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La responsabilité décennale du constructeur et les conditions de mise en jeu de la garantie de l’assureur constituent des questions récurrentes en droit de la construction. Par un arrêt du 3 septembre 2025, la Cour d’appel de Paris apporte des précisions substantielles sur l’articulation entre le caractère apparent ou caché des désordres et la garantie décennale, ainsi que sur le périmètre des activités couvertes par une police d’assurance de responsabilité civile décennale.
En l’espèce, le propriétaire d’une maison d’habitation avait confié à une entreprise la réalisation de travaux de surélévation et d’extension de son bien. Ces travaux ont fait l’objet d’une réception sans réserve le 6 avril 2017. À la suite de la mise fin au chantier par le maître de l’ouvrage, un bureau d’études techniques a constaté des désordres et malfaçons. Une expertise judiciaire ordonnée en référé a révélé des non-conformités structurelles graves, notamment concernant les fondations, rendant le bâtiment impropre à sa destination en raison d’un risque de tassement.
Le maître de l’ouvrage a assigné l’assureur de responsabilité décennale de l’entreprise en indemnisation de ses préjudices. Le Tribunal judiciaire de Melun, par jugement du 18 janvier 2022, a condamné l’assureur au paiement d’une somme de 509 611,85 euros au titre des préjudices matériels, mais a débouté le demandeur de sa demande d’indemnisation du préjudice immatériel. L’assureur a interjeté appel, contestant tant la mobilisation de la garantie décennale que l’étendue de sa garantie contractuelle. Le maître de l’ouvrage a formé appel incident sur le quantum de l’indemnisation et le rejet de ses demandes au titre des préjudices immatériels.
L’assureur soutenait principalement que les désordres étaient apparents à la réception, que le contrat s’analysait en un contrat de construction de maison individuelle exclu de la garantie, et que certaines activités n’avaient pas été déclarées à la police. Le maître de l’ouvrage faisait valoir que les malfaçons structurelles n’étaient pas décelables par un profane et que l’ensemble des travaux relevait des activités déclarées.
La question de droit posée à la cour était double. Elle devait déterminer, d’une part, si des désordres structurels affectant un ouvrage réceptionné sans réserve peuvent être qualifiés de vices cachés permettant la mise en jeu de la garantie décennale lorsque le maître de l’ouvrage est un profane. Elle devait trancher, d’autre part, la question du périmètre des activités couvertes par une police d’assurance décennale déclarant une activité de maçonnerie avec travaux accessoires.
La Cour d’appel de Paris confirme pour l’essentiel le jugement entrepris. Elle retient que les conditions de la responsabilité décennale sont réunies, les désordres structurels n’étant pas décelables par un maître de l’ouvrage profane malgré la réception sans réserve. Elle juge que les travaux ne relèvent pas du régime du contrat de construction de maison individuelle et que la garantie couvre les travaux d’étanchéité et de charpente en tant qu’accessoires de l’activité de maçonnerie, à l’exclusion des menuiseries et de la couverture. La cour infirme le jugement sur les préjudices immatériels et alloue au maître de l’ouvrage la somme de 82 700 euros à ce titre.
L’arrêt présente un intérêt majeur en ce qu’il précise les critères d’appréciation du caractère caché des désordres pour un maître de l’ouvrage profane (I) et qu’il délimite le périmètre de la garantie décennale au regard des activités déclarées par l’assuré (II).
I. L’appréciation du caractère caché des désordres au regard de la qualité du maître de l’ouvrage
La cour opère une distinction fondamentale entre les désordres apparents liés à l’inachèvement des travaux et les malfaçons structurelles cachées (A), consacrant une approche subjective de l’apparence des vices au jour de la réception (B).
A. La distinction entre inachèvement et malfaçons structurelles
L’arrêt confirme que « les défauts visibles concernaient principalement les désordres résultant de l’inachèvement des travaux » et non « des malfaçons et non-conformités imputés à la société CNE ». Cette distinction s’avère décisive pour la mise en jeu de la garantie décennale.
Les désordres visibles sur les photographies versées aux débats correspondaient à l’état d’un chantier interrompu. Les malfaçons structurelles étaient d’une tout autre nature. L’expert avait relevé « l’absence de liaisonnement des élévations récentes avec les existantes, la ségrégation du béton au droit des poutres, l’absence de fondations apparentes au niveau des poteaux, l’absence de joint de dilatation entre les constructions neuves et anciennes ». Ces non-conformités aux règles de l’art ne pouvaient être détectées qu’au moyen de sondages et investigations techniques.
La cour valide l’analyse du tribunal qui avait « minutieusement analysé les désordres » en distinguant ceux résultant de l’inachèvement des travaux, au nombre de dix, et ceux constituant des malfaçons, au nombre de trente-huit. Cette distinction quantitative révèle l’ampleur des défauts d’exécution dissimulés sous l’apparence d’un chantier simplement inachevé.
B. L’appréciation subjective du caractère caché des vices
La cour rappelle qu’il « incombe au maître de l’ouvrage ou à l’acquéreur de l’ouvrage qui agit sur le fondement de l’article 1792 du code civil de rapporter la preuve que les conditions d’application de ce texte sont réunies et, notamment, du caractère caché du désordre, au jour de la réception, pour un maître de l’ouvrage profane ». Elle se réfère expressément à l’arrêt de la Cour de cassation du 2 mars 2022.
Cette référence est significative. L’appréciation du caractère apparent ou caché du désordre doit s’effectuer in concreto, en tenant compte des compétences du réceptionnaire. En l’espèce, le maître de l’ouvrage exerçait la profession de kinésithérapeute. Il était donc « incompétent en matière de construction » et dans l’impossibilité « de se convaincre de la matérialité et de l’étendue exacte des désordres ».
Les non-conformités retenues par la cour illustrent cette approche. Comment un profane pourrait-il déceler « une épaisseur de la paillasse trop fine pour permettre une présence d’acier », « le mauvais dimensionnement du maillage des solives du plancher » ou « la mauvaise qualité des bétons et leur mise en œuvre » ? Ces défauts techniques supposent une expertise que le maître de l’ouvrage ne possédait pas.
L’arrêt rejette ainsi l’argument de l’assureur selon lequel la réception sans réserve aurait purgé l’ouvrage de ses vices. La purge ne peut jouer que pour les désordres véritablement apparents, c’est-à-dire ceux qu’un maître de l’ouvrage de condition comparable aurait pu et dû déceler.
II. La délimitation du périmètre de la garantie au regard des activités déclarées
La cour se prononce sur la qualification du contrat au regard du régime de la construction de maison individuelle (A), puis sur l’étendue des activités couvertes par la police d’assurance souscrite (B).
A. L’exclusion du régime de la construction de maison individuelle
L’assureur soutenait que les travaux relevaient du régime du contrat de construction de maison individuelle prévu aux articles L. 231-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation, activité expressément exclue de la garantie. La cour écarte cet argument.
Elle rappelle qu’« un contrat portant sur la rénovation ou la réhabilitation d’un immeuble existant ne constitue pas un contrat de construction de maison individuelle au sens de l’article L. 231-1 du code de la construction et de l’habitation », citant l’arrêt de la Cour de cassation du 20 mars 2013. Elle relève que l’entreprise « s’était engagée à réaliser des travaux de surélévation et d’extension dans le prolongement d’une maison préexistante ».
L’argument tiré de l’incorporation des travaux neufs à l’existant ne prospère pas davantage. La cour observe que « le gros œuvre, la mise hors d’eau et la mise hors d’air, énumérés par l’article L. 232-1, étaient préexistants aux travaux réalisés » puisque « la maison d’habitation préexistante étant déjà totalement bâtie et achevée avant l’exécution des travaux litigieux ». Les travaux de surélévation et d’extension ne créaient pas un immeuble indépendant mais s’ajoutaient à une construction existante.
Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante qui distingue l’édification d’un immeuble neuf de l’amélioration d’un immeuble existant, quelle que soit l’ampleur des travaux réalisés.
B. La notion d’activités accessoires ou complémentaires à l’activité déclarée
L’attestation d’assurance visait une activité de « maçonnerie et béton armé » assortie de « travaux accessoires ou complémentaires ». La cour devait déterminer si les travaux effectivement réalisés entraient dans ce périmètre.
Elle retient que « l’ensemble des activités réalisées par la société CNE relevant de l’étanchéité et de la pose de la charpente constituent des accessoires ou des compléments à la réalisation de l’activité de maçonnerie consistant en la surélévation et l’extension de la maison ». Ces travaux présentent un lien technique nécessaire avec l’activité principale de maçonnerie. La surélévation d’un bâtiment implique logiquement des travaux d’étanchéité et de charpente pour assurer la mise hors d’eau.
La cour exclut en revanche de la garantie « les travaux de menuiseries extérieures consistant en la fourniture et la pose de volets, fenêtres et velux et de menuiseries intérieures et de couverture ». Ces activités « ne peuvent s’analyser en des travaux de pose d’huisseries visée par la déclaration d’assurance ». La distinction entre pose d’huisseries, activité déclarée, et fourniture et pose de menuiseries complètes, activité non déclarée, traduit une lecture stricte du périmètre contractuel.
Cette solution rappelle que la garantie de l’assureur s’apprécie au regard des activités effectivement déclarées et non des activités exercées. L’assureur n’a pas à garantir des risques qu’il n’a pas tarifés. Il appartient donc au constructeur de déclarer l’ensemble de ses activités pour bénéficier d’une couverture complète.