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Par un arrêt du 5 septembre 2025, la Cour d’appel de Paris (Pôle 6 – Chambre 12) tranche un contentieux d’opposabilité d’une prise en charge au titre du tableau 57 C. La juridiction d’appel contrôle la régularité de l’instruction et l’établissement des conditions de la présomption, au regard du délai de prise en charge et de l’exposition au risque.
La salariée, gestionnaire back office, a déclaré un syndrome du canal carpien et a obtenu la reconnaissance de la caisse. L’employeur a contesté l’opposabilité de cette décision, et le pôle social du tribunal judiciaire de Paris, le 4 octobre 2021, a fait droit à cette contestation. La caisse a interjeté appel.
Au soutien de l’opposabilité, la caisse invoquait la fixation d’une première constatation médicale antérieure à l’arrêt de travail et l’adéquation des tâches informatiques avec le risque visé au tableau. L’employeur arguait d’un délai dépassé, de l’insuffisance des justificatifs médicaux produits, d’une exposition non caractérisée en secteur tertiaire, et de l’absence de prise en compte du membre dominant.
La question posée tenait à l’articulation de la présomption d’origine professionnelle de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale avec la preuve de l’exposition effective pour le poignet pris en charge. La cour confirme l’inopposabilité, non pour un défaut de délai, mais en raison d’une preuve insuffisante de l’exposition au regard du membre dominant.
I. Le cadre du tableau 57 C et l’administration de la preuve
A. Première constatation médicale et rôle du médecin-conseil
La cour rappelle d’abord la structure de la présomption légale. Elle énonce que « Il s’en déduit que la présomption suppose deux conditions cumulatives : une médicale, la désignation de la maladie dans un tableau et une administrative, le respect des conditions de celui-ci, notamment de délais et d’exposition au risque professionnel. » L’analyse se déploie donc autour du diagnostic et des critères du tableau.
La détermination de la première constatation médicale relève de l’office du service médical, tenu d’apprécier l’entier dossier. La cour précise que « Sur ce point, il sera rappelé que le médecin conseil doit restituer à la maladie déclarée sa bonne dénomination, et fixer la date de première constatation médicale au regard de l’entier dossier médical, sans être tenu par les déclarations du salarié, ni le certificat médical initial. » Cette latitude est encadrée par l’exigence d’indiquer la nature et la date des examens.
La confidentialité des pièces cliniques est préservée sans fragiliser le contrôle juridictionnel. La décision ajoute : « S’il est tenu de donner la nature des examens pratiqués et leur date, rien ne l’oblige à citer le nom du professionnel qui l’a réalisé, et encore moins de produire le compte-rendu protégé par le secret médical qui protège le salarié. » Ce rappel évite une dérive formaliste, tout en maintenant l’exigence de traçabilité des éléments de diagnostic.
Au fond, le critère temporel est jugé rempli par la cour, sur la base de l’examen électrophysiologique. Elle juge que « La date du 7 mars 2017 étant antérieure à la date de son premier arrêt de travail du 18 septembre 2017, la condition tenant au délai de prise en charge ne peut qu’être considérée comme satisfaite. » Le motif neutralise la critique relative au certificat initial et recentre l’analyse sur l’examen contributif.
B. Exposition habituelle et prise en compte du membre dominant
Reste la condition d’exposition au risque, dont la définition est substantielle en tableau 57 C. La cour rappelle que « Quant à l’exposition au risque, le tableau 57 C des maladies professionnelles pose une présomption d’origine professionnelle, dès lors que le salarié justifie de travaux comportant de façon habituelle, soit des mouvements répétés ou prolongés d’extension du poignet ou de préhension de la main, soit un appui carpien, soit une pression prolongée ou répétée sur le talon de la main. » Le texte fixe un faisceau représentatif de gestes et appuis caractéristiques.
L’argument tenant au secteur d’activité est écarté, au profit d’une appréciation concrète des fonctions. La cour énonce clairement que « La référence au secteur d’activité est inopérante puisqu’en l’espèce, seules importent les fonctions réellement exercées. » En cela, la réalisation de tâches informatiques prolongées peut, en principe, satisfaire l’exigence d’appuis carpiens habituels.
Cependant, un élément décisif emporte la solution défavorable à l’opposabilité. La cour souligne que « Cependant, il a parfaitement raison d’affirmer qu’il devrait être tenu compte du membre dominant. » L’absence de toute précision sur la latéralité fait obstacle à l’attribution de l’exposition au poignet effectivement pris en charge, ce qui affaiblit la chaîne probatoire.
La cour récuse aussi les objections spéculatives, mais sans renverser la charge exigée de la caisse. Elle indique à cet égard : « Pour s’opposer à ses constats, on ne saurait se contenter d’alléguer l’improbabilité d’avoir une date d’apparition de la maladie identique sur les deux poignets, ou d’un canal carpien bilatéral. » La critique d’une bilatéralité improbable n’emporte pas la conviction, mais la lacune sur le membre dominant demeure déterminante.
II. Portée normative et incidences pratiques
A. Un contrôle proportionné des pièces et de la présomption
La solution retient un équilibre mesuré entre sécurité juridique et effectivité de la présomption. La validation du délai à partir d’un examen de référence, dûment daté, évite une interprétation restrictive du certificat initial, souvent sommaire par nature. L’extrait « La date du 7 mars 2017 étant antérieure à la date de son premier arrêt de travail […] la condition […] ne peut qu’être considérée comme satisfaite » consacre une orthodoxie conforme à la finalité probatoire du tableau.
La mise au point sur le secret médical conforte un régime probatoire cohérent. L’affirmation selon laquelle « S’il est tenu de donner la nature des examens pratiqués et leur date, rien ne l’oblige […] de produire le compte-rendu » prévient une exigence disproportionnée et préserve les droits du salarié. Cette ligne est conforme à l’économie des tableaux de maladies professionnelles, centrée sur des critères objectifs et vérifiables.
La réserve introduite par l’exigence de latéralité n’affaiblit pas la présomption, mais en précise le périmètre d’application. Elle évite une transposition mécanique à un poignet dont l’exposition n’est pas démontrée, et rappelle que la présomption n’exonère pas de toute preuve d’adéquation factuelle. L’office du juge en sort clarifié, par un contrôle ciblé et non intrusif.
B. Conséquences pour l’instruction des dossiers du secteur tertiaire
Sur le terrain pratique, la décision incite les caisses à systématiser la collecte d’informations relatives au membre dominant lors de l’instruction des tableaux impliquant une latéralité. L’identification du côté dominant devient un élément utile de rattachement de l’exposition au segment anatomique pris en charge, tout spécialement pour les TMS unilatéraux. À défaut, le risque d’inopposabilité s’accroît, malgré des tâches objectivement compatibles avec le tableau.
L’arrêt rappelle également que l’environnement tertiaire ne neutralise pas, par lui-même, la présomption. La formule « La référence au secteur d’activité est inopérante puisqu’en l’espèce, seules importent les fonctions réellement exercées » renforce l’idée que la bureautique intensive peut répondre aux critères d’appuis et de pressions répétés. L’accent se déplace vers la description précise des gestes, des durées et des postures au poste.
Enfin, l’exigence de rigueur sur la latéralité oriente les pratiques d’instruction vers une meilleure traçabilité des tâches manuelles dominantes, quitte à solliciter, en cas d’incertitude persistante, une expertise complémentaire. La cohérence probatoire y gagne, tandis que la charge contentieuse pourrait se déplacer vers la qualification unilatérale ou bilatérale des atteintes et leur répartition temporelle. Cette clarification, sans rigidité excessive, consolide la sécurité des décisions opposables.