Cour d’appel de Paris, le 5 septembre 2025, n°22/02916

Par un arrêt du 5 septembre 2025, Cour d’appel de Paris, pôle 6 chambre 12, le juge confirme l’opposabilité à l’employeur d’arrêts consécutifs à un accident du travail. L’assurée, agent d’entretien, a chuté le 16 avril 2019 en glissant, un certificat initial mentionnant des douleurs dorsales et un arrêt jusqu’au 18 avril. La caisse a pris en charge l’accident au titre professionnel, la consolidation ayant été ultérieurement fixée au 15 octobre 2019 par le service médical.

Contestant l’opposabilité des soins et arrêts à compter du 15 mai 2019, l’employeur a saisi le pôle social du tribunal judiciaire d’Evry. Par jugement du 18 janvier 2022, le recours a été rejeté, au motif d’une présomption d’imputabilité non renversée et d’une continuité suffisante des certificats versés. L’appel formé le 14 février 2022 sollicitait l’inopposabilité postérieure au 15 mai, sur le fondement d’un avis de médecin consultant évoquant un état antérieur sciatique.

Le litige posait la détermination de l’étendue de la présomption d’imputabilité de l’article L. 411-1 et la charge probatoire en contestation d’opposabilité. La cour rappelle que, selon l’arrêt, « Il résulte de l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, que la présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d’un arrêt de travail, s’étend à toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime. » Elle juge en conséquence que « Il appartient à l’employeur qui conteste cette présomption d’apporter la preuve contraire, à savoir celle de l’existence d’un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l’accident ou la maladie ou d’une cause extérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs (2e Civ., 12 mai 2022, pourvoi n° 20-20.655). » Le moyen tiré d’une insuffisante justification médicale par la caisse est écarté, la décision énonçant que « La cour ne peut, sans inverser la charge de la preuve demander à la Caisse de produire les motifs médicaux ayant justifié de la continuité des soins et arrêts prescrits sur l’ensemble de la période. »

L’arrêt confirme ainsi le jugement, retient une présomption couvrant les lésions initiales, leurs complications et les lésions nouvelles, et condamne l’employeur aux dépens et frais irrépétibles. Il convient d’exposer le sens de la solution, puis d’en apprécier la valeur et la portée.

I. Le régime et la portée de la présomption d’imputabilité

A. Le rappel normatif et la confirmation jurisprudentielle

L’arrêt s’inscrit dans une construction constante sur la force de la présomption attachée à l’article L. 411-1 lorsque un arrêt initial est prescrit. La motivation cite la règle avec précision, puis l’articule aux décisions de la deuxième chambre civile de 2021 et 2022, renforçant l’extension temporelle jusqu’à la consolidation. Elle reproduit utilement que « Ainsi, la présomption d’imputabilité à l’accident des soins et arrêts subséquents trouve à s’appliquer aux lésions initiales, à leurs complications, à l’état pathologique antérieur aggravé par l’accident, mais également aux lésions nouvelles apparues dans les suites de l’accident (2e Civ., 24 juin 2021, pourvoi n° 19-24.945) et à l’ensemble des arrêts de travail, qu’ils soient continus ou non. »

Cette formulation consacre une présomption large, détachée de la stricte continuité matérielle des soins, déjà admise par 2e Civ., 18 février 2021, n° 19-21.940. Le principe est gouverné par l’existence d’un arrêt initial, condition objectivable, qui emporte l’imputabilité des suites jusqu’à guérison complète ou consolidation. Ce choix évite un contentieux de l’intensité des symptômes, souvent fluctuant, et place l’enjeu probatoire sur l’exception de cause étrangère exclusive.

B. La charge probatoire et le refus d’inversion

La décision précise la charge de la preuve avec constance, en rappelant la règle suivante, qui lie le juge de l’opposabilité. Elle énonce que « Il appartient à l’employeur qui conteste cette présomption d’apporter la preuve contraire », et non à la caisse d’établir un lien direct et exclusif. Le corollaire est explicite, puisque « La cour ne peut, sans inverser la charge de la preuve demander à la Caisse de produire les motifs médicaux » justifiant chaque prolongation.

La solution protège l’économie de la présomption et évite de convertir les articles R. 442-1 et R. 442-2 en conditions d’opposabilité non prévues par le texte. Elle incite l’employeur à rapporter un élément objectif, apte à établir une cause totalement étrangère ou un état antérieur évoluant pour son propre compte. Cette exigence cantonne le débat à des preuves positives, comme imagerie pertinente ou antécédents documentés, plutôt qu’à des hypothèses médicales générales.

Reste à apprécier la cohérence de l’application in concreto et les effets pratiques de cette affirmation jurisprudentielle.

II. La mise en œuvre in concreto et les conséquences

A. L’appréciation factuelle dans l’espèce jugée

Le juge du fond retient une série ininterrompue de certificats décrivant des dorsalgies aiguës, puis des sciatalgies, dans une temporalité proche de l’accident initial. Il constate que le certificat initial prescrivait un arrêt, conditionnant la présomption, et que les prolongations mentionnaient la persistance de douleurs rachidiennes sévères. Le moyen tenant à la sciatique est écarté, faute d’explication convaincante sur l’incompatibilité alléguée et l’existence avérée d’un état antérieur autonome.

La motivation souligne que les observations médicales produites demeurent générales et imprécises, en l’absence d’examens complémentaires communiqués ou d’antécédents objectivés. Elle en tire que la présomption n’est pas renversée, la preuve d’une cause totalement étrangère ou d’un état évoluant pour son compte faisant défaut. Cette appréciation s’accorde avec la logique probatoire inhérente, qui proscrit l’édification d’un doute au seul motif de la durée des arrêts.

B. Les effets sur la pratique contentieuse et la sécurité juridique

La décision renforce la stabilité de la prise en charge, en verrouillant l’opposabilité tant que persiste l’incapacité antérieure à la consolidation médicalement fixée. Elle confirme la jurisprudence assignant à l’employeur une preuve qualifiée, qui doit établir l’exclusivité d’une cause étrangère, et non une simple alternative explicative. Le rappel de l’extension aux lésions nouvelles éclaire la qualification de phénomènes radiculaires apparus dans un bref délai.

Sur le terrain opérationnel, la contestation efficace suppose une stratégie probatoire structurée, mobilisant expertise rapide, dossiers médicaux antérieurs et analyses d’imagerie rigoureusement corrélées. À défaut, la présomption joue pleinement, conformément à 2e Civ., 10 novembre 2022, n° 21-14.508, qui interdit d’exiger de la caisse des justifications médicales systématiques. La cohérence d’ensemble accroît la sécurité des assurés, tout en appelant des pratiques d’audit médical plus précoces du côté des employeurs contestataires.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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