Cour d’appel de Paris, le 8 juillet 2025, n°24/19895

L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 8 juillet 2025 porte sur la détermination de la date de cessation des paiements d’une société placée en redressement judiciaire. La question, classique en droit des entreprises en difficulté, revêt une importance pratique considérable en raison des conséquences attachées à cette date sur la période suspecte et les actions qui en découlent.

Une société exerçant une activité d’installation et de maintenance d’équipements thermiques, employant soixante et onze salariés, a déclaré sa cessation des paiements le 16 octobre 2024. Par jugement du 13 novembre 2024, le Tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de redressement judiciaire et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 7 avril 2024. Le tribunal a motivé cette décision « par le défaut de paiements des principaux clients rendant le paiement des charges courantes impossible ».

La société a interjeté appel de ce jugement, limitant sa contestation à la seule fixation de la date de cessation des paiements. Elle soutenait que cette date n’avait fait l’objet d’aucun débat contradictoire et que les éléments comptables démontraient sa capacité à honorer ses engagements en avril 2024. L’administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire s’en sont rapportés à justice.

La question posée à la Cour d’appel de Paris était la suivante : une juridiction peut-elle fixer la date de cessation des paiements à une date antérieure à celle déclarée par le débiteur lorsque celui-ci établit qu’il disposait, à cette date, de réserves de crédit lui permettant de faire face à son passif exigible ?

La cour a infirmé le jugement et fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 16 octobre 2024, date de la déclaration. Elle a jugé que la société « bénéficiait d’une réserve de crédit et d’une trésorerie non négligeable lui permettant de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ».

Cette décision permet d’examiner les éléments constitutifs de l’état de cessation des paiements et le régime probatoire qui s’y attache (I), avant d’analyser l’incidence des réserves de crédit sur la détermination de cette date (II).

I. La caractérisation de l’état de cessation des paiements

La cour rappelle les critères légaux de l’état de cessation des paiements (A) et précise la répartition de la charge de la preuve entre les parties (B).

A. Les critères légaux de l’impossibilité de faire face au passif exigible

La cour reprend la définition posée par l’article L. 631-1 du Code de commerce : « est en état de cessation des paiements tout débiteur qui est dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible ». Cette formulation, issue de la loi du 26 juillet 2005, consacre une conception objective de la cessation des paiements distinguée de la simple gêne momentanée.

L’actif disponible comprend les liquidités immédiatement mobilisables et les sommes que le débiteur peut obtenir à bref délai. Le passif exigible vise les dettes certaines, liquides et exigibles. La cour souligne que « la date de cessation des paiements est la date à laquelle l’actif disponible n’a pas permis de faire face durablement au passif exigible ». L’adverbe « durablement » implique que des difficultés ponctuelles ne caractérisent pas nécessairement cet état.

En l’espèce, le tribunal avait retenu une date fondée sur le défaut de paiement des principaux clients. La cour écarte ce raisonnement en relevant que les comptes bancaires présentaient des soldes créditeurs significatifs au 30 avril 2024, totalisant plus de quatre cent mille euros.

B. La charge de la preuve pesant sur celui qui invoque la cessation des paiements

La cour énonce une règle probatoire claire : « la preuve de l’état de cessation des paiements doit être rapportée par celui qui se prévaut de l’état de cessation des paiements ». Cette formulation place l’initiative de la démonstration sur le demandeur à l’ouverture de la procédure ou sur le tribunal statuant d’office.

Le débiteur supporte une charge distincte lorsqu’il entend repousser la date retenue. Il lui appartient d’établir « l’existence de réserves de crédit ou de moratoires lui permettant de faire face à son passif exigible ». Cette répartition correspond à l’adage classique selon lequel chacun doit prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention.

La société appelante a satisfait à cette exigence en produisant ses relevés bancaires et la preuve d’une ligne de crédit non intégralement utilisée auprès de Bpifrance. Le fait que les organes de la procédure se soient rapportés à justice confirme la pertinence des éléments versés aux débats.

II. L’effet libératoire des réserves de crédit

La cour reconnaît la prise en compte des réserves de crédit dans l’appréciation de la cessation des paiements (A) et en tire les conséquences sur la fixation de la date (B).

A. L’intégration des réserves de crédit dans l’actif disponible

L’article L. 631-1 du Code de commerce dispose expressément que « le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements ». Cette disposition législative consacre une jurisprudence antérieure qui admettait déjà cette prise en compte.

En l’espèce, la société disposait d’une avance de trésorerie de 3,5 millions d’euros auprès de Bpifrance dont elle n’avait utilisé que 2 137 761,35 euros au 25 avril 2024. Cette réserve de crédit disponible représentait donc plus d’un million trois cent mille euros non encore mobilisés. La cour en déduit logiquement que la société pouvait faire face à son passif exigible.

La décision rappelle également qu’un moratoire « a pour effet de reporter l’exigibilité d’une créance ». Cette précision confirme que la notion de passif exigible s’apprécie au regard des échéances effectivement dues et non des dettes futures.

B. L’impossibilité de retenir une date antérieure au rétablissement de la situation

La cour pose un principe important : « ne peut être retenue comme date de cessation des paiements une date antérieure à un retour à une situation permettant au débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible, même si antérieurement la cessation de paiements préexistait ». Cette règle interdit de figer artificiellement une date alors que le débiteur a depuis lors reconstitué sa capacité de paiement.

L’absence de toute inscription sur le fonds de commerce de la société, relevée par la cour, conforte l’analyse. Seules figuraient des inscriptions relatives à des contrats de location et de crédit-bail portant sur des véhicules. L’absence de nantissement judiciaire ou de privilège du Trésor public témoigne d’une situation qui ne présentait pas les indices habituels d’une dégradation ancienne.

La cour note enfin qu’aucun élément produit ne permet « d’accréditer l’existence d’un état de cessation de paiement entre le 1er mai 2024 et le 16 octobre 2024 ». Cette formulation souligne le caractère factuel de l’appréciation et la nécessité d’éléments probants pour chaque période considérée. La date de cessation des paiements ne saurait résulter d’une présomption non étayée par des pièces précises.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture