Cour d’appel de Paris, le 5 septembre 2025, n°22/05171

La Cour d’appel de Paris, 5 septembre 2025, Pôle 6 – chambre 12, statue sur l’appel d’une salariée déboutée en première instance de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur à la suite d’un accident du travail. Les faits tiennent à une chute d’escabeau en réserve, lors d’opérations de rangement relevant des fonctions de vendeuse, l’accident ayant été reconnu au titre de la législation professionnelle et l’état consolidé sans séquelles fin 2016. Saisie en 2020, la juridiction de première instance a rejeté la demande, considérant la preuve insuffisante; l’appelante persiste et sollicite la reconnaissance de la faute inexcusable, la majoration de la prestation, une expertise élargie des préjudices, tandis que l’employeur conteste toute conscience du danger et toute défectuosité du matériel. Le litige porte sur la caractérisation de la faute inexcusable au regard des risques du travail en hauteur par escabeau, de la portée du document unique d’évaluation des risques et des mesures de prévention démontrées. La cour infirme, retient la faute inexcusable, rejette la majoration faute de rente ou capital, ordonne une expertise fondée sur l’extension issue du contrôle de constitutionnalité, et renvoie pour liquidation.

I. La caractérisation de la faute inexcusable

A. Le cadre normatif et probatoire rappelé
La cour rappelle les obligations de sécurité qui pèsent sur l’employeur et la définition jurisprudentielle de la faute inexcusable. Elle énonce que « l’employeur est tenu envers le salarié d’une obligation de sécurité de résultat, et le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable au sens de l’article L. 452-1 du code de sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger […] et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». La charge alléguée est distribuée avec clarté, puisque « il incombe au salarié qui invoque la faute inexcusable de son employeur de rapporter la preuve que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger […]. Il appartient alors à l’employeur de démontrer qu’il a pris les mesures nécessaires pour préserver son salarié ». En outre, la causalité est appréciée de manière extensive, la cour rappelant qu’« il est indifférent que la faute inexcusable […] ait été la cause déterminante de l’accident […]; il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire ». L’office du juge est enfin précisé par une appréciation objectivée du risque: « la conscience du danger doit être appréciée objectivement par rapport à la connaissance de ses devoirs et obligations que doit avoir un employeur dans son secteur d’activité ». Le cadre offre ainsi un triptyque cohérent: connaissance du danger, insuffisance des mesures, causalité nécessaire.

B. L’application aux faits: DUER, alerte et formation
La cour écarte d’abord la preuve d’une alerte interne suffisante, retenant que « on ne peut donc retenir l’existence d’une alerte au sens de l’article L. 4131-4 du code du travail ». Elle précise la distinction opératoire entre dispositifs d’accès en hauteur: « or on ne peut assimiler les dangers d’un escabeau qui comporte de vraies marches, une plate-forme et une barre permettant d’assurer la stabilité […] à une échelle simplement posée sur un mur et sans aucune stabilité ». Cette mise au point neutralise des pièces postérieures relatives aux échelles, sans éluder pour autant le risque propre aux escabeaux dans l’environnement considéré. Le pivot probatoire réside dans le document unique d’évaluation des risques, dont il est relevé que « le document unique d’évaluation des risques vise bien le risque de chute de hauteur: escalier, escabeaux…, risque décrit comme grave et de fréquence très probable », assorti de mesures existantes ou à mettre en place, incluant la formation, les dispositifs antidérapants et la présence d’une seconde personne en parade. Faute pour l’employeur de justifier de la formation effective au travail en hauteur, la cour constate le défaut de mesures adaptées et, corrélativement, la conscience du danger, ce qui emporte la reconnaissance de la faute inexcusable. La solution résulte d’un enchaînement sobre: risque identifié au DUER, lacune probatoire des mesures, et lien nécessaire.

II. Valeur et portée de la solution

A. Une motivation conforme et nuancée
La motivation s’inscrit dans la ligne de la Cour de cassation quant aux arrêts fondateurs sur la faute inexcusable, qui exigent la connaissance du danger et l’insuffisance des mesures de prévention, sans requérir une causalité déterminante. Le recours au DUER comme indice central de la conscience du risque renforce l’objectivation attendue du devoir de sécurité, et transpose correctement l’exigence de prévention primaire. La cour adopte une approche pragmatique en dissociant l’insuffisance de l’alerte interne, peu probante et postérieure, de la preuve autonome de la connaissance du danger issue du DUER, plus robuste et contemporaine du risque. La distinction entre échelle et escabeau évite un glissement probatoire contestable, tout en rappelant que le travail en hauteur demeure intrinsèquement dangereux, ce que le DUER atteste expressément. La charge de démonstration de la formation, reposant sur l’employeur, apparaît cohérente avec la structure de l’obligation légale et avec l’idée que le salarié n’a pas à prouver une carence spécifique lorsqu’un risque grave et très probable est déjà cartographié.

B. Conséquences indemnitaires et trajectoire contentieuse
Sur les suites indemnitaires, la cour articule clairement le régime légal. La majoration de rente ou de capital est écartée, l’absence d’attribution préalable de ces prestations excluant l’accessoire. L’expertise est en revanche ordonnée avec une mission élargie, la cour précisant qu’« il sera tenu compte tout à la fois de la décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 et de la jurisprudence qui s’en est suivie, en élargissant le droit à réparation au-delà du cadre strict de l’article L. 452-3 ». Cette orientation consacre la réparation des postes extra-patrimoniaux autonomes, y compris les déficits fonctionnels, le besoin d’aide humaine et les aménagements nécessaires, sous réserve des exclusions non médicales. Le financement procédural est aligné sur le droit positif, puisqu’« [l]a caisse avancera les frais d’expertise en application de l’article L. 144-5 du code de sécurité sociale », avec recours en inscription au passif de l’employeur pour les avances liées à la faute inexcusable. Le sursis à statuer et le renvoi devant la juridiction sociale de première instance préservent le double degré de juridiction pour la liquidation, tout en sécurisant la base factuelle par une expertise médico-légale précise. L’ensemble produit un équilibre entre rigueur des conditions de la faute inexcusable, effectivité de la prévention, et complétude de la réparation dans le cadre circonscrit par le contrôle de constitutionnalité.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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