Cour d’appel de Paris, le 30 juin 2025, n°22/11811

Par un arrêt du 30 juin 2025, la Cour d’appel de Paris a tranché un litige opposant une société productrice d’aliments biologiques pour bétail à l’administration des douanes au sujet du classement tarifaire de produits à base de soja et de sésame importés d’Inde, du Brésil et du Mexique. La question centrale portait sur la distinction entre les « tourteaux », résidus de l’extraction d’huile relevant des positions 2304 et 2306 de la nomenclature combinée, et les « farines partiellement déshuilées » relevant de la position 1208.

Une société française importait depuis plusieurs années des produits à base de soja et de sésame biologiques destinés à l’alimentation animale. Elle déclarait ces marchandises sous les positions tarifaires 2304 pour le soja et 2306 pour le sésame, correspondant aux tourteaux. L’administration des douanes, à l’issue d’un contrôle a posteriori portant sur la période du 10 mars 2013 au 31 décembre 2018, a considéré que ces déclarations étaient erronées. Selon elle, les produits constituaient des farines partiellement déshuilées relevant de la position 1208, entraînant des droits de douane de 4,5% au lieu de 0%. Elle a notifié une dette douanière et fiscale de 924 244 euros comprenant droits de douane, TVA à l’importation et intérêts de retard. La société a contesté cette qualification devant le tribunal judiciaire de Créteil, qui l’a déboutée par jugement du 16 mai 2022. Elle a interjeté appel de cette décision.

Devant la Cour d’appel de Paris, la société appelante soulevait deux séries de moyens. Sur la procédure, elle invoquait la nullité de la communication des droits au motif que leur prise en compte comptable n’aurait pas précédé leur notification, ainsi que la prescription de l’action pour les importations antérieures au 26 mai 2016. Sur le fond, elle soutenait que les produits importés devaient être classés comme tourteaux aux positions 2304 et 2306, leur processus de fabrication consistant en une extraction d’huile par pressage dont ils constituaient le résidu. L’administration des douanes demandait la confirmation du jugement, arguant que le broyage préalable au pressage caractérisait une farine ensuite déshuilée, relevant de la position 1208.

La Cour devait répondre à deux questions essentielles. La première concernait la régularité de la procédure douanière au regard des règles de prescription et de communication des droits. La seconde, plus substantielle, portait sur le critère déterminant du classement tarifaire de produits issus de graines oléagineuses broyées puis pressées pour en extraire l’huile.

La Cour d’appel de Paris a infirmé partiellement le jugement. Elle a confirmé la régularité de la procédure douanière et l’absence de prescription. Elle a en revanche jugé infondée la décision de l’administration rejetant la contestation de la société et prononcé le dégrèvement total des sommes mises en recouvrement, soit 792 607 euros de droits de douane, 76 346 euros de TVA et 55 291 euros d’intérêts de retard.

Cet arrêt présente un double intérêt. Il précise d’abord les conditions de validité de la communication des droits douaniers sous l’empire du code des douanes de l’Union (I). Il clarifie ensuite les critères de distinction entre tourteaux et farines déshuilées dans la nomenclature combinée (II).

I. La confirmation de la régularité procédurale du recouvrement douanier

La Cour valide tant les modalités de la communication des droits sous le nouveau régime européen (A) que le mécanisme d’interruption de la prescription par les procès-verbaux douaniers (B).

A. L’abandon de l’exigence d’antériorité de la prise en compte comptable

L’article 221 de l’ancien code des douanes communautaire imposait que le montant des droits soit communiqué au débiteur « dès qu’il a été pris en compte », établissant une chronologie stricte entre l’inscription comptable et la notification. La société appelante reprochait à l’administration de ne pas démontrer que la prise en compte avait précédé l’envoi de l’avis de résultat d’enquête du 27 mai 2019.

La Cour rejette ce moyen en constatant que l’avis a été établi postérieurement à l’entrée en vigueur du code des douanes de l’Union le 1er mai 2016. Elle relève que les articles 101, 102, 104 et 105 de ce nouveau code modifient substantiellement l’articulation entre notification et prise en compte. Désormais, « la dette douanière est notifiée au débiteur par les autorités douanières lorsque ces dernières sont en mesure de déterminer le montant des droits exigibles » tandis que « la prise en compte du montant des droits exigibles intervient dans un délai de quatorze jours à compter de la date à laquelle elles sont en mesure de déterminer le montant ».

La Cour en déduit qu’« il n’est plus exigé par ces dispositions que le montant des droits soit communiqué au débiteur dès qu’il a été pris en compte ». Le nouveau dispositif impose seulement aux autorités douanières, à compter du moment où les droits peuvent être déterminés, de notifier sans délai le montant au débiteur et de prendre en compte ces droits dans un délai de quatorze jours. Cette interprétation consacre un assouplissement procédural favorable à l’administration tout en préservant les droits du contribuable par le maintien d’un délai encadré.

B. L’efficacité interruptive des procès-verbaux douaniers

La société contestait également la prescription de l’action pour les importations les plus anciennes, soutenant que les procès-verbaux dressés par l’administration n’interrompaient pas le délai de communication des droits. La Cour écarte ce moyen par une analyse combinée du droit européen et du droit national.

Elle rappelle que l’article 221 paragraphe 4 du code des douanes communautaire et l’article 103 paragraphe 2 du code des douanes de l’Union opèrent tous deux « un renvoi au droit national pour le régime de la prescription de la dette douanière, lorsque celle-ci résulte d’un acte qui était, au moment où il a été commis, passible de poursuites judiciaires répressives ». Or l’infraction reprochée, la fausse déclaration d’espèce prévue à l’article 412 du code des douanes, constitue une contravention passible de telles poursuites.

L’article 354 du code des douanes national dispose que « la prescription est interrompue par la notification d’un procès-verbal de douane » lorsque celui-ci vise à établir l’existence d’une infraction et à asseoir l’assiette des droits. La Cour constate que les procès-verbaux de constat du 9 mars 2016, comportant visite des locaux, audition et prélèvement d’échantillons, constituaient des actes interruptifs. La prescription a ensuite été interrompue par d’autres procès-verbaux des 27 octobre 2016, 14 juin 2017 et 3 mai 2018, de sorte qu’elle n’était pas acquise lors de la communication des droits en mai et septembre 2019.

II. La prévalence du critère fonctionnel dans le classement tarifaire des résidus oléagineux

La Cour adopte une analyse fondée sur la finalité du processus de fabrication pour qualifier les produits de tourteaux (A), neutralisant les arguments tirés de la séquence des opérations industrielles et de la teneur résiduelle en huile (B).

A. L’identification du tourteau par sa nature de résidu d’extraction

Le litige portait sur la distinction entre deux catégories de la nomenclature combinée : les farines de graines oléagineuses partiellement déshuilées relevant de la position 1208, et les tourteaux constituant des résidus de l’extraction d’huile relevant des positions 2304 et 2306. L’administration soutenait que le broyage préalable au pressage caractérisait une farine ensuite déshuilée, tandis que la société défendait la qualification de tourteau comme résidu d’extraction.

La Cour rappelle la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle « le critère décisif pour la classification tarifaire des marchandises doit être recherché, d’une manière générale, dans leurs caractéristiques et propriétés objectives ». Elle constate que le processus de fabrication des produits litigieux comporte plusieurs étapes : concassage au broyeur à marteaux, traitement à chaud, extrusion et pressage permettant l’extraction de l’huile. Le produit obtenu « apparaît résulter de cette transformation par extraction de l’huile de soja et constituer un résidu de cette extraction ».

La Cour relève que « ladite extraction intervient par pressage, méthode expressément visée par la NESH relative à cette position et la destination du produit, qui présente un taux important de protéines, est l’alimentation du bétail, laquelle est également mentionnée par cette note ». Elle en conclut que « les caractéristiques objectives du produit en cause correspondent aux termes de la position 2304 et auxdites notes comme sa destination ». Un raisonnement identique est appliqué aux produits à base de sésame pour les classer sous la position 2306.

B. La neutralisation des contre-arguments de l’administration

L’administration des douanes avançait deux arguments pour justifier le reclassement en position 1208. Le premier tenait à la séquence des opérations : le broyage précédant le pressage, le produit serait d’abord une farine ensuite déshuilée. Le second résidait dans la teneur résiduelle en huile de 5 à 7% pour le soja et 10 à 18% pour le sésame, qui démontrerait un déshuilage partiel caractéristique d’une farine.

Sur le premier point, la Cour juge que « le fait que la transformation du soja par pressage soit en l’espèce précédée d’un concassage au broyeur à marteaux ne remet pas en cause la qualification du produit comme résidu de l’extraction de l’huile de soja sous la position 2304 mais apparaît constituer une étape préalable destinée à faciliter ce pressage de même que le chauffage et l’extrusion, donc indissociables de celui-ci ». Elle s’appuie sur le règlement n° 2022/1103 classant sous le code 2304 un tourteau fabriqué à partir de fèves « dépelliculées, concassées, chauffées et réduites en flocons avant l’extraction de l’huile », confirmant que la fabrication de tourteaux peut comporter différentes étapes préparatoires. Elle invoque également l’arrêt de la Cour de justice du 16 novembre 2023 selon lequel « le fait qu’un produit ait subi un traitement thermique et qu’il doit être soumis à fragmentation physique ne lui fait pas perdre son caractère de résidu ».

Sur le second point, la Cour relève que « selon la documentation fournie par l’appelante non contredite par l’administration des douanes, le taux d’huile persistant dans le produit est habituel pour la méthode d’extraction par pressage et ne peut être inférieur qu’en employant une méthode d’extraction par solvant interdite en alimentation biologique ». Cette considération technique neutralise l’argument tiré de la teneur en huile en le replaçant dans le contexte des contraintes propres à la production biologique. La Cour confirme ainsi que les caractéristiques objectives doivent s’apprécier au regard des possibilités techniques inhérentes au mode de production concerné.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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