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Cour d’appel de Paris, 5 septembre 2025. Sur appel d’un jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bobigny le 14 avril 2022, un employeur contestait l’opposabilité de la prise en charge des arrêts et soins consécutifs à un accident du travail déclaré le 2 juillet 2018, jusqu’à la consolidation fixée au 30 novembre 2020. Les faits se résument à une luxation d’épaule médicalement constatée le jour même, ayant entraîné des arrêts prolongés. La procédure a connu un recours préalable demeuré sans avis de la commission médicale, puis un rejet au fond, l’employeur sollicitant en appel une expertise et l’inopposabilité. L’employeur soutenait l’absence d’accès aux pièces médicales en amont et l’existence d’un commencement de preuve contre l’imputabilité prolongée. L’organisme social opposait la présomption d’imputabilité jusqu’à la consolidation et l’absence de preuve d’une cause totalement étrangère. La question de droit portait sur l’étendue de la présomption d’imputabilité et sur l’opportunité d’une mesure d’expertise au regard des garanties du contradictoire. La cour confirme, refuse l’expertise, et juge l’opposabilité établie.
I – Le cadre normatif de l’imputabilité et de l’instruction
A – Portée de la présomption légale
Le fondement textuel tient à l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale et à son interprétation constante. La cour rappelle que « Ainsi, et sans que la Caisse n’ait à justifier de la continuité des symptômes et des soins à compter de l’accident initial, l’incapacité et les soins en découlant sont présumés imputables à celui-ci sauf pour l’employeur à rapporter la preuve de l’existence d’un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l’accident ou d’une cause postérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs. » Cette phrase situe la charge probatoire avec précision. Elle interdit de subordonner la présomption à une continuité des symptômes et déplace l’effort probatoire vers l’employeur.
La décision précise encore la logique probatoire en des termes dépourvus d’ambiguïté, utiles à l’office du juge. La formule « Sauf à inverser la charge de la preuve, ce n’est donc pas à la Caisse de prouver que les soins et arrêts de travail pris en charge sont exclusivement imputables à l’accident du travail, mais à l’employeur de justifier que ceux-ci sont exclusivement imputables à une cause totalement étrangère au travail de l’assuré. » verrouille le raisonnement et borne l’examen des pièces. Elle éclaire la suite de l’analyse quant aux éléments exigibles pour ébranler la présomption.
B – Pouvoir d’ordonner l’expertise et garanties procédurales
La cour encadre l’expertise par les textes de procédure civile et de sécurité sociale, dans le respect du secret médical. Elle souligne que « Néanmoins, si les articles 143, 144 et 146 du code de procédure civile […] donnent au juge du contentieux de la sécurité sociale la faculté d’ordonner une mesure d’instruction, il n’est nullement tenu d’en user dès lors qu’il s’estime suffisamment informé. » Le pouvoir d’ordonner une expertise demeure discrétionnaire, conditionné par l’utilité au regard des éléments contradictoirement débattus.
Cette appréciation s’accorde avec les garanties conventionnelles rappelées par la décision. La cour cite que « Elle a jugé que le fait que l’expertise ne soit pas ordonnée dans tous les cas où l’employeur la demande, mais qu’elle ne soit décidée que dans le cas où la juridiction s’estime insuffisamment informée, est conforme aux exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en matière de procès équitable. » La référence à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme légitime l’arbitrage entre contradictoire et secret médical. Le mécanisme de l’article L. 142-10, destiné à notifier au médecin mandaté le rapport ayant fondé la décision, parachève l’équilibre, la cour rappelant que « Il en résulte que l’employeur peut avoir accès, dans le cadre d’une mesure d’instruction et par l’intermédiaire d’un médecin mandaté par lui, à ce rapport médical, ce qui lui garantit une procédure contradictoire, tout en assurant le respect du secret médical auquel la victime a droit. »
II – L’appréciation des éléments du dossier et la portée de l’arrêt
A – Insuffisance du commencement de preuve et rejet de l’expertise
L’introduction d’une expertise suppose un différend médical crédible. La cour vérifie d’abord le socle de la présomption, en constatant un certificat initial daté du jour de l’accident et un arrêt immédiatement prescrit. L’argument tiré d’un courrier de classement provisoire est écarté, car il concerne la transmission tardive du certificat et non la date des constatations. La présomption embrasse donc la période jusqu’à la consolidation.
L’employeur invoquait l’ampleur des arrêts et l’analyse d’un médecin consultant fondée sur des référentiels généraux. La cour relève la confusion entre décompte annuel imputé au compte employeur et durée totale jusqu’à la consolidation, ce qui affaiblit l’argument chiffré. Elle note aussi le caractère abstrait du raisonnement médical, sans exposition d’un état antérieur évoluant pour son propre compte ni d’une cause étrangère exclusive. La référence à l’absence de prise en charge spécialisée et au caractère supposé bénin de la lésion demeure inopérante, faute d’éléments individualisés sur la situation de l’assuré.
La cour retient enfin que l’argument tiré de l’absence d’accès aux pièces médicales lors du recours préalable ne justifie pas, à lui seul, l’expertise. Elle souligne qu’« il revient en revanche à la présente cour d’apprécier au regard des pièces qui lui sont soumises s’il existe un commencement de preuve de nature à faire naître une contestation d’ordre médical. » Cette appréciation concrète conduit au rejet de la mesure, les pièces versées étant jugées suffisantes pour statuer.
B – Conséquences pratiques et orientation jurisprudentielle
La solution confirmée consacre une ligne claire. La présomption d’imputabilité, une fois l’existence de l’accident médicalement établie et l’arrêt initial prescrit, couvre les soins et arrêts jusqu’à la consolidation. L’employeur doit alors établir une cause totalement étrangère, ou un état antérieur évoluant pour son propre compte auquel se rattacheraient exclusivement les suites. À défaut, le doute construit sur des référentiels généraux ne suffit pas.
La portée est double. Sur le terrain probatoire, l’arrêt s’aligne sur 2e civ., 11 janv. 2024, n° 22-15.939, en refusant d’ériger l’expertise en passage obligé et en rappelant l’obstacle de l’article 146 du code de procédure civile. Sur le terrain des garanties, il articule le secret médical avec le contradictoire par l’intermédiaire du médecin mandaté, dans la stricte mesure nécessaire. La critique fondée sur l’impossibilité pratique de surveillance par l’employeur ne déplace pas le centre de gravité probatoire. L’office du juge demeure de filtrer les demandes d’instruction, en exigeant un commencement de preuve médical ciblé et étayé.
La solution emporte, en définitive, une clarification utile pour le contentieux de l’opposabilité. L’expertise vise à trancher un véritable désaccord médical individualisé, non à suppléer une carence probatoire. L’arrêt confirme le jugement et maintient l’opposabilité des arrêts et soins jusqu’à la consolidation, conformément au régime de l’accident du travail.