Cour d’appel de Paris, le 9 juillet 2025, n°23/09985

L’assurance sur la vie ne peut être souscrite sur la tête d’un tiers sans le consentement de celui-ci. La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 9 juillet 2025, précise les conséquences civiles d’une telle souscription frauduleuse lorsque le juge pénal a préalablement statué sur les mêmes faits.

Une personne avait souscrit le 25 mars 2010 un contrat d’assurance-vie auprès d’une société d’assurance, garantissant à son décès le versement d’un capital de 3 750 euros en cas de maladie ou de 18 750 euros en cas d’accident. Sa fille était désignée bénéficiaire. L’assurée est décédée le 23 février 2011. Sur présentation d’un certificat médical attestant d’un décès par suite de complications vasculaires liées à une intervention chirurgicale, l’assureur a versé à la bénéficiaire la somme de 18 779,50 euros correspondant au capital décès accidentel. Ultérieurement, les frère et sœur de la bénéficiaire ont déposé plainte pour escroquerie et abus de faiblesse, soutenant que leur mère présentait une altération de ses facultés mentales lors de la souscription du contrat et que le décès résultait en réalité d’une cause naturelle.

Par arrêt du 26 novembre 2019, devenu définitif après rejet du pourvoi en cassation, la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris a retenu la culpabilité de la bénéficiaire. L’assureur a alors assigné cette dernière en restitution des sommes versées. Le tribunal judiciaire de Fontainebleau, par jugement du 19 avril 2023, a condamné la bénéficiaire à restituer les sommes perçues avec intérêts.

Devant la cour d’appel, la bénéficiaire contestait cette condamnation en soutenant que la nullité du contrat ne pouvait être fondée sur des moyens délictuels, que la preuve d’un vice du consentement n’était pas rapportée et qu’elle avait produit le certificat médical de bonne foi. L’assureur demandait la confirmation du jugement et sollicitait en outre la capitalisation des intérêts ainsi que des dommages-intérêts pour résistance abusive.

La question posée à la cour était de déterminer si l’autorité de la chose jugée attachée à une condamnation pénale pour abus de faiblesse et escroquerie à l’assurance permet au juge civil de prononcer la nullité du contrat d’assurance-vie et d’ordonner la restitution des sommes versées, avec quelles conséquences indemnitaires.

La cour d’appel de Paris confirme le jugement et condamne la bénéficiaire à restituer la somme de 18 779,50 euros avec intérêts capitalisés. Elle lui alloue en outre 1 500 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice distinct causé par les manœuvres frauduleuses.

La solution retenue illustre l’articulation entre l’autorité de la chose jugée au pénal et les conséquences civiles du défaut de consentement (I), tout en précisant le régime de l’indemnisation complémentaire de l’assureur victime de fraude (II).

I. L’autorité de la chose jugée au pénal, fondement de la nullité du contrat d’assurance

La cour affirme avec netteté le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal (A), avant d’en déduire la nullité absolue du contrat pour défaut de consentement de l’assurée (B).

A. L’extension de l’autorité de la chose jugée aux motifs décisoires

La cour rappelle que « l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé ». Cette formulation classique trouve ici une application rigoureuse.

L’appelante soutenait que le tribunal ne pouvait fonder la nullité du contrat sur la motivation de l’arrêt pénal, les deux instances devant demeurer indépendantes. La cour écarte cette argumentation en relevant que « l’arrêt de la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel de Paris du 26 novembre 2019 repose sur les mêmes causes que celles de la présente instance, à savoir l’absence de consentement de l’assurée au contrat d’assurance et l’utilisation par l’appelante d’un certificat médical dont elle connaissait l’inexactitude ».

La portée de cette solution est considérable. L’autorité de la chose jugée s’étend aux motifs qui constituent le soutien nécessaire de la décision pénale. Le juge civil ne peut remettre en cause les constatations factuelles opérées par le juge répressif dès lors qu’elles fondent la condamnation. Cette règle traditionnelle trouve ici une illustration particulièrement nette en matière d’assurance-vie, où la souscription frauduleuse constitue à la fois une infraction pénale et une cause de nullité civile du contrat.

B. La nullité absolue pour défaut de consentement de l’assurée

La cour déduit de l’autorité de la chose jugée que « le défaut de consentement de l’assurée est sanctionné par la nullité absolue du contrat, et n’est pas susceptible de confirmation ». Cette qualification emporte des conséquences décisives sur le régime de l’action en nullité.

L’arrêt pénal avait établi que la bénéficiaire était « seule à l’origine du contrat » et qu’en « abusant de la faiblesse de sa mère, dont elle pressentait la fin prochaine, elle a souscrit elle-même l’assurance sur la tête de cette dernière en se désignant comme unique bénéficiaire sans en informer son frère et sa sœur ». La cour précise qu’« il importe peu de savoir de quelle main est la signature figurant sur le contrat dès lors que la déficience psychique et le défaut de consentement étaient avérés ».

Cette solution s’inscrit dans la jurisprudence relative à l’article L. 132-2 du code des assurances qui exige le consentement de l’assuré lorsque l’assurance est souscrite sur sa tête par un tiers. Le défaut de ce consentement entraîne la nullité absolue du contrat, laquelle peut être invoquée par tout intéressé et notamment par l’assureur. La nullité étant absolue, elle échappe à la confirmation et le délai de prescription applicable est celui de droit commun.

La restitution ordonnée porte sur l’intégralité du capital versé, soit 18 779,50 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du paiement. La cour fait application de l’article 1352-7 du code civil qui prévoit que les intérêts courent du jour du paiement lorsque l’accipiens était de mauvaise foi. Cette mauvaise foi est établie par la condamnation pénale irrévocable.

II. L’indemnisation complémentaire de l’assureur victime de manœuvres frauduleuses

La cour distingue le préjudice réparable résultant des manœuvres frauduleuses (A) de celui qui ne peut être retenu faute de lien direct avec le dommage subi par l’assureur (B).

A. Le préjudice distinct résultant de la tromperie sur la cause du décès

L’assureur sollicitait 10 000 euros de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1240 du code civil. Le tribunal avait rejeté cette demande au motif que la preuve d’un préjudice distinct de la perte financière n’était pas rapportée. La cour adopte une position plus nuancée.

Elle reconnaît que « le comportement de l’appelante, qui a été définitivement sanctionné pénalement, a causé à l’assureur un préjudice distinct de celui résultant de la perte financière subie et de la gestion du contentieux consécutif à son comportement ». Ce préjudice résulte de ce qu’elle « a employé des manœuvres frauduleuses pour faire croire à la société d’assurance que sa mère était décédée à la suite d’un accident, afin de percevoir un capital décès plus important ».

La cour alloue 1 500 euros de dommages-intérêts à ce titre. Cette somme répare le préjudice moral de l’assureur résultant de la tromperie dont il a été victime. La fraude à l’assurance cause en effet un préjudice qui excède la simple perte financière. Elle porte atteinte à la relation de confiance inhérente au contrat d’assurance et contraint l’assureur à engager des procédures coûteuses pour faire reconnaître ses droits.

B. L’absence de préjudice indemnisable au titre de l’abus de faiblesse

La cour refuse en revanche d’indemniser l’assureur au titre de l’abus de faiblesse commis envers l’assurée. Elle juge que « contrairement à ce que soutient l’assureur, aucune faute ouvrant droit à réparation d’un préjudice distinct à son égard n’est caractérisée du fait de l’abus de la faiblesse commis par l’appelante envers sa propre mère pour avoir souscrit sur sa tête un contrat d’assurance vie sans son consentement ».

Cette distinction est juridiquement fondée. Le préjudice résultant de l’abus de faiblesse a été subi par l’assurée elle-même, non par l’assureur. Seuls les héritiers de la défunte pourraient, le cas échéant, agir en réparation de ce chef de préjudice. L’assureur ne subit du fait de cette infraction qu’un préjudice indirect, insuffisant pour fonder une action en responsabilité.

La cour rejette également la demande fondée sur l’abus du droit d’appel. Elle relève que « s’il ne peut être reproché à l’appelante d’avoir abusé de son droit d’appel, dès lors qu’elle a pu faire une appréciation inexacte de ses droits au vu des pièces versées aux débats ». L’exercice d’une voie de recours, même vouée à l’échec, ne constitue pas en soi une faute. Seul l’abus caractérisé, révélant une intention de nuire ou une légèreté blâmable, peut donner lieu à indemnisation. En l’espèce, malgré la condamnation pénale définitive, la cour considère que l’appelante a pu légitimement tenter de faire valoir ses arguments devant le juge civil.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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