Cour d’appel de Paris, le 8 juillet 2025, n°25/01349

L’arrêt rendu le 8 juillet 2025 par la cour d’appel de Paris porte sur les conditions de validité d’une assignation en ouverture de procédure collective et sur l’appréciation du caractère manifestement impossible du redressement d’une société holding.

Une société à responsabilité limitée exerçant une activité de holding détenait des participations dans trois filiales opérant dans le secteur de la rénovation énergétique. L’Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales, créancière de cotisations sociales impayées à hauteur de 6 383,95 euros, a fait assigner cette société le 10 octobre 2024 devant le tribunal de commerce d’Evry. L’assignation a été délivrée à l’adresse du siège social figurant au registre du commerce et des sociétés, située dans l’Essonne. La société avait décidé le 1er octobre 2024 de transférer son siège social en Seine-et-Marne, mais n’avait pas encore procédé aux formalités de publicité à la date de délivrance de l’acte.

Par jugement réputé contradictoire du 23 décembre 2024, le tribunal de commerce d’Evry a ouvert une procédure de liquidation judiciaire, fixé la date de cessation des paiements au 23 juin 2023 et désigné un mandataire liquidateur. La société et ses deux cogérants ont interjeté appel le 3 janvier 2025. Ils sollicitaient à titre principal l’annulation du jugement pour irrégularité de l’assignation, à titre subsidiaire l’ouverture d’un redressement judiciaire. Le liquidateur concluait à la confirmation du jugement.

La cour d’appel de Paris était ainsi saisie d’une double question. D’une part, une assignation délivrée à l’ancienne adresse du siège social d’une société, avant publication de la modification au registre du commerce et des sociétés, encourt-elle la nullité pour vice de forme ? D’autre part, une société holding dont les filiales sont toutes en liquidation peut-elle bénéficier d’une procédure de redressement judiciaire ?

La cour d’appel de Paris a débouté les appelants de leur demande d’annulation et confirmé le jugement en toutes ses dispositions. Elle a retenu que l’assignation avait été régulièrement délivrée à l’adresse opposable aux tiers et que le redressement de la société était manifestement impossible.

I. La régularité de l’assignation délivrée à l’adresse du siège social non encore modifiée

L’arrêt consacre le principe d’opposabilité aux tiers du siège social publié (A) avant d’en tirer les conséquences sur l’absence de grief imputable au créancier poursuivant (B).

A. L’opposabilité aux tiers du siège social publié

La cour rappelle le régime des nullités pour vice de forme en visant les articles 114, 56 et 648 du code de procédure civile. L’assignation doit mentionner le siège social de la personne morale destinataire à peine de nullité. La nullité ne peut être prononcée qu’à charge pour celui qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité.

Les appelants soutenaient que l’assignation aurait dû être délivrée à la nouvelle adresse de leur siège social, décidée par assemblée générale extraordinaire le 1er octobre 2024. La cour écarte cet argument par une motivation dépourvue d’ambiguïté. Elle relève que « ce n’est que le 29 novembre 2024, soit après la délivrance de l’assignation, que l’intéressée a déposé au greffe du tribunal de commerce de Meaux un exemplaire du procès-verbal de son assemblée générale et des statuts modifiés ». Elle en déduit que « ce n’est donc qu’à compter de cette date du 29 novembre 2024 que la modification de l’adresse de son siège social a été portée à la connaissance des tiers ».

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence constante relative à l’opposabilité des inscriptions modificatives au registre du commerce et des sociétés. Le transfert de siège social ne produit effet à l’égard des tiers qu’à compter de sa mention au registre. Une décision interne, fût-elle antérieure, demeure inopposable tant que les formalités de publicité n’ont pas été accomplies. La sécurité juridique des créanciers commande cette règle. Elle évite qu’un débiteur puisse se soustraire aux poursuites en invoquant une modification non encore publiée.

B. L’absence de grief résultant des diligences du créancier

Au-delà de la règle d’opposabilité, la cour examine les diligences accomplies par le commissaire de justice. Elle souligne que celui-ci « a pris soin de vérifier le domicile de la destinataire de l’acte, qui lui a été confirmé par le voisinage selon les mentions figurant dans le procès-verbal de signification ». Cette vérification, conforme aux exigences de l’article 656 du code de procédure civile, établit que l’huissier a accompli ses obligations professionnelles.

La cour relève également qu’« il n’est pas allégué ni a fortiori établi que la société Hansar aurait informé l’URSSAF de la nouvelle adresse de son siège social avant la délivrance de l’acte litigieux ». Cette précision revêt une importance particulière. Un débiteur qui omet d’informer son créancier d’un changement d’adresse ne saurait ensuite lui reprocher d’avoir poursuivi à l’ancienne adresse. Le principe de loyauté processuelle s’oppose à ce qu’une partie tire avantage de sa propre négligence.

La solution retenue préserve l’efficacité des procédures de recouvrement. Un créancier agissant avec diligence sur la base des informations publiées ne peut voir son action compromise par un transfert de siège non encore opposable. Les appelants échouant à démontrer un grief, leur demande d’annulation devait être rejetée.

II. L’impossibilité manifeste de redressement de la société holding

La cour caractérise l’état de cessation des paiements à la date où elle statue (A) puis constate l’absence de toute perspective de redressement (B).

A. La caractérisation de l’état de cessation des paiements

L’article L. 631-1 du code de commerce définit la cessation des paiements comme « l’impossibilité pour le débiteur de faire face au passif exigible avec son actif disponible ». La cour rappelle utilement que « la preuve de l’état de cessation des paiements doit être rapportée par celui qui demande l’ouverture de la procédure » et que « l’état de cessation des paiements s’apprécie au jour où la cour statue ».

Les éléments chiffrés établissent sans discussion possible la réalité de cet état. Le passif exigible s’élève à 156 000 euros de créances échues avant le jugement d’ouverture, pour un passif total déclaré de 214 688,43 euros. L’actif disponible se limite à 8 000,67 euros. La disproportion est manifeste. La société ne conteste d’ailleurs pas relever d’une procédure collective puisqu’elle sollicite un redressement judiciaire.

La cour confirme également la date de cessation des paiements fixée rétroactivement au 23 juin 2023. Elle retient que cette date est « pertinente » au regard de « l’ancienneté des créances de l’URSSAF, dont certaines sont exigibles depuis le mois de février 2020 ». Cette fixation rétroactive, conforme à l’article L. 631-8 du code de commerce, permet d’appréhender les actes accomplis pendant la période suspecte et de reconstituer le patrimoine du débiteur.

B. L’absence de perspective de redressement

L’article L. 640-1 du code de commerce subordonne l’ouverture de la liquidation judiciaire à deux conditions cumulatives : l’état de cessation des paiements et le caractère manifestement impossible du redressement. La cour examine ce second critère avec rigueur.

Elle constate d’abord la carence probatoire de la société appelante. Celle-ci « ne fournit aucune explication ni pièce, notamment aucun prévisionnel d’activité, sur les conditions matérielles et financières dans lesquelles elle entend poursuivre son exploitation ». L’absence de tout document prospectif ne permet pas d’envisager un plan de redressement sérieux.

La cour analyse ensuite la situation des filiales de la holding. Elle relève que « la société Isol Ecohabitat fait actuellement l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire », que « la société Transition Energétique Confort Habitat a fait l’objet d’une liquidation judiciaire clôturée pour insuffisance d’actif » et que « la société Isodit a été radiée d’office du registre du commerce et des sociétés, à la suite de sa liquidation amiable ». La totalité des participations détenues par la holding a donc perdu toute valeur.

La conclusion s’impose avec évidence. Une société holding « ne peut plus compter, pour son redressement, sur les revenus que ses prises de participation dans les sociétés précitées étaient susceptibles de lui procurer ». Privée de ses sources de revenus, dépourvue de trésorerie suffisante et incapable de présenter un projet viable, la société ne remplit pas les conditions du redressement judiciaire.

Cet arrêt illustre la situation particulière des sociétés holding en difficulté. Leur redressement suppose nécessairement celui de leurs filiales opérationnelles. Lorsque ces dernières ont cessé toute activité, la holding perd sa substance économique et ne peut prétendre à une mesure de sauvegarde de l’emploi ou de l’activité qui n’existe plus. La liquidation judiciaire constitue alors la seule issue conforme à l’intérêt collectif des créanciers.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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