Cour d’appel de Paris, le 5 septembre 2025, n°22/02111

Par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 5 septembre 2025, la juridiction, Pôle 6 – chambre 12, confirme l’opposabilité de la prise en charge d’un accident du travail et refuse l’expertise sollicitée. Le litige oppose un employeur à l’organisme de sécurité sociale au sujet de l’imputabilité des arrêts et soins jusqu’à la consolidation, après un accident déclaré sur un site d’une entreprise utilisatrice.

Les faits tiennent à un accident survenu le 12 décembre 2018 lors de la conduite d’un engin, immédiatement suivi d’un traumatisme facial et de douleurs dorsales. Un certificat médical initial est établi le lendemain avec arrêt prescrit et prolongé jusqu’au 8 juillet 2019, date de consolidation. La déclaration patronale est tardive, mais la première constatation médicale intervient dans un temps voisin et détaille des lésions thoraco‑dorsales.

La décision de prise en charge est notifiée après instruction, puis confirmée par la commission de recours amiable. Saisi d’un recours, le pôle social du tribunal judiciaire d’Auxerre, le 17 décembre 2021, déclare la prise en charge opposable, refuse l’expertise, et condamne l’employeur aux dépens. L’employeur interjette appel en soutenant que seule une période limitée serait imputable au fait accidentel et qu’une mesure d’instruction s’imposerait.

La question posée concerne l’étendue de la présomption d’imputabilité aux arrêts et soins jusqu’à la consolidation et les conditions de son renversement par la preuve d’une cause totalement étrangère au travail. Elle porte aussi sur l’office du juge saisi d’une demande d’expertise médicale au regard du secret médical et de l’égalité des armes.

La Cour d’appel confirme l’opposabilité de la prise en charge. Elle retient l’application de la présomption légale d’imputabilité, juge la matérialité de l’accident établie, et considère la preuve contraire insuffisante. Elle rejette l’expertise, estime le dossier suffisamment éclairé, et rappelle l’exigence d’éléments sérieux pour instruire.

I. La présomption d’imputabilité et sa mise en œuvre

A. Définition de l’accident et ancrage de la présomption

La juridiction rappelle que « L’accident du travail est ainsi légalement caractérisé par la réunion de trois éléments ». Ce rappel structure le raisonnement autour de l’événement daté, de la lésion objectivée et du lien au travail, ce dernier bénéficiant d’une présomption lorsqu’il survient au temps et au lieu de l’exécution.

Elle précise ensuite un pivot central: « Il résulte également de cet article une présomption d’imputabilité de l’accident survenu au temps et au lieu de travail laquelle ne peut être combattue que par la preuve d’une cause totalement étrangère au travail. » Le standard probatoire est élevé; il ne suffit pas d’opposer un état antérieur ou une déclaration tardive, surtout si un certificat initial constate rapidement des lésions cohérentes.

Le juge du fond vérifie classiquement la matérialité. Il souligne que la tardiveté de l’avertissement à l’employeur ne détruit pas la preuve, dès lors que des constatations médicales proches de l’événement corroborent les lésions et que des éléments extérieurs confirment la survenance sur le lieu et dans le temps du travail. Cette articulation rejoint la ligne antérieure qui réserve la charge du renversement à celui qui invoque une cause étrangère exclusive.

B. Portée temporelle jusqu’à la consolidation et contenu effectif

La Cour précise la durée de la couverture présumée par un attendu de principe: « En second lieu, d’une part, il résulte de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, que la présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d’un arrêt de travail, s’étend à toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime. » L’accent est mis sur l’arrêt initial, qui déclenche l’extension de la présomption jusqu’à la consolidation, sauf preuve contraire.

Elle en déduit une portée large, cohérente avec la jurisprudence de la deuxième chambre civile: « Ainsi, la présomption d’imputabilité à l’accident des soins et arrêts subséquents trouve à s’appliquer aux lésions initiales, à leurs complications, à l’état pathologique antérieur aggravé par l’accident, mais également aux lésions nouvelles apparues dans les suites de l’accident. » La solution englobe donc les aggravations d’un état antérieur, sous réserve d’un lien aux suites de l’accident, et non la seule stricte lésion initiale.

La Cour refuse ensuite d’exiger de l’organisme des justifications médicales détaillées pour chaque prolongation, au risque d’inverser la charge de la preuve contraire. Elle rappelle l’orthodoxie probatoire et recentre l’analyse sur la consistance des éléments adverses. Cette position, conforme aux arrêts de 2021 et 2022 sur la présomption et son renversement, conforte la sécurité juridique des suites d’accident jusqu’à la consolidation.

II. Le contrôle du juge et le débat probatoire

A. Les exigences pesant sur l’employeur et l’office souverain du juge

La Cour rappelle une règle de compétence décisive: « Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l’occasion du travail (Soc., 20 décembre 2001, Bulletin civil 2001, V, n° 397). » Cette souveraineté se conjugue avec la présomption légale, qui ne dispense pas de vérifier la matérialité et la continuité clinique.

L’employeur versait un avis médical critiquant l’étendue des arrêts au regard d’un état dégénératif supposé. La Cour signale ses limites: lecture incomplète du certificat initial, généralités sur des durées indicatives, et surtout absence d’analyse démontrant l’autonomie évolutive d’un état antérieur. Faute d’éléments graves, précis et concordants, la preuve d’une cause entièrement étrangère n’est pas rapportée.

Ainsi, la Cour maintient la ligne selon laquelle l’existence d’une pathologie préexistante ne suffit pas. Il faut établir qu’elle a évolué pour son propre compte, sans aggravation imputable, ce qui suppose une argumentation médicale circonstanciée. L’arrêt conforte une conception stricte du renversement, conforme aux décisions qui rejettent les critiques abstraites sur les durées d’arrêt.

B. Le refus d’expertise et l’égalité des armes sous contrôle

La juridiction cadre utilement l’office du juge de l’instruction. Elle cite la Cour européenne des droits de l’homme: « Elle a jugé que le fait que l’expertise ne soit pas ordonnée dans tous les cas où l’employeur la demande, mais qu’elle ne soit décidée que dans le cas où la juridiction s’estime insuffisamment informée, est conforme aux exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en matière de procès équitable. » Le refus d’expertise n’est donc pas suspect s’il existe un dossier suffisant et un débat contradictoire réel.

Le secret médical justifie que les pièces détenues par le service médical ne soient pas intégralement communiquées, sans créer d’avantage procédural décisif. Le juge peut trancher sur la base des certificats, des arrêts prescrits, des dates de consolidation, et des appréciations accessibles, lorsque les éléments techniques soumis permettent une appréciation informée.

En l’espèce, la Cour retient que les certificats successifs décrivent une continuité douloureuse thoraco‑lombaire dès l’amont, cohérente avec la première constatation. Le désaccord médical produit ne renverse pas la présomption et ne révèle pas de difficulté technique irrésolue. Le refus d’expertise se justifie alors, ce qui rejoint la solution posée par la deuxième chambre civile sur l’usage mesuré des mesures d’instruction.

Au total, l’arrêt affirme la rigueur du régime probatoire applicable aux suites d’accident avec arrêt initial, et encadre l’expertise comme instrument subsidiaire. Cette position renforce la lisibilité du contentieux AT‑MP, sécurise la consolidation comme borne temporelle, et exige des contestations patronales une démonstration substantielle, médicalement étayée et directement pertinente.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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