Cour d’appel de Paris, le 4 septembre 2025, n°21/17602

Un arrêt rendu le 4 septembre 2025 par la Cour d’appel de Paris, pôle 4, chambre 10, apporte un éclairage utile sur le régime de responsabilité de plein droit pesant sur les agences de voyages et sur ses causes d’exonération.

Deux époux avaient acquis le 29 avril 2017 auprès d’une agence de voyages un circuit touristique en Israël, du 4 au 11 juin 2017, pour un prix forfaitaire de 3 842 euros. Le voyage fut marqué par deux incidents : la mise à disposition initiale d’un véhicule trop exigu pour accueillir les deux couples et leur chauffeur dans des conditions acceptables, puis le vol de l’intégralité des bagages laissés dans le véhicule stationné sur un parking non gardé lors d’une visite. Les voyageurs assignèrent l’agence en réparation de leurs préjudices. Celle-ci appela en garantie l’organisateur du circuit.

Par jugement du 14 septembre 2021, le Tribunal judiciaire de Bobigny débouta les demandeurs de toutes leurs prétentions, estimant qu’ils avaient contribué à leur propre dommage en emportant des objets de valeur malgré les recommandations reçues et en refusant de les conserver sur eux durant les visites.

Les époux interjetèrent appel et formèrent pour la première fois en cause d’appel une demande de condamnation in solidum contre l’organisateur du circuit. Ce dernier souleva l’irrecevabilité de cette prétention comme nouvelle au sens de l’article 564 du code de procédure civile. Sur le fond, l’agence invoquait le fait imprévisible et insurmontable d’un tiers ainsi que la faute des voyageurs pour s’exonérer de sa responsabilité de plein droit.

La question posée à la cour était double. Elle devait d’abord déterminer si une demande dirigée pour la première fois en appel contre une partie déjà présente en première instance, mais contre laquelle aucune prétention n’avait été formée, constituait une demande nouvelle irrecevable. Elle devait ensuite préciser les conditions dans lesquelles une agence de voyages peut s’exonérer de sa responsabilité de plein droit et apprécier l’incidence du comportement du voyageur sur son droit à indemnisation.

La Cour d’appel de Paris déclare irrecevables les demandes formées contre l’organisateur comme nouvelles en appel. Sur le fond, elle retient la responsabilité de l’agence au titre de l’article L. 211-16 du code du tourisme. Elle juge que le vol n’était ni imprévisible, des panneaux sur le site alertant sur ce risque, ni insurmontable, l’agence ne démontrant pas que le parking était gardé. Elle considère toutefois que les voyageurs ont fait preuve de « légèreté » en laissant des biens de valeur dans le véhicule sans les emporter dans leurs sacs à dos, ce qui justifie une réduction de moitié de leur indemnisation. Elle condamne l’agence à verser 1 700 euros de dommages et intérêts et l’organisateur à garantir celle-ci.

Cet arrêt illustre la rigueur de l’irrecevabilité des demandes nouvelles en appel même lorsque le défendeur était présent en première instance (I) et précise l’articulation entre la responsabilité de plein droit de l’agence de voyages et le partage de responsabilité avec le voyageur imprudent (II).

I. L’irrecevabilité stricte des demandes nouvelles en appel

La cour fait une application rigoureuse du principe d’interdiction des prétentions nouvelles (A), dont la portée pratique mérite d’être mesurée (B).

A. L’application rigoureuse de l’article 564 du code de procédure civile

La cour rappelle que l’article 564 du code de procédure civile interdit aux parties de soumettre à la cour « de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ». Elle relève que les appelants n’avaient présenté « aucune demande directe contre [l’organisateur] pourtant présent à la procédure » en première instance. Leur demande de condamnation in solidum formée pour la première fois en appel « n’est pas la conséquence de l’intervention de la société […] en appel, ou de la survenance d’un fait nouveau » et se trouve donc irrecevable.

Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante. La présence d’une partie au procès de première instance, fût-ce à la suite d’un appel en garantie, n’autorise pas l’adversaire à former contre elle des demandes qu’il avait omis de présenter. L’exception tirée de « l’intervention d’un tiers » vise l’hypothèse d’une intervention nouvelle en cause d’appel, non celle d’une partie déjà dans la cause en première instance.

B. Les implications pratiques de cette rigueur procédurale

L’arrêt rappelle aux plaideurs l’importance de formuler dès la première instance toutes leurs prétentions contre l’ensemble des parties au procès. Le demandeur qui néglige de conclure contre un défendeur potentiel, même appelé en garantie par son adversaire direct, se prive de toute possibilité de le faire en appel. Cette règle, d’ordre public puisque l’irrecevabilité peut être relevée d’office, garantit le double degré de juridiction effectif et la loyauté des débats.

La solution retenue est conforme à la finalité de l’article 564 : éviter que l’appel ne devienne une voie de rattrapage permettant de pallier les carences stratégiques de première instance. Elle impose une vigilance particulière dans les contentieux impliquant plusieurs défendeurs solidaires ou tenus in solidum.

II. L’articulation entre responsabilité de plein droit et partage de responsabilité

La cour précise le régime d’exonération de l’agence de voyages (A) avant d’admettre un partage de responsabilité fondé sur l’imprudence du voyageur (B).

A. Le rejet des causes d’exonération totale de l’agence de voyages

L’article L. 211-16 du code du tourisme, dans sa version applicable, institue une responsabilité de plein droit de l’agence « de la bonne exécution des obligations résultant du contrat », assortie de trois causes d’exonération : la faute de l’acheteur, « le fait, imprévisible et insurmontable, d’un tiers étranger à la fourniture des prestations », ou la force majeure.

La cour écarte successivement ces moyens. Sur le caractère imprévisible du vol, elle observe que « des panneaux sur le site attiraient l’attention sur ce risque ». L’agence ne pouvait donc ignorer le danger auquel étaient exposés les véhicules stationnés. Sur le caractère insurmontable, la cour relève que « la société […] ne démontre pas que le parking était gardé » et qu’« il était certainement possible de trouver un parking gardé, ou si c’était impossible de recruter un gardien pour les deux heures de visite ». L’agence disposait ainsi de moyens pour prévenir le dommage.

Cette motivation s’inscrit dans une lecture stricte des conditions d’exonération. Le fait d’un tiers ne libère l’agence que s’il présente les caractères de la force majeure, soit l’imprévisibilité et l’irrésistibilité cumulées. La connaissance du risque par l’agence et l’existence de mesures préventives possibles excluent toute exonération totale.

B. La reconnaissance d’un partage de responsabilité avec le voyageur imprudent

Si l’agence demeure responsable, la cour admet que le comportement des voyageurs justifie une réduction de leur indemnisation. Elle relève qu’ils « ont fait preuve de légèreté s’ils ont emporté et laissé dans la voiture des biens d’une certaine valeur dont ils n’avaient pas nécessairement besoin pour un voyage de 7 jours, sans emporter les choses importantes ou précieuses dans un sac à dos pendant la visite ». Cette imprudence ne constitue pas une faute entraînant « l’exonération totale de responsabilité des sociétés de voyage, mais seulement une diminution de moitié de l’indemnisation ».

La cour distingue ainsi deux niveaux de faute du voyageur. Une faute grave, seule cause du dommage, justifierait une exonération totale. Une imprudence relative, qui a seulement contribué à aggraver les conséquences du vol, fonde un partage de responsabilité. Cette solution nuancée concilie la protection du consommateur, qui ne peut supporter seul les conséquences d’un vol survenu lors de l’exécution du forfait, avec le principe selon lequel nul ne doit profiter de sa propre négligence.

L’arrêt précise enfin que la non-souscription d’une assurance contre le vol « n’est pas une faute », d’autant que rien n’établit qu’une telle assurance ait été proposée aux voyageurs. Cette position protège le consommateur contre toute tentative d’instrumentalisation du refus d’assurance facultative pour limiter l’indemnisation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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