Cour d’appel de Paris, le 5 septembre 2025, n°23/04024

Par un arrêt du 5 septembre 2025, la cour d’appel de Paris a jugé irrecevable un appel dirigé contre un jugement rendu le 9 juin 2023 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bayonne. Le litige, relatif à la prise en charge d’une pathologie déclarée d’origine professionnelle, ne portait plus devant la juridiction d’appel que sur la recevabilité de la voie de recours au regard de la carte judiciaire.

Les faits étaient simples. Une salariée d’un établissement d’aide et de soins avait déclaré une tendinopathie de la coiffe des rotateurs au titre de la législation professionnelle. L’organisme de sécurité sociale avait reconnu le caractère professionnel de l’affection. L’employeur avait contesté cette décision devant le juge, en sollicitant l’inopposabilité de la prise en charge.

La procédure a connu un premier jugement au fond. Le pôle social du tribunal judiciaire de Bayonne a rejeté la demande d’inopposabilité et a ordonné la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, avant dire droit, en réservant les dépens. L’employeur a interjeté appel, saisissant la cour d’appel de Paris, tout en indiquant avoir parallèlement saisi la cour territorialement compétente.

La question de droit posée à la cour d’appel de Paris portait sur la sanction applicable lorsque l’appel est formé devant une cour d’appel extérieure au ressort de la juridiction de première instance. Fallait-il traiter cette irrégularité comme une exception d’incompétence, ouvrant la voie à un renvoi, ou comme une fin de non-recevoir, emportant l’irrecevabilité de l’appel ?

La cour d’appel de Paris a retenu la seconde qualification. Elle rappelle d’abord, par une formule de principe, que « Aux termes de l’article R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire, la cour d’appel connaît de l’appel des jugements des juridictions situées dans son ressort. » Elle ajoute ensuite que « L’irrégularité de saisine d’une cour d’appel tenant à la méconnaissance des dispositions de l’article R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire ne constitue pas une exception d’incompétence mais une fin de non-recevoir. » Constatant que le jugement émanait d’un tribunal situé dans le ressort d’une autre cour, elle en déduit que « Dès lors l’appel formé devant la présente cour d’appel de Paris est irrecevable. » Les dépens sont laissés à la charge de l’appelant, sans application de l’article 700 du code de procédure civile.

I. La qualification de l’irrégu­larité comme fin de non-recevoir

A. Le fondement textuel et la nature d’ordre public de la règle

La décision s’ancre dans l’économie du code de l’organisation judiciaire. L’article R. 311-3 distribue la compétence d’appel sur un critère territorial rigoureux, rattaché au ressort de la juridiction de premier degré. La cour d’appel de Paris cite expressément le texte et en déduit l’exigence d’un respect strict de la carte judiciaire. La référence à des « dispositions d’ordre public » manifeste la finalité organique du dispositif : garantir la bonne administration de la justice et la répartition des charges entre cours.

La formulation retenue est dépourvue d’ambiguïté. En qualifiant l’atteinte à l’article R. 311-3 de fin de non-recevoir, la cour consacre une lecture processuelle qui détache la question de la compétence au sens du code de procédure civile. L’irrégularité n’ouvre pas un débat de compétence susceptible de renvoi juridictionnel. Elle affecte le droit d’agir en appel devant la juridiction saisie, et se résout par la seule irrecevabilité.

B. Les effets procéduraux attachés à l’irrecevabilité sans renvoi

La conséquence est immédiate et radicale. L’appel formé hors ressort est déclaré irrecevable, sans transmission à la cour compétente. La cour d’appel de Paris le dit avec netteté : « Dès lors l’appel formé devant la présente cour d’appel de Paris est irrecevable. » Le contentieux du fond demeure à l’écart, et la juridiction de renvoi n’est pas impliquée par l’effet d’un dessaisissement.

Cette solution dessine une ligne claire pour les praticiens. Le plaideur qui se trompe de cour doit réintroduire le recours devant la cour compétente dans les délais. L’indication par l’appelant qu’une saisine parallèle a eu lieu ne neutralise pas l’irrégularité, la cour saisie à tort demeurant liée par l’ordre public du ressort. La qualification de fin de non-recevoir écarte les mécanismes de renvoi qui accompagnent les exceptions d’incompétence, et concentre la sanction sur la recevabilité même de l’appel.

II. Valeur et portée de la solution

A. Une solution qui protège la carte judiciaire et la sécurité des voies de recours

La solution s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à préserver la cohérence de la carte judiciaire. En érigeant la méconnaissance de l’article R. 311-3 en fin de non-recevoir, la cour renforce la prévisibilité des voies de recours. La règle, d’ordre public, évite les hésitations quant aux circuits de l’appel et prévient toute tentative de forum shopping. Elle simplifie l’office de la cour saisie : la sanction d’irrecevabilité épuise le débat, sans nécessiter d’instructions supplémentaires.

Cette rigueur sert aussi la sécurité des parties. Le rattachement territorial assure une spécialisation cohérente des chambres sociales et une distribution équitable des dossiers. Dans les litiges de sécurité sociale, souvent techniques et volumineux, l’identification immédiate de la cour compétente contribue à l’efficacité procédurale. La motivation, sobre et textuelle, signale l’importance de la vigilance lors du dépôt de la déclaration d’appel.

B. Des sévérités pratiques discutables au regard de l’accès au juge, mais une cohérence assumée

La sanction peut paraître sévère dans les cas d’erreur matérielle commise de bonne foi, surtout lorsque l’appelant diligente simultanément la saisine de la bonne cour. Elle révèle une tension entre formalisme procédural et effectivité du droit d’accès au juge. Toutefois, la qualification retenue s’explique par la nature organique du texte et par la nécessité de préserver l’ordre public juridictionnel. Un mécanisme de transfert automatique fragiliserait la clarté des délais et la maîtrise du rôle.

L’exigence demeure, en pratique, tempérée par la diligence des parties et la possibilité d’une nouvelle saisine dans le délai d’appel. Elle invite les professionnels à une vérification stricte du ressort de la juridiction de première instance avant tout dépôt. En confirmant la voie de la fin de non-recevoir, la cour d’appel de Paris trace une ligne utile : l’erreur de destinataire ne relève pas d’un conflit de compétence, mais d’un obstacle à l’exercice régulier du recours, que seule une saisine correcte peut lever.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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