Cour d’appel de Paris, le 5 septembre 2025, n°20/03955

La Cour d’appel de Paris, 5 septembre 2025, Pôle 6, chambre 13, se prononce sur l’opposabilité à l’employeur d’une prise en charge au titre du tableau 57 A. Un salarié a déclaré une maladie professionnelle le 10 octobre 2018 pour une douleur d’épaule, sur la base d’un certificat initial du 29 septembre 2018 décrivant une tendinite d’insertion du supra-épineux objectivée par IRM. La caisse a notifié la prise en charge le 12 février 2019. L’employeur a contesté devant la commission puis le tribunal, lequel a jugé la décision inopposable le 2 juin 2020, faute de preuve d’un questionnaire adressé à l’employeur.

La caisse interjette appel le 26 juin 2020. Elle soutient que la péremption ne peut courir avant la convocation, que le questionnaire a été valablement expédié et que la pathologie relève du tableau 57 A, l’IRM et l’avis du médecin-conseil établissant la désignation exacte. L’employeur invoque la péremption, conteste la preuve d’un envoi contradictoire et soutient que le caractère non calcifiant n’est pas démontré, l’IRM étant insuffisante pour le caractériser.

La question posée est triple. D’abord, déterminer si, en procédure d’appel orale et sans représentation obligatoire, la péremption pouvait être opposée avant la convocation. Ensuite, vérifier si l’envoi d’un questionnaire à l’employeur a été accompli conformément aux exigences du contradictoire. Enfin, apprécier si la caisse rapporte la preuve que la maladie désignée correspond aux conditions médico-légales du tableau 57 A, notamment quant au caractère non calcifiant.

La cour écarte la péremption en relevant que « la direction de la procédure leur échappe », et qu’« il ne saurait leur être imposé de solliciter la fixation de l’affaire à une audience à la seule fin d’interrompre le cours de la péremption ». Elle retient la preuve suffisante de l’envoi du questionnaire, en s’appuyant sur les données postales et le retour « pli avisé et non réclamé ». Sur le fond, elle juge que « l’avis du médecin-conseil repose donc sur un élément médical extrinsèque » et que « la condition de désignation de la maladie est donc caractérisée ». Le jugement est infirmé et l’opposabilité déclarée.

I. Le cadre processuel en contentieux social d’appel

A. Péremption et procédure orale sans représentation obligatoire

La cour articule le régime de la péremption autour de l’oralité d’appel et de l’absence de représentation obligatoire. Elle rappelle d’abord l’article 386 du code de procédure civile et l’économie des articles R. 142-11 et 946. Elle en déduit que, dans ce contentieux, « la direction de la procédure leur échappe », de sorte que l’initiative des diligences avant convocation n’incombe pas aux parties. La solution est confortée par la référence selon laquelle « il ne saurait leur être imposé de solliciter la fixation de l’affaire à une audience à la seule fin d’interrompre le cours de la péremption ». Ce considérant reprend la ligne de la deuxième chambre civile, qui prohibe de faire peser sur les plaideurs une obligation procédurale non prévue, dans une procédure gouvernée par l’oralité.

Cette position, d’une grande clarté, sécurise le calendrier procédural en matière sociale. Elle prévient des péremptions artificielles et maintient la cohérence avec l’article 6 § 1 de la Convention EDH. La solution s’inscrit dans une lecture pragmatique des textes spécifiques, qui réserve la charge des impulsions procédurales à la juridiction, sauf diligence spécialement mise à la charge des parties. Elle renforce, en pratique, la prévisibilité et la loyauté processuelle.

B. Contradiction de l’enquête et preuve de l’envoi du questionnaire

La cour retient que l’enquête prévue par l’article R. 441-11 du code de la sécurité sociale implique l’envoi d’un questionnaire à l’employeur lorsque la caisse l’estime nécessaire. Elle vérifie la réalité de l’envoi par la combinaison d’un recommandé horodaté, de l’accusé retourné et d’un suivi logistique détaillé. Elle énonce que « les informations données par les services postaux doivent être considérées comme des éléments faisant foi sauf preuve contraire ». Elle en conclut que le pli a été présenté « sans succès », puis restitué « pli avisé et non réclamé », de sorte que « la caisse a respecté les diligences qui lui incombent ».

Cette motivation est conforme aux décisions exigeant l’envoi à l’employeur, mais admettant une preuve par tout moyen, y compris le suivi postal. Elle refuse d’imputer à la caisse la non-réclamation du pli, sauf démonstration d’une carence de présentation. La sanction d’inopposabilité, retenue en première instance, cède ainsi lorsque l’obligation d’envoi est établie et que le défaut de retrait relève exclusivement de l’employeur. L’approche concilie l’exigence de contradictoire et l’effectivité administrative.

II. L’appréciation médico-légale de la désignation au tableau 57 A

A. Charge de la preuve et office du juge du fond

La cour réaffirme la répartition des charges probatoires en cas de contestation patronale. Elle rappelle qu’« en cas de contestation par l’employeur de la décision de prise en charge d’une affection au titre d’un tableau de maladie professionnelle, il incombe à l’organisme social de rapporter la preuve de la réunion des conditions exigées par le tableau ». Elle précise encore que « les juges du fond ne peuvent se contenter de l’avis favorable du médecin-conseil, sans rechercher si cet avis était fondé sur un élément médical extrinsèque ».

La méthode retenue respecte l’office du juge. Elle interdit l’automaticité d’un avis interne dénué de support, tout en admettant une preuve par tous moyens, y compris des éléments postérieurs. L’exigence d’un fondement extrinsèque ne rigidifie pas la preuve, mais garantit la vérifiabilité du diagnostic au regard de la désignation tabellaire. Elle s’aligne sur une jurisprudence constante, tournée vers la qualité de l’instruction et l’équilibre des droits.

B. IRM, caractère non calcifiant et suffisance de l’élément extrinsèque

La pathologie figurant au tableau 57 A suppose une « tendinopathie chronique non rompue non calcifiante (…) objectivée ». La cour constate que le certificat initial ne précise pas le caractère non calcifiant. Elle relève cependant que, dans le colloque, « l’avis du médecin-conseil repose donc sur un élément médical extrinsèque », l’IRM ayant été consultée et retenue comme document permettant de fixer la première constatation. Elle décide en conséquence que « la condition de désignation de la maladie est donc caractérisée ».

La critique adverse, fondée sur l’insuffisance alléguée de l’IRM pour différencier calcifiante et non calcifiante, n’est pas retenue. La cour juge qu’elle tend à imposer « un examen supplémentaire non prévu au tableau ». Cette appréciation, mesurée, évite de sur-créer des exigences probatoires non inscrites dans la norme tabellaire, tout en vérifiant que l’avis médical s’appuie sur un support objectivant. Elle confirme que l’élément extrinsèque peut être constitué par l’imagerie mentionnée par le tableau, appréciée souverainement, sans exiger, par principe, une radiographie additionnelle.

Cette solution valorise la cohérence médico-légale du dispositif tabellaire et prévient des contentieux dilatoires. Elle maintient la présomption d’origine lorsque la désignation est établie, tout en conservant au juge un contrôle probatoire réel et proportionné. Elle contribue ainsi à l’effectivité du régime des risques professionnels et à la sécurité juridique des décisions de prise en charge.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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