Cour d’appel de Paris, le 4 septembre 2025, n°24/18400

Une patiente, ayant subi une hémorragie du post-partum suivie d’une insuffisance rénale aiguë lors de son accouchement, a engagé une action en référé aux fins d’expertise médicale. La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 4 septembre 2025, était saisie de la question de la communication des pièces médicales protégées par le secret professionnel dans le cadre de cette expertise.

Les faits sont les suivants. Une femme enceinte de trente-neuf semaines a accouché par voie basse dans un établissement hospitalier privé, en raison d’une suspicion de macrosomie et dans un contexte de diabète gestationnel équilibré. Elle a subi une hémorragie du post-partum avec un saignement estimé entre 1 500 et 2 000 cc. Transférée le jour même dans un autre établissement, elle a présenté une insuffisance rénale aiguë et une nécrose corticale rénale bilatérale, l’hypothèse évoquée étant un choc hémorragique avec bas débit et probable surdosage médicamenteux. Depuis lors, elle est contrainte de subir des dialyses régulières et demeure en attente d’une greffe de rein.

La patiente a assigné en référé la clinique, plusieurs praticiens, l’AP-HP, l’ONIAM et la caisse primaire d’assurance maladie aux fins d’obtenir une expertise médicale. Par ordonnance du 22 octobre 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire de Créteil a ordonné cette expertise, en prévoyant que les défendeurs remettraient à l’expert les documents nécessaires, « à l’exclusion de documents médicaux protégés par le secret professionnel et relatifs à la victime sauf établir leur origine et sous réserve de l’accord de la victime sur leur divulgation ». La clinique et l’un des praticiens ont interjeté appel de cette disposition, contestant la subordination de la production des pièces médicales à l’accord préalable de la patiente. Les autres défendeurs ont formulé des demandes similaires. La patiente a soulevé l’irrecevabilité de l’appel pour défaut d’intérêt à agir, faisant valoir qu’elle avait consenti par écrit à la communication de son dossier médical.

La question posée à la cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer si les appelants justifiaient d’un intérêt à agir au jour de leur appel, alors que la patiente avait donné son accord le lendemain. Il convenait ensuite de statuer sur les modalités de communication des pièces médicales protégées par le secret professionnel dans le cadre de l’expertise ordonnée.

La cour d’appel de Paris a rejeté la fin de non-recevoir, jugeant que l’accord de la patiente n’avait été transmis que le lendemain de l’appel et que les conditions posées laissaient penser qu’elle entendait se réserver la possibilité de s’opposer à certaines communications. Constatant toutefois l’accord exprès de la patiente intervenu en cours d’instance, la cour a dit sans objet la demande d’infirmation et confirmé l’ordonnance entreprise.

Cet arrêt illustre l’articulation délicate entre le secret médical et les droits de la défense en matière d’expertise judiciaire (I), tout en éclairant les conditions d’appréciation de l’intérêt à agir en appel (II).

I. L’articulation entre secret médical et droits de la défense

La cour devait trancher le conflit entre deux impératifs fondamentaux : la protection du secret médical d’une part, le droit à un procès équitable d’autre part (A). La solution retenue repose sur le consentement exprès du patient (B).

A. Le conflit entre deux principes fondamentaux

Le secret médical constitue un principe général et absolu consacré par l’article L. 1110-4 du code de la santé publique. Il protège l’intimité du patient et garantit la relation de confiance avec les professionnels de santé. En l’espèce, la mission d’expertise ordonnée par le premier juge subordonnait la communication des pièces médicales à « l’accord de la victime sur leur divulgation ».

Les défendeurs invoquaient une atteinte disproportionnée à leurs droits de la défense et au principe de l’égalité des armes découlant de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ils soutenaient que « la libre faculté d’une partie d’interdire à une autre de produire les pièces nécessaires à sa défense contient nécessairement une atteinte disproportionnée à l’égalité des armes ».

Cette argumentation mérite attention. Dans un litige en responsabilité médicale, les établissements et praticiens mis en cause doivent pouvoir accéder aux éléments médicaux pour préparer utilement leur défense. La subordination de cette communication au bon vouloir du demandeur crée une asymétrie procédurale manifeste. Toutefois, le secret médical n’est pas un simple obstacle procédural ; il répond à des exigences constitutionnelles de protection de la vie privée.

B. Le rôle déterminant du consentement du patient

La cour a constaté que la patiente avait « manifesté dès le lendemain un premier accord pour la communication des pièces médicales dans le cadre de l’expertise ». Par un courrier du 18 avril 2025, elle avait donné « son accord à l’expert d’accéder à son dossier électronique pour y trouver les données nécessaires à la mesure d’instruction ».

La solution retenue repose sur une approche pragmatique. La cour relève qu’« il n’est fait état d’aucune difficulté dans cette communication et qui serait le fait de Mme [T] ». Elle en déduit que « compte tenu de ce consentement, il n’y a pas de débat sur la communication de ces pièces ». Cette formulation est significative : le consentement fait disparaître le litige, sans qu’il soit nécessaire de trancher la question de principe.

On peut toutefois regretter que la cour n’ait pas saisi l’occasion de clarifier davantage l’étendue des obligations des parties en matière de communication des pièces médicales. La jurisprudence antérieure de cette même cour avait parfois admis que les défendeurs puissent produire les pièces médicales sans que le secret puisse leur être opposé. En confirmant l’ordonnance tout en constatant le consentement, la cour évite de consacrer un principe général de levée automatique du secret en cas de demande d’expertise par le patient.

II. L’appréciation de l’intérêt à agir en appel

La recevabilité de l’appel supposait l’existence d’un intérêt au jour de la déclaration d’appel (A). La régularisation intervenue en cours d’instance a conduit la cour à constater que la demande d’infirmation était devenue sans objet (B).

A. L’appréciation de l’intérêt au jour de l’acte d’appel

Selon l’article 122 du code de procédure civile, le défaut d’intérêt constitue une fin de non-recevoir. La cour rappelle que « l’intérêt au succès ou au rejet d’une prétention s’apprécie au moment de l’engagement de l’action », en visant un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 27 janvier 2015.

La clinique et le praticien avaient interjeté appel le 29 octobre 2024. L’accord de la patiente, bien que daté du même jour, n’a été communiqué que le 30 octobre. La cour relève en outre que « des conditions étaient fixées » par la patiente, qui demandait à être informée de la transmission par le biais de son avocate et après lui avoir remis une copie en amont, « ce qui laissait penser qu’elle entendait encore se réserver la possibilité de s’opposer à une communication ».

Cette analyse est rigoureuse. L’intérêt à agir ne saurait disparaître rétroactivement du fait d’un événement postérieur à l’acte d’appel. Les appelants étaient fondés à contester une ordonnance qui conditionnait leur droit de produire des pièces à un accord qui n’était pas encore acquis. La formulation conditionnelle de l’accord initial, avec ses réserves, ne permettait pas de considérer que tout obstacle avait disparu.

B. Les conséquences de la régularisation en cours d’instance

La cour, après avoir rejeté la fin de non-recevoir, constate que l’accord exprès de la patiente rend « sans objet la demande d’infirmation de l’ordonnance entreprise ». Elle confirme donc l’ordonnance tout en ajoutant la constatation du consentement.

Cette solution procédurale évite à la cour de statuer sur le fond du débat relatif à l’articulation entre secret médical et droits de la défense. Elle présente l’avantage de la souplesse : le litige est apaisé sans que les principes soient remis en cause. Toutefois, elle laisse subsister une incertitude pour les situations futures où le patient n’accorderait pas son consentement.

La cour précise enfin que « la mesure d’instruction n’est diligentée que dans l’intérêt exclusif de la partie qui la demande, de sorte que les parties défenderesses ne peuvent pas être considérées comme partie perdante ». Cette formule justifie le partage des dépens et le rejet des demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle rappelle que l’expertise in futurum, même ordonnée à l’initiative du demandeur, ne préjuge pas de la solution au fond.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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