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Par arrêt du 5 septembre 2025, la Cour d’appel de Paris statue sur l’opposabilité d’arrêts et soins consécutifs à un accident du travail. La décision précise l’étendue de la présomption d’imputabilité et les conditions d’une mesure d’instruction en présence d’un débat médical sérieux.
Une salariée, agent de service, a déclaré le 29 septembre 2020 des douleurs thoraciques survenues en nettoyant le sol, immédiatement suivies d’un malaise. Le certificat médical initial a mentionné une « douleur thoracique pariétale » avec arrêt de travail, la caisse prenant en charge l’accident au titre du risque professionnel. Le 25 janvier 2021, une nouvelle lésion à l’épaule et au bras gauche a été déclarée, non reconnue en lien avec l’accident. Des arrêts et soins ont été prescrits jusqu’à la guérison fixée au 6 novembre 2021, pour une durée totale de cent soixante‑sept jours.
La commission médicale de recours amiable a confirmé la prise en charge. Le pôle social du tribunal judiciaire d’Évry, le 29 juin 2023, a déclaré l’ensemble opposable à l’employeur. En appel, l’employeur sollicite l’inopposabilité au‑delà du 22 décembre 2020, subsidiairement une expertise médicale sur pièces. La caisse demande la confirmation, ou à titre subsidiaire une mesure strictement cantonnée à l’existence d’une cause totalement étrangère au travail.
La question tient à l’étendue de la présomption d’imputabilité de l’article L. 411‑1 du code de la sécurité sociale et à la charge probatoire en cas de contestation. La Cour d’appel de Paris rappelle qu’« ainsi, et sans que la caisse n’ait à justifier de la continuité de symptômes et de soins à compter de l’accident initial, l’incapacité et les soins en découlant sont présumés imputables à celui‑ci ». Elle juge encore que « sauf à inverser la charge de la preuve, ce n’est donc pas à la caisse de prouver » l’imputabilité exclusive, laquelle incombe à l’employeur. Constatant un débat médical sérieux sans renversement de la présomption, la cour ordonne « une mesure d’instruction » sur pièces au visa des articles 232 et 263 du code de procédure civile.
I. Portée de la présomption d’imputabilité et rappel du régime probatoire
A. Fondement légal et extension matérielle de la présomption
Le fondement réside dans l’article L. 411‑1 du code de la sécurité sociale, que la cour applique dans sa pleine portée. Elle énonce qu’« il résulte de ce texte que la présomption d’imputabilité dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit (…) s’applique aux lésions initiales, à leurs complications, à l’état pathologique antérieur aggravé par l’accident, pendant toute la période d’incapacité précédant la guérison complète ou la consolidation, et postérieurement, aux soins destinés à prévenir une aggravation ». Cette formulation reprend une jurisprudence stabilisée; la deuxième chambre civile a jugé le 12 mai 2022 (n° 20‑20.655) que la continuité des symptômes ou des soins n’est pas une condition.
La cour confirme que la production d’un certificat médical initial assorti d’un arrêt suffit à déclencher la présomption. Elle retient expressément que « en produisant un certificat médical initial prescrivant un arrêt de travail, la caisse bénéficie de la présomption d’imputabilité (…) laquelle s’étend à toute la durée de l’incapacité jusqu’à la guérison ». L’argumentation de l’employeur, centrée sur la durée jugée anormalement longue et la supposée bénignité de la lésion, est donc indifférente au stade du principe.
B. Charge de la preuve et critères de renversement dans le contentieux de l’opposabilité
La cour encadre strictement la charge probatoire. Elle affirme que « sauf à inverser la charge de la preuve, ce n’est donc pas à la caisse de prouver que les soins et arrêts de travail pris en charge sont exclusivement imputables à l’accident du travail, mais à l’employeur de justifier que ceux‑ci sont exclusivement imputables à une cause totalement étrangère au travail de l’assuré ». Cette exigence vise le lien exclusif d’une cause étrangère, ou l’évolution autonome d’un état antérieur.
La caisse n’a donc pas à établir la continuité des symptômes, ni l’invariabilité de la lésion initiale. L’employeur doit apporter des éléments médicaux objectifs révélant soit une cause postérieure indépendante, soit l’autonomie évolutive d’un état préexistant. À défaut, la présomption demeure et l’opposabilité s’impose. Cette position renforce l’équilibre recherché par le droit positif entre la protection de la victime et la sécurité financière des employeurs, sans déplacer indûment la charge probatoire.
II. Contrôle du débat médical et recours proportionné à la consultation sur pièces
A. Les éléments retenus comme commencement de preuve d’une cause étrangère
La cour examine les pièces médicales contradictoires avec attention. Elle relève le caractère normal des examens thoraciques répétés, l’apparition tardive d’une symptomatologie scapulaire et brachiale, et des séances de kinésithérapie ciblées. Elle constate la mention d’une lésion d’épaule non reconnue, apparue plusieurs mois après l’accident, alors que les prescriptions mentionnaient encore la douleur thoracique initiale. La réponse du service médical, essentiellement assertive, ne déconstruit pas les incompatibilités relevées entre territoires douloureux et traitements pratiqués.
La cour en déduit que l’employeur a valablement suscité le doute, sans démontrer pour autant l’autonomie de l’état intercurrent à une date certaine. Elle souligne que « il appartient donc à l’employeur, qui entend combattre cette présomption, de produire des éléments permettant d’établir, ou à tout le moins de douter, que les arrêts de travail et les soins seraient la conséquence d’un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte et totalement étrangère au travail ». La démonstration est tenue pour inachevée, mais suffisamment sérieuse pour justifier une investigation technique.
B. L’office du juge entre interdiction de suppléer la carence et égalité des armes
La cour articule utilement l’article 146, alinéa 2, et les articles 232 et 263 du code de procédure civile. Elle rappelle que la mesure d’instruction ne peut suppléer la carence probatoire d’une partie. Toutefois, en présence d’un débat médical réel, l’outil expertal éclaire utilement le juge. Elle décide que « il convient en conséquence d’ordonner une mesure d’instruction, en donnant pour mission au médecin de déterminer si les arrêts sont bien la conséquence de l’accident (…) ou s’ils ont été justifiés par une cause totalement étrangère au travail ». La solution privilégie une « mesure de consultation médicale sur pièces », calibrée, plutôt qu’une expertise lourde, conformément au principe de proportionnalité résultant de l’article 263.
La cour motive encore l’économie du dispositif par la garantie d’un procès équitable. Elle énonce que « cette mesure est en effet le seul moyen pour la société, qui assume la charge financière des conséquences d’un accident du travail, d’exposer sa cause en justice, dans des conditions qui ne la désavantagent pas par rapport à l’organisme de sécurité sociale ». Le choix de la consultation sur pièces, assorti d’un pré‑rapport contradictoire, concilie égalité des armes et maîtrise des coûts. Il balise aussi l’office du juge du fond: la durée ou la bénignité alléguée ne suffisent pas; un faisceau médical cohérent peut, en revanche, ouvrir la voie à une vérification indépendante.
Cette décision mérite approbation mesurée. Elle réaffirme la présomption d’imputabilité dans sa teneur maximale, en ligne avec la jurisprudence de la Cour de cassation, tout en ménageant un espace probatoire effectif pour l’employeur lorsqu’un état intercurrent plausible est étayé. La portée pratique est claire pour les contentieux futurs: la simple discontinuité perçue des symptômes, ou un examen paraclinique normal, ne renversent pas la présomption; mais l’inadéquation entre lésion initiale, territoires douloureux ultérieurs et soins engagés peut justifier une consultation médicale ciblée. En définitive, la Cour d’appel de Paris renforce un contrôle juridictionnel exigeant et proportionné, propre à sécuriser l’office du juge social et la loyauté du débat médical.