Cour d’appel de Paris, le 4 septembre 2025, n°23/06542

Par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 4 septembre 2025, un contentieux de travail temporaire oppose un salarié à une entreprise de travail temporaire et à une entreprise utilisatrice. Le salarié a accompli 545 missions successives sur des fonctions d’assistance aéroportuaire pendant plus de quatre ans, invoquant l’irrégularité des motifs de recours et le caractère durable de l’emploi. Le conseil de prud’hommes a requalifié la relation en contrat à durée indéterminée et à temps complet, puis a alloué diverses sommes.

En appel, les sociétés contestent la requalification, soulèvent la prescription et s’opposent aux rappels salariaux et aux sanctions complémentaires. Le salarié forme un appel incident et sollicite l’aggravation des condamnations, en s’appuyant sur la durée, la continuité des missions et le dépassement répété de la durée légale. La cour est saisie de la licéité du recours aux missions successives, de la date et de l’étendue des requalifications, ainsi que des effets indemnitaires et des griefs de travail dissimulé et de marchandage.

La cour retient la requalification en contrat à durée indéterminée dès le premier engagement irrégulier, puis en temps complet à une date rapprochée au vu des dépassements. Elle rappelle que « En cas de litige sur le motif de recours au travail temporaire, il incombe à l’entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif invoqué dans ce cadre ». Elle précise encore que « Il en résulte que le délai de prescription – dont la durée est déterminée par la nature de la créance invoquée – prévu à l’article L. 1471-1 du code du travail (puisque l’action en requalification du contrat de travail temporaire est soumise au délai de deux ans applicable aux actions en exécution du contrat de travail) ne court qu’à compter du terme du dernier contrat de mission en cas de demande en requalification fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée ». Elle en déduit, s’agissant du fond, qu’« Il y a donc lieu de requalifier cette relation de travail en un contrat à durée indéterminée, à compter du premier contrat irrégulier, à savoir celui du 15 juin 2017, les périodes d’inter-contrats correspondant à l’inactivité de l’entreprise utilisatrice lors des confinements pour cause de pandémie de Covid-19 et ne pouvant donc justifier les interruptions délibérées dans la relation de travail qui sont alléguées ».

I. La requalification en contrat à durée indéterminée et à temps complet

A. Le recours aux missions successives à l’épreuve de l’activité normale

La cour pose d’abord la clé d’interprétation de l’économie du travail temporaire. Elle énonce que « Aux termes de ces articles du code du travail, la possibilité donnée à l’entreprise utilisatrice de recourir à des missions successives avec le même salarié, que ce soit pour remplacer un ou des salariés absents ou pour faire face à un accroissement temporaire d’activité, ne peut avoir pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente ». Cette affirmation articule la finalité temporaire des missions avec la prohibition de couvrir un besoin structurel.

La charge de la preuve pèse sur l’entreprise utilisatrice, tenue de justifier de la réalité et du caractère temporaire du motif. Faute d’éléments concrets établissant des remplacements identifiés ou des pics datés et circonscrits, le faisceau d’indices tiré de la répétition, de l’identité des tâches et de la durée caractérise l’emploi durable. La cour retient ainsi la requalification au premier contrat irrégulier, tout en écartant l’exception de prescription. Elle souligne, sur ce point, que « La principale critique du salarié étant relative aux motifs du recours aux contrats de mission, le délai de prescription n’a donc débuté qu’au terme du dernier contrat souscrit, soit en janvier 2022; aucune prescription n’est donc encourue en l’espèce ».

B. Le temps partiel dépassant la durée légale et ses conséquences

Le second pilier porte sur la durée du travail. La cour rappelle la règle selon laquelle « Lorsque les heures de travail du salarié à temps partiel dépassent la durée légale ou conventionnelle, le contrat de travail à temps partiel doit, à compter de la première irrégularité, être requalifié en contrat de travail à temps complet ». Les dépassements répétés au-delà de 35 heures, corroborés par les plannings produits, emportent donc requalification.

En conséquence, la cour décide que « En l’espèce, le salarié n’étant pas valablement contredit sur les durées de travail accomplies aux périodes qu’il a listées, il convient de requalifier la relation de travail à durée indéterminée en contrat à temps plein à compter du 4 juillet 2017 ». Les rappels de salaire sont toutefois circonscrits à la prescription triennale et ajustés pour les périodes d’inactivité directement liées à la pandémie, la disponibilité utile demeurant exigée. La prime de panier et la gratification annuelle conventionnelle suivent la requalification, dans la limite des périodes non prescrites.

II. Valeur et portée de la solution

A. Une construction conforme à la finalité du droit du travail temporaire

La solution articule de manière cohérente la normalité du contrat à durée indéterminée et l’exception temporaire. L’exigence probatoire renforcée à l’encontre de l’entreprise utilisatrice prévient le détournement des motifs de recours. La prescription, ancrée au dernier terme en cas de critique des motifs, sécurise l’effectivité du contrôle, en évitant qu’une succession fractionnée neutralise la contestation. Le choix d’une requalification au premier contrat irrégulier, combiné à une appréciation concrète de la disponibilité, ménage une réparation proportionnée et prévisible.

La motivation sur le temps complet se situe dans la droite ligne des principes régissant le temps partiel. Elle protège la clarté des horaires et interdit la normalisation d’horaires variables débordant structurellement la durée légale. La modulation des rappels en considération des périodes d’activité réduite témoigne d’un contrôle attentif du préjudice, sans excès indemnitaire.

B. Les effets pratiques et les limites contentieuses du raisonnement

La condamnation conjointe de l’entreprise de travail temporaire et de l’entreprise utilisatrice s’inscrit dans une logique de coresponsabilité, limitée par la mise à la charge exclusive de l’indemnité de requalification à l’utilisatrice. La cour circonscrit parallèlement les chefs indemnitaires. L’exécution déloyale est retenue à due mesure, sur la base de manquements identifiés et indemnisés de façon modérée. À l’inverse, l’absence de suivi médical n’est pas réparée faute de preuve d’un préjudice distinct.

Surtout, les qualifications pénales et quasi-pénales sont écartées avec netteté. S’agissant du marchandage, la cour affirme que « la simple requalification des contrats en contrat à durée indéterminée ne permet pas de caractériser le délit de marchandage ». Concernant le travail dissimulé, elle juge qu’« À défaut de démontrer un quelconque élément intentionnel dans les griefs que fait le salarié aux sociétés, la demande au titre d’un travail dissimulé doit être rejetée, par infirmation du jugement de première instance ». Cette rigueur dissocie utilement le contentieux de la requalification des atteintes exigeant un élément intentionnel.

Enfin, l’arrêt ordonne la remise des documents de fin de contrat et organise les intérêts, ainsi que le remboursement des allocations de chômage dans la limite légale. L’ensemble dessine une grille de risques claire pour les recours prolongés au travail temporaire, tout en préservant les frontières des qualifications sanctionnatrices.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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