Cour d’appel de Paris, le 5 septembre 2025, n°24/18937

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 5 septembre 2025 statue sur renvoi après cassation dans un litige opposant une société de travaux publics à des maîtres d’ouvrage ayant refusé de régler une facture pour des travaux de raccordement aux réseaux publics.

En 2014, deux particuliers ont confié à une société spécialisée des travaux d’aménagement et de raccordement pour leur maison en construction, selon un devis de 15 435 euros TTC. Certaines prestations prévues n’ont pas été réalisées. Le 30 septembre 2015, l’entreprise a émis une facture de 8 631 euros TTC correspondant aux seuls travaux exécutés. Les maîtres d’ouvrage, invoquant des malfaçons, ont refusé tout paiement.

Le tribunal d’instance de Sucy-en-Brie, par jugement du 10 janvier 2019, a prononcé la résolution du contrat, condamné la société à verser 1 440 euros de dommages-intérêts et rejeté ses demandes en paiement. La société a interjeté appel. Par arrêt du 14 décembre 2022, la Cour d’appel de Paris a infirmé la résolution contractuelle mais confirmé le rejet des demandes en paiement. La troisième chambre civile de la Cour de cassation, par arrêt du 19 septembre 2024, a cassé partiellement cette décision. Elle a déclaré irrecevable la demande indemnitaire des maîtres d’ouvrage et renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Paris autrement composée pour qu’il soit statué sur la demande en paiement de l’entreprise.

Les maîtres d’ouvrage, assignés à étude le 31 décembre 2024, n’ont pas constitué avocat devant la cour de renvoi.

La question posée à la juridiction de renvoi était de déterminer si la société de travaux publics pouvait obtenir le paiement de sa facture en démontrant avoir exécuté les prestations facturées, alors que les maîtres d’ouvrage, défaillants, ne rapportaient aucune preuve de malfaçons ou d’inexécution.

La Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement et condamné les maîtres d’ouvrage à payer la somme de 8 271 euros TTC, outre intérêts légaux, après avoir retranché une ligne non prévue au devis. Elle a retenu que l’entreprise rapportait la preuve de l’exécution des travaux facturés et que les défendeurs défaillants ne justifiaient d’aucun manquement contractuel.

Cette décision illustre les exigences probatoires pesant sur le créancier qui sollicite l’exécution d’un contrat de louage d’ouvrage (I), tout en révélant les conséquences procédurales attachées à la défaillance du défendeur devant la cour de renvoi (II).

I. La charge de la preuve de l’exécution contractuelle incombant au créancier

La cour rappelle le cadre juridique applicable à la preuve de l’exécution des obligations contractuelles (A), avant d’en faire une application rigoureuse aux circonstances de l’espèce (B).

A. Le rappel des principes gouvernant la preuve de l’exécution

La cour fonde son raisonnement sur l’article 1315 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016. Ce texte pose une règle de répartition de la charge probatoire : « celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver ». Réciproquement, « celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».

Ce mécanisme probatoire, d’apparence simple, impose au créancier d’une somme d’argent de démontrer qu’il a accompli les prestations ouvrant droit à rémunération. Dans le contrat de louage d’ouvrage, l’entrepreneur ne peut prétendre au paiement du prix qu’à la condition de prouver avoir exécuté les travaux convenus. La cour énonce ainsi qu’« il appartient à la société […], qui sollicite le paiement de sa facture, de rapporter la preuve de l’exécution des travaux listés dans celle-ci ».

Cette exigence probatoire trouve son complément dans l’article 1134 ancien du Code civil, également visé par l’arrêt. Les conventions « tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » et « doivent être exécutées de bonne foi ». Le créancier contractuel dispose donc d’un droit au paiement, mais ce droit demeure subordonné à la démonstration préalable de sa propre exécution.

B. L’application aux travaux de raccordement litigieux

La cour procède à un examen méthodique des pièces produites par l’entreprise demanderesse. Elle compare le devis initial, qui énumérait quatorze postes de travaux pour 15 435 euros TTC, avec la facture finale limitée à huit postes pour 8 631 euros TTC. Cette réduction traduit la non-exécution de certaines prestations qui n’ont pas été facturées.

L’arrêt retient que la société produit « un courrier que M. et Mme […] lui ont adressé le 4 décembre 2015, en réponse à l’envoi de sa facture ». Ce courrier contenait diverses réclamations relatives à l’escalier, à la chambre de tirage et aux raccordements. La cour observe que « l’escalier et la chambre de tirage litigieux n’ayant pas été facturés », ces réclamations sont sans incidence sur la créance réclamée.

La cour relève encore que les maîtres d’ouvrage avaient conclu un protocole transactionnel avec le constructeur de leur maison, percevant une indemnité forfaitaire de 26 163 euros. À la suite de cette transaction, ils s’étaient désistés de leur instance tant à l’égard du constructeur que de la société de travaux. La juridiction en déduit que « l’indemnité transactionnelle couvrait les préjudices tirés de l’escalier manquant et des raccordements mal réalisés ».

La cour retranche toutefois de la condamnation une ligne de 300 euros HT correspondant à l’« amenée et repli de matériel », prestation « qui ne figurait pas sur le devis et dont il n’est pas rapporté la preuve que les époux […] l’ont acceptée ». Cette déduction manifeste la rigueur du contrôle exercé sur le périmètre contractuel. Le créancier n’obtient paiement que des prestations effectivement convenues et exécutées.

II. Les conséquences de la défaillance du défendeur sur l’issue du litige

L’absence de constitution des maîtres d’ouvrage devant la cour de renvoi emporte des effets procéduraux déterminants (A), tout en soulevant la question des limites de la protection accordée au défendeur défaillant (B).

A. L’impossibilité pour le défendeur défaillant de rapporter la preuve contraire

La Cour d’appel de Paris statue par arrêt rendu par défaut, les intimés n’ayant pas constitué avocat malgré une assignation régulièrement délivrée. Cette circonstance procédurale s’avère décisive dans l’appréciation du litige.

La cour relève que « dès lors que M. et Mme […] ne comparaissent pas, il n’est pas rapporté la preuve de l’insuffisance ou de l’existence de malfaçons relatives aux prestations exécutées ». Cette formulation traduit l’application combinée des règles de preuve et des principes du contradictoire. Le défendeur qui s’abstient de comparaître se prive de la possibilité de contester les prétentions adverses et de produire ses propres éléments probatoires.

L’article 472 du Code de procédure civile dispose que le juge ne fait droit à la demande que s’il l’estime régulière, recevable et bien fondée. La défaillance du défendeur n’emporte pas acquiescement aux prétentions du demandeur. La cour conserve l’obligation d’examiner le bien-fondé de la demande au regard des pièces produites. L’arrêt satisfait à cette exigence en vérifiant que l’entreprise justifie de l’exécution des travaux facturés.

B. L’incidence de la transaction antérieure sur les moyens de défense

La cour tire argument du protocole transactionnel conclu entre les maîtres d’ouvrage et le constructeur pour écarter toute contestation résiduelle. Elle observe que les défendeurs « se sont, à la suite de cette transaction, désistés de leur instance tant à l’égard de la société Geoxia que de la société Terac & Loc TP ».

Ce raisonnement appelle une observation. Le désistement d’instance ne vaut pas renonciation à un droit substantiel. Il met fin à l’instance sans préjuger du fond. La cour semble pourtant y voir la reconnaissance implicite que l’indemnité transactionnelle couvrait l’ensemble des griefs formulés contre la société de travaux.

Cette interprétation trouve une justification pratique. Les maîtres d’ouvrage, en acceptant une somme forfaitaire couvrant tous leurs préjudices et en se désistant à l’égard de l’ensemble des défendeurs, ont manifesté leur volonté de mettre un terme définitif au litige. Leur défaillance ultérieure devant la cour de renvoi confirme cette analyse. Ils ne pouvaient raisonnablement prétendre avoir été indemnisés par le constructeur tout en réclamant une nouvelle indemnisation à l’entreprise de travaux pour les mêmes désordres.

La portée de cet arrêt demeure limitée aux circonstances particulières de l’espèce. Il rappelle que le créancier contractuel qui sollicite le paiement de travaux doit établir leur exécution conformément aux stipulations conventionnelles. Il illustre également les risques encourus par le défendeur qui s’abstient de comparaître et de faire valoir ses moyens devant la juridiction de renvoi après cassation.

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Hassan KOHEN
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