Cour d’appel de Paris, le 9 juillet 2025, n°22/05872

Par un arrêt du 9 juillet 2025, la Cour d’appel de Paris a tranché un litige relatif au maintien d’un avantage retraite issu d’un protocole d’entreprise et aux conditions de sa dénonciation. Le différend s’inscrit dans le contexte d’une réorganisation d’un service de permanence opérationnelle décidée en 2010, assortie d’un classement dérogatoire en matière de retraite.

Le texte collectif avait octroyé aux cadres concernés un positionnement plus favorable que celui prévu par le décret applicable au régime spécial. L’arrêt rappelle d’ailleurs que « Le protocole d’accord sur l’accompagnement de la réorganisation de la permanence générale signé le 1er septembre a prévu de positionner les salariés de la catégorie cadre sur un tableau non conforme aux dispositions du décret N°2008-637 du 30 juin 2008. » L’employeur a, en mai 2019, appliqué les règles moins favorables du décret, puis a formalisé la dénonciation du protocole en décembre 2021.

Le salarié a saisi la juridiction prud’homale en 2020 pour voir reconnaître ses droits et obtenir réparation. En 2022, le premier juge a alloué des dommages et intérêts. Saisi de l’appel, l’arrêt retient que « La dénonciation du protocole d’accord a finalement été régularisée », tout en constatant le maintien des obligations conventionnelles jusqu’au 31 mars 2023. Il confirme le principe de la condamnation, mais réforme le quantum. Le dispositif énonce d’ailleurs « CONFIRME le jugement sauf sur le montant des dommages et intérêts ».

La question posée tenait à la possibilité de mettre fin unilatéralement à un avantage collectif relatif au classement retraite sans respecter la procédure de dénonciation, et aux suites indemnitaires de l’irrégularité initiale. La cour répond en affirmant la force obligatoire de l’accord tant que la dénonciation n’a pas produit tous ses effets, puis en appréciant strictement le préjudice moral invoqué.

I. La force obligatoire de l’accord et l’exigence de sa dénonciation régulière

A. La qualification d’un avantage collectif dérogatoire au décret de 2008
La cour retient sans ambiguïté l’existence d’un engagement collectif s’imposant à l’employeur. Le passage selon lequel « Le protocole d’accord […] a prévu de positionner les salariés de la catégorie cadre sur un tableau non conforme aux dispositions du décret N°2008-637 du 30 juin 2008 » consacre la portée normative de l’accord, malgré la présence d’un texte réglementaire général. Cette affirmation emporte une conséquence nette : tant que l’accord n’est pas valablement dénoncé et arrivé à terme, l’employeur ne peut substituer unilatéralement le régime moins favorable du décret.

Le raisonnement s’inscrit dans le droit commun de la négociation collective, qui permet des stipulations plus favorables et prohibe leur retrait unilatéral. L’avantage collectif demeure, nonobstant le caractère spécial du régime de retraite, dès lors que le texte réglementaire n’est pas d’ordre public absolu et que l’accord a produit ses effets dans l’entreprise.

B. Les effets temporels de la dénonciation et la continuité des droits
La cour constate la régularisation de la dénonciation et lui fait produire ses effets à l’issue des délais légaux. Elle relève la nécessité d’un préavis, puis d’une période de survie de l’accord, aboutissant ici au maintien des droits jusqu’au 31 mars 2023. Ce faisant, elle rejette l’idée d’une bascule immédiate vers le décret en l’absence de procédure accomplie. La formule « La dénonciation du protocole d’accord a finalement été régularisée » marque la chronologie et justifie la protection transitoire des salariés.

La décision souligne également le rétablissement du salarié dans son statut antérieur pendant une période significative : « Il sera observé qu’il a pu bénéficier pendant presque 4 ans de son ancien statut ». Cette mention confirme, de manière concrète, l’interdiction d’une modification unilatérale anticipée. Elle prépare, en creux, l’examen du préjudice réellement démontré au regard de cette restauration.

II. L’appréciation du préjudice et la portée de la solution retenue

A. Une indemnisation mesurée du préjudice moral, subordonnée à la preuve
La cour admet l’existence d’un préjudice lié à la dénonciation irrégulière, mais en limite l’étendue faute d’éléments probants. Elle énonce que « S’ il a nécessairement subi un préjudice du fait de la dénonciation irrégulière de ce protocole, le montant de son indemnisation sera réduit à 4000 euros, en l’absence de tout préjudice autre démontré, le jugement étant infirmé dans son quantum. » L’énoncé privilégie la réparation utile et proportionnée, sans pénaliser au-delà ce qui est justifié par des conséquences concrètes établies.

Cette méthode rejoint la jurisprudence sociale classique : un manquement contractuel ou collectif ne vaut pas, à lui seul, démonstration d’un dommage moral substantiel. La preuve exige des éléments circonstanciés sur la trajectoire de carrière, l’incidence sur la date de départ, ou l’atteinte personnelle, qui font ici défaut au-delà de la période de tension alléguée.

B. Des enseignements opérationnels pour la gestion des avantages collectifs et des régimes spéciaux
La solution confirme la compatibilité entre un régime spécial et des stipulations conventionnelles plus favorables, sous réserve d’une dénonciation accomplie selon les articles du code du travail relatifs à la fin des accords. Elle rappelle, dans un cadre sensible, l’impératif de sécurité juridique des transitions, ainsi que la portée des délais de survie de l’accord. Les employeurs doivent calibrer les calendriers de mise en conformité et anticiper les coûts liés à la période transitoire.

L’arrêt précise aussi les conséquences financières accessoires, utiles à la liquidation des droits. Le dispositif retient que « DIT que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt ». L’articulation entre maintien transitoire des avantages, réparation limitée et intérêts, dessine une grille de prévisibilité pour des litiges analogues.

La cour, en confirmant le principe et en ajustant le quantum, trace une ligne d’équilibre entre la force obligatoire de l’accord et l’exigence de preuve du dommage. Ce balisage, fondé sur la stricte observance des formalités de dénonciation, consolide la hiérarchie des normes négociées et sécurise la conduite des réorganisations à effet sur les droits à la retraite.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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