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Par un arrêt du 9 septembre 2025, la Cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 5) statue sur un litige de transfert conventionnel dans le secteur de la sécurité privée et sur une demande de résiliation judiciaire. La question essentielle porte sur l’imputation de l’échec du transfert du contrat du salarié lors d’un changement de titulaire d’un marché, puis sur la gravité des manquements reprochés à l’employeur sortant.
Les faits tiennent en peu de points utiles. Un agent de sécurité, embauché en 2007, voit son contrat transféré en 2019 à l’entreprise sortante à la suite d’un plan de cession. Le marché sur lequel il était affecté change de titulaire fin 2019. L’entreprise entrante sollicite des éléments conformément à l’avenant du 28 janvier 2011, puis refuse la reprise du contrat de l’intéressé, tout en acceptant celle de plusieurs collègues. L’entreprise sortante informe le salarié d’un transfert qu’elle sait contesté, lui remet ensuite un certificat de travail mentionnant une sortie au 31 décembre 2019, puis lui adresse tardivement un planning pour mars 2020.
La procédure est la suivante. Par jugement du 13 septembre 2021, le Conseil de prud’hommes de Paris prononce la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur sortant et alloue diverses sommes, retenant sa responsabilité dans l’absence de transfert. Appel est interjeté, sur fond d’ouvertures de liquidations judiciaires des entreprises concernées et d’interventions d’organismes de garantie. La Cour d’appel de Paris confirme la résiliation judiciaire et l’essentiel des condamnations, mais impute l’échec du transfert à l’entreprise entrante, ajuste l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et retient une exécution déloyale distinctement indemnisée.
La question de droit se dédouble nettement. D’abord, déterminer si les manquements allégués au formalisme conventionnel permettaient à l’entreprise entrante de refuser la reprise, au regard de l’avenant du 28 janvier 2011 et de l’impossibilité opérationnelle. Ensuite, apprécier si l’absence de travail et la modification du rythme horaire caractérisaient des manquements suffisamment graves justifiant la résiliation judiciaire et ses suites indemnitaires.
I. L’imputation du non-transfert au regard du cadre conventionnel
A. Le standard conventionnel et l’épreuve de l’impossibilité d’organisation
Le raisonnement s’ancre dans l’avenant du 28 janvier 2011 annexé à la convention collective de la prévention et sécurité. La cour rappelle la mécanique des échanges et délais, ainsi que la faculté de refus en cas de dossier incomplet. Il est utile de citer le texte conventionnel: « À défaut de transmission dans les délais de l’intégralité des éléments énumérés ci-dessus pour un salarié donné, l’entreprise entrante pourra refuser le transfert de ce salarié, que l’entreprise sortante devra reclasser en lui conservant les mêmes classification et rémunération. » La réception des dossiers et la notification des pièces manquantes sont également encadrées: « L’entreprise entrante accuse réception de cette liste et des pièces jointes dans les 5 jours ouvrables suivant la réception en mentionnant avec précision les pièces éventuellement manquantes. »
La juridiction d’appel ajoute une exigence décisive, d’inspiration finaliste: « le manquement de l’entreprise sortante à son obligation de communiquer à l’entreprise entrante les documents prévus par l’accord ne peut empêcher la reprise du contrat de travail que s’il met l’entreprise entrante dans l’impossibilité d’organiser la reprise effective du marché. » Ce critère déplace le centre de gravité du seul inventaire documentaire vers l’aptitude concrète à organiser la reprise, ce qui confère au juge un pouvoir d’appréciation contextualisé.
B. L’application aux pièces transmises et la responsabilité de l’entreprise entrante
Sur les éléments de l’espèce, la cour constate l’éligibilité du salarié à la reprise: « En premier lieu, la cour relève qu’il n’est argué par aucune des parties que le salarié n’était pas éligible à la reprise de son contrat de travail. » Elle relève ensuite que l’entreprise sortante a transmis plusieurs pièces substantielles, même si des plannings supplémentaires et un avis d’aptitude actualisé faisaient défaut. L’entreprise entrante a pourtant repris simultanément plusieurs salariés malgré des lacunes documentaires analogues, ce qui atteste l’absence d’impossibilité d’organisation.
Au regard de ce faisceau d’indices, la défaillance documentaire partielle ne suffisait pas, en elle-même, à fonder le refus de la reprise. L’échec du transfert est donc imputé à l’entreprise entrante, l’entreprise sortante n’ayant pas, par ses seuls manquements, rendu impossible la reprise effective du marché.
II. La résiliation judiciaire et ses effets
A. Les manquements caractérisés et la loyauté contractuelle
La cour rappelle la définition opératoire du standard de gravité: « Le manquement suffisamment grave est celui qui empêche la poursuite du contrat. » Elle examine deux séries de griefs. D’abord, l’absence de fourniture de travail et de rémunération entre janvier et fin février 2020, l’employeur n’ayant proposé une affectation qu’en toute fin de période. Ensuite, la modification significative de l’horaire par un planning imposant un quantum d’heures de nuit sans précédent au regard de l’historique, ce qui excède une simple variation des conditions d’exécution.
Ces éléments composent un ensemble cohérent de manquements rendant impossible la poursuite immédiate du contrat: « Les manquements ci-dessus retenus sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite immédiate du contrat de travail. » S’y ajoute une atteinte distincte au principe de loyauté, la cour retenant expressément, après avoir rappelé le fondement légal, que « En application de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi » et que l’employeur « a ainsi manqué à son obligation de loyauté. » La date d’effet de la rupture suit la ligne classique en cas de licenciement postérieur à la demande de résiliation: « Lorsque la cour d’appel confirme un jugement prononçant la résiliation du contrat de travail, la date de prise d’effet de la rupture est celle du jugement dès lors que l’exécution du contrat ne s’est pas poursuivie au-delà. »
B. Le régime indemnitaire, l’accessoire procédural et la portée pratique
L’indemnisation s’aligne sur le cadre légal applicable. La cour rappelle que, si la réintégration n’est pas retenue, « le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur » en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, dont le quantum est apprécié au regard de l’ancienneté et des circonstances de la rupture. Elle fixe les sommes dues au passif de la procédure collective de l’employeur, précise le régime des intérêts en présence d’une procédure collective, et ordonne le remboursement d’un mois d’allocations de chômage conformément au texte spécifique.
La demande de réparation autonome pour perte de chance d’adhérer à un dispositif de sécurisation est rejetée, au visa d’une définition exigeante du dommage probabiliste: « La perte de chance implique seulement la privation d’une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable et non un caractère certain. » La faute retenue étant étrangère à un licenciement économique, le lien causal allégué fait défaut. L’appel en garantie contre l’entreprise entrante est également écarté, faute de rattachement causal entre la faute imputée au refus de reprise et les créances nées des manquements personnels ayant justifié la résiliation.
L’arrêt présente ainsi une cohérence d’ensemble. Il affine l’articulation entre formalisme conventionnel de reprise et impossibilité opérationnelle, tout en réaffirmant, avec mesure, les contours de la résiliation judiciaire pour non-fourniture de travail et modification substantielle des horaires. En toile de fond, il rappelle l’exigence de bonne foi dans l’information donnée au salarié et précise, avec rigueur, les accessoires financiers propres aux ruptures constatées en contexte de procédures collectives.