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Par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 septembre 2025, la formation sociale tranche un contentieux de faute inexcusable après un long parcours procédural mêlant inopposabilité, saisine de comités régionaux et qualification « hors tableau ». La question tient au périmètre du débat en faute inexcusable lorsque la prise en charge initiale a été décidée par la caisse, et à la méthode d’établissement du lien causal avec des hydrocarbures aromatiques polycycliques.
Un salarié ayant travaillé de 1955 à 1991 dans le secteur de l’électricité déclare, en 2012, une tumeur primitive de l’épithélium urinaire vésical, prise en charge au titre d’un tableau relatif aux dérivés de la houille. Le tribunal, en 2017, déclare la décision de prise en charge inopposable à l’employeur et rejette les demandes. Sur appel, la cour, en 2019, retient l’absence de conditions du tableau visé et ordonne la saisine d’un comité régional sur le fondement de l’article L. 461-1, alinéa 4, au titre d’huiles dérivées du pétrole. En 2024, un nouveau comité est désigné. En 2024 encore, un avis retient un lien direct et essentiel avec les hydrocarbures aromatiques polycycliques.
La décision commentée infirme l’inopposabilité, admet la contestation du caractère professionnel dans le cadre de la faute inexcusable, reconnaît l’origine « hors tableau » de la pathologie par exposition aux hydrocarbures aromatiques polycycliques et retient la faute inexcusable, avec majoration maximale de la rente et expertise sur les préjudices personnels. Elle rappelle d’abord la portée de l’autorité de la chose jugée et l’indépendance des rapports, puis ordonne la saisine du comité compétent et apprécie le lien causal à l’aune d’éléments convergents, avant d’examiner la conscience du danger et l’insuffisance des mesures de prévention.
I. L’office du juge en faute inexcusable et l’indépendance des rapports
A. L’impossibilité de discuter l’opposabilité et la persistance du débat sur l’imputabilité professionnelle
La cour rappelle, d’une part, la règle cardinale de l’autorité de la chose jugée au dispositif. Elle cite utilement que « Il résulte de ces dispositions que l’autorité de chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui fait l’objet d’un jugement et a été tranché dans son dispositif (…), les motifs, seraient-ils le soutien nécessaire du dispositif, n’ont pas autorité de chose jugée ». Le rappel borne le périmètre du litige dévolu à la juridiction d’appel, excluant toute extension par motifs.
D’autre part, le juge d’appel réaffirme l’autonomie des rapports caisse/assuré, caisse/employeur et salarié/employeur. L’arrêt reproduit que « les rapports entre la caisse primaire d’assurance maladie et l’assuré sont indépendants des rapports entre la caisse et l’employeur et des rapports entre le salarié et l’employeur ». Cette autonomie commande une double conséquence, au cœur du contentieux. D’un côté, « Le caractère définitif de la décision de prise en charge ne fait donc pas obstacle à la contestation, par l’employeur, du caractère professionnel de l’accident ou de la maladie lorsque sa faute inexcusable est recherchée ». De l’autre, « Il en résulte que l’employeur n’est pas recevable à contester à la faveur de cette instance l’opposabilité de la décision de prise en charge de l’accident, de la maladie ou de la rechute par la caisse primaire au titre de la législation sur les risques professionnels ».
Le raisonnement clarifie l’économie contentieuse. L’inopposabilité est écartée car étrangère à l’objet de l’instance, tandis que la discussion probatoire sur l’imputabilité professionnelle est recevable, parce que pertinente pour l’examen de la faute inexcusable.
B. Le pouvoir de requalification et la saisine du comité régional en présence d’un « hors tableau »
Le juge précise ensuite la portée d’un arrêt avant dire droit. Il cite l’article 482 du code de procédure civile : « Le jugement qui se borne, dans son dispositif, à ordonner une mesure d’instruction ou une mesure provisoire n’a pas, au principal, l’autorité de la chose jugée ». L’ordonnance antérieure de saisine d’un comité ne préjuge donc pas du fond, et n’interdit ni la requalification ni l’examen intégral de la causalité.
L’office du juge en faute inexcusable est également rappelé en droit positif. La cour énonce que « Il résulte de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale que la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, qui est indépendante de la prise en charge au titre de la législation professionnelle, n’implique pas que l’accident ou la maladie ait été préalablement déclaré à la caisse par la victime, la juridiction de sécurité sociale étant en mesure, après débat contradictoire, de rechercher si l’accident ou la maladie présente un caractère professionnel, et si l’assuré établit avoir été victime d’une faute inexcusable de l’employeur ». Corrélativement, en cas de pathologie ne remplissant pas les conditions d’un tableau ou non désignée, « Il s’en déduit que lorsque les conditions prévues au tableau ne sont pas remplies et que sont invoquées devant lui les dispositions des 3ème et 4ème alinéas de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, la juridiction doit saisir un CRRMP ».
La combinaison de ces principes autorise la juridiction à s’affranchir de la qualification initiale de la caisse et à solliciter un avis sur un fondement « hors tableau ». La méthode préserve la cohérence du débat, recentré sur la causalité et la prévention, qui structurent ensuite l’analyse au fond.
II. L’origine professionnelle « hors tableau » et la faute inexcusable retenues
A. L’établissement du lien « direct et essentiel » avec une exposition aux hydrocarbures aromatiques polycycliques
L’arrêt rappelle les conditions spécifiques du « hors tableau ». Il énonce que « La prise en charge d’une affection ‘hors tableaux’ est ainsi soumise l’exigence d’établir l’existence d’un lien non seulement ‘direct’ mais également ‘essentiel’ entre le travail et la pathologie. Et il appartient au salarié, qui ne bénéficie pas de la présomption d’imputabilité, d’établir ce lien direct et essentiel ». La cour confronte les déclarations circonstanciées de l’intéressé, les constats de l’enquête, les pièces médicales et les témoignages, à la littérature produite par l’employeur, jugée trop générale pour infirmer l’exposition alléguée.
Le dossier révèle des manipulations réitérées d’huiles minérales diélectriques durant plusieurs décennies, l’imprégnation des vêtements, des atmosphères de travail mal ventilées, ainsi que l’usage de solvants et produits pétroliers multiples. L’ingénieur conseil souligne des huiles « peu raffinées » avant les années 1980 et la présence possible d’hydrocarbures polycycliques aromatiques, notamment chauffés. Le comité saisi conclut, au vu des pièces médico‑administratives et de l’objet précis de la saisine, à l’existence d’un lien causal qualifié. Il est rapporté que « En conséquence, il y lieu de retenir un lien direct et essentiel entre l’affection essentielle présentée et le travail habituel de la victime ».
La cour retient alors l’origine professionnelle de la pathologie. Elle écarte l’argument tiré d’un délai de latence prétendument maximal de vingt ans, au regard d’éléments produits mentionnant des latences plus longues et de la nature même des cancers de la vessie. La démonstration repose sur un faisceau probant, renforcé par l’avis du comité et par la constance des expositions alléguées.
B. La conscience du danger, l’insuffisance des mesures et les conséquences indemnitaires
La faute inexcusable est caractérisée suivant le critère standard. La cour rappelle que « Le manquement à cette obligation légale à laquelle est tenue l’employeur envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le travailleur (…) et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». L’analyse situe la conscience du danger non au seul prisme des tableaux récents, mais à l’aune d’un corpus ancien sur les hydrocarbures et solvants.
L’arrêt relève que des textes et tableaux antérieurs à la cessation d’activité visaient déjà les goudrons, huiles minérales, solvants et dérivés halogénés, imposant surveillances et précautions. Les structures d’un grand employeur permettaient de suivre l’état des connaissances, tandis que les pièces ne documentent pas des protections adaptées contre les projections et inhalations répétées. L’argument fondé sur la date d’introduction de telle pathologie au sein d’un tableau spécifique est jugé inopérant, la maladie reconnue résultant d’expositions aux huiles dérivées du pétrole, susceptibles de contenir des hydrocarbures aromatiques polycycliques.
La reconnaissance de la faute inexcusable emporte la majoration de rente à son maximum légal et l’ouverture d’une réparation complémentaire des préjudices personnels. La cour ordonne une expertise médico‑légale sur les postes indemnisables non couverts par le livre IV, alloue une provision et rappelle le mécanisme d’avance des sommes par l’organisme social compétent, avec recours contre l’employeur. La solution, rigoureuse dans sa méthode, éclaire la portée pratique de l’indépendance des rapports, assure l’effectivité de la preuve « hors tableau » et confirme l’exigence de prévention dans les expositions anciennes aux huiles minérales.