait (…) ne laissent pas supposer l’existence d’un harcèlement moral ».

I – Le rejet du coemploi et du harcèlement moral: exigences probatoires resserrées

A – Le coemploi et la preuve d’un lien de subordination effectif

La décision souligne le critère déterminant, en reprenant la définition classique du lien de subordination. La preuve incombe à celui qui l’allègue lorsqu’aucun contrat apparent ne le lie à l’entité visée. Les indices organisationnels restent insuffisants sans démonstration d’ordres, contrôle et pouvoir disciplinaire exercés par la filiale alléguée.

La cour neutralise les indices invoqués: communauté de direction, organigrammes, documents internes, formulaires de congés non validés et échanges de messages dénués de directives. Elle écarte tout service organisé sous la détermination unilatérale de la filiale, faute d’éléments concrets et circonstanciés. Dans cette ligne, la motivation énonce que « le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice (…) lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail », ce qui n’était pas établi.

Cette approche s’inscrit dans une jurisprudence exigeant une immixtion anormale, continue et structurée dans la gestion sociale, et non de simples synergies de groupe. L’articulation des faits retenus et de la charge probatoire aboutit logiquement au rejet de la qualification.

B – Le harcèlement moral: appréciation globale et insuffisance d’un fait isolé

La cour rappelle le régime probatoire: au salarié d’apporter des éléments laissant supposer des agissements répétés, puis à l’employeur de démontrer des raisons objectives étrangères à tout harcèlement. Ici, les pièces médicales et les échanges produits étaient pour l’essentiel inopérants, en dehors d’un message dénigrant reçu par erreur.

La motivation est nette: « Pris dans leur ensemble, (…) les éléments de fait (…) ne laissent pas supposer l’existence d’un harcèlement moral », et « l’unique fait (…) ne permet pas de présumer l’existence d’un harcèlement moral ». L’exigence de répétition et de dégradation objectivable des conditions de travail est réaffirmée avec fermeté, la preuve devant dépasser les perceptions subjectives et les reproches non étayés.

Ce faisant, la cour consolide un cadre probatoire cohérent avec les textes, sans éluder la portée blessante du propos isolé, mais en refusant d’en déduire un harcèlement sans faisceau concordant.

II – L’obligation de sécurité: manquements caractérisés, effets limités sur la rupture et réparations mesurées

A – Manquements retenus, absence de lien causal déterminant avec l’inaptitude

Au fond, la cour distingue plusieurs segments de l’obligation. S’agissant de la visite d’embauche tardive, elle applique la solution de principe selon laquelle « l’absence de visite médicale d’embauche ne cause pas nécessairement de préjudice au salarié » (Soc., 27 juin 2018, n° 17-15.438), faute de démonstration d’un préjudice spécifique.

En revanche, elle retient des manquements sur l’adaptation au poste et l’absence de document unique d’évaluation des risques, obligations cardinale et opérationnelle. Pour autant, la causalité déterminante n’est pas rapportée entre ces manquements et l’inaptitude. La cour rappelle en droit que « si le manquement de l’employeur (…) a participé de façon déterminante à l’inaptitude (…) le licenciement (…) est dépourvu de cause réelle et sérieuse », avant de constater qu’en l’espèce cette condition n’était pas remplie.

L’économie de la décision est ainsi duale: reconnaissance de fautes de prévention, mais validation de la cause de rupture dès lors que la preuve du lien causal efficient fait défaut.

B – Réparations pécuniaires, heures supplémentaires et travail dissimulé

Les manquements de sécurité ouvrent droit à réparation autonome, évaluée à une somme forfaitaire et raisonnable au regard des éléments du dossier. La cour « évalue le préjudice (…) à la somme globale de 3 000 euros », calibrant l’indemnisation sans dériver vers une réparation de la rupture.

Sur le temps de travail, le standard probatoire est réaffirmé: « en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures (…) le salarié doit présenter des éléments suffisamment précis (…) » et « le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul ». Les éléments fournis ont permis de retenir des heures supplémentaires moindres que prétendues, fixées à 6 000 euros, avec congés payés afférents.

Enfin, l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé suppose une intention, que la décision écarte nettement: « le caractère intentionnel du travail dissimulé n’est pas établi ». La cour refuse donc l’automaticité de la sanction en présence d’heures supplémentaires reconnues, réservant l’hypothèse aux situations de dissimulation volontaire.

Par cette construction, l’arrêt combine rigueur probatoire, reconnaissance ciblée des manquements de prévention et modulation des réparations, sans remettre en cause la cause réelle et sérieuse de la rupture.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture