Cour d’appel de Paris, le 4 septembre 2025, n°24/02397

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Par un arrêt du 4 septembre 2025, la cour d’appel de Paris (pôle 4, chambre 11) statue sur la prescription des demandes d’indemnisation formées par des victimes indirectes d’un accident de la circulation. Les faits tiennent à un accident survenu en 2009, suivi d’un référé-expertise ordonné en 2011 à la demande de la victime directe, avec un pré-rapport en décembre 2012 fixant la consolidation au 8 janvier 2011 et un délai de dires expirant le 21 janvier 2013. Une assignation au fond a été délivrée en 2022 par la victime directe et ses proches contre l’assureur, en présence de l’organisme social. Par ordonnance de 2024, le juge de la mise en état a déclaré prescrites toutes les demandes. Saisie de l’appel, la cour a, par arrêt du 26 septembre 2024, écarté la prescription opposée à la victime directe, rouvert les débats et interrogé d’office les parties sur la situation des proches, victimes par ricochet, non intervenus au référé. La question posée tient à l’effet, pour les victimes indirectes, d’une interruption de prescription résultant de la demande en référé et d’une suspension consécutive à l’expertise ordonnée avant tout procès, dès lors qu’elles n’y étaient pas parties. La cour répond en confirmant la prescription des demandes des proches et en réformant les dépens et frais irrépétibles, tout en rappelant que « La demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion » et que « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès ».

I. Portée des mécanismes d’interruption et de suspension

A. Fondements normatifs et principe de relativité
La cour s’appuie sur l’article 2226 du code civil, rappelant que « L’action en responsabilité née à raison d’un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte […] se prescrit par dix ans à compter de la date de consolidation du dommage initial ou aggravé ». Elle précise que le point de départ demeure la consolidation, et non la connaissance par la victime. Elle rappelle ensuite les effets du référé et de l’expertise avant tout procès, en citant les textes précités, ainsi que l’article 2242 selon lequel « L’interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance ». La motivation articule ces règles autour d’un principe de relativité subjective des actes de procédure, formulé en ces termes: « Il convient de relever que pour être interruptive de prescription la demande en justice doit émaner du créancier lui-même et être adressée au débiteur que l’on veut empêcher de prescrire ». La même logique gouverne la suspension au titre de l’expertise avant tout procès, la cour énonçant que celle-ci « ne joue qu’à son profit ».

B. Décompte des délais et faits pertinents
Appliquant ces principes, la cour constate une consolidation fixée à janvier 2011 et retient, pour la victime directe, une interruption par l’assignation en référé de 2011, puis une suspension durant l’expertise jusqu’en janvier 2013, d’où un nouveau délai expirant en 2023. À l’inverse, les proches n’ayant ni assigné en référé ni été parties à la mesure d’instruction, ils ne peuvent bénéficier ni de l’interruption ni de la suspension attachées aux diligences de la victime directe. La formule décisive, limpide, scelle la solution: « il en résulte qu’en application des articles 2241 et 2239 du code civil, ni l’interruption, ni la suspension du délai de prescription bénéficiant à la victime directe ne peuvent leur profiter ». Leurs demandes, introduites plus de dix ans après la consolidation, sont donc prescrites. La cour en tire les conséquences procédurales en confirmant ce chef, tout en ajustant la charge des dépens et l’indemnité sur le fondement de l’article 700.

II. Appréciation critique et conséquences

A. Cohérence systémique et protection des droits
La solution s’inscrit dans une lecture stricte, mais cohérente, de la relativité des actes processuels. L’interruption, parce qu’elle résulte d’une initiative personnelle, ne saurait produire effet pour un tiers, même victime par ricochet, qui n’a pas figuré à l’instance ni accompli d’acte conservatoire. La suspension de l’article 2239, étroitement finalisée par la conservation des droits de la partie à l’initiative de la mesure, « ne joue qu’à son profit », ce que confirme la motivation. Cette interprétation favorise la sécurité juridique en évitant des transmissions automatiques d’effets interruptifs à des tiers non constitués. Elle peut paraître sévère au regard de l’objectif protecteur de l’article 2226, qui embrasse pourtant les victimes indirectes dans son champ. Néanmoins, la distinction entre champ d’application matériel de la prescription décennale et efficacité subjective des actes interruptifs demeure nette et rationnelle.

B. Incidences pratiques et recommandations procédurales
Les conséquences pratiques sont claires. Les victimes indirectes doivent, sans délai, accomplir des actes utiles pour préserver leurs droits, soit par des demandes propres, soit en intervenant au référé-expertise initié par la victime directe. À défaut, leur action encourt une fin de non-recevoir inéluctable, comme le montre l’espèce. La solution incite les praticiens à joindre systématiquement les victimes par ricochet aux mesures d’instruction préalables, afin de leur faire bénéficier des effets d’interruption ou de suspension. Elle éclaire aussi la nécessaire vigilance sur le computation: délai décennal courant dès la consolidation, interruption circonscrite au demandeur en référé, puis suspension limitée durant l’expertise, avec un nouveau délai intégral, et non résiduel, à l’achèvement des opérations. Enfin, l’ajustement des dépens et des frais irrépétibles rappelle que la solution peut être fragmentée selon les positions des demandeurs, sans altérer l’économie de la prescription telle que retenue.

Ainsi, l’arrêt confirme une ligne jurisprudentielle nette, qui distingue, avec constance, l’extension matérielle de la prescription décennale aux victimes indirectes et l’exigence d’actes personnels pour en interrompre ou en suspendre le cours. Par les termes mêmes de la décision, « pour être interruptive de prescription la demande en justice doit émaner du créancier lui-même », tandis que la suspension « ne joue qu’à son profit ». L’économie du régime demeure lisible, les exigences procédurales également.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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