Cour d’appel de Paris, le 9 septembre 2025, n°21/09695

Cour d’appel de Paris, 9 septembre 2025. Un agent de sécurité affecté à un site de distribution voit son contrat transféré à la suite d’une cession antérieure, puis confronté à un changement de prestataire. L’entreprise entrante refuse la reprise en invoquant l’incomplétude des dossiers transmis, tandis que l’entreprise sortante annonce au salarié un transfert déjà démenti. Le conseil de prud’hommes de Paris, le 13 septembre 2021, prononce la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur et accorde divers rappels de salaires. Saisi par l’employeur et par le salarié, l’arrêt précise la répartition des responsabilités, la date d’effet de la résiliation et l’assiette des créances.

Le litige oppose, sur le terrain conventionnel, l’obligation de reprise prévue par l’avenant du 28 janvier 2011 de la branche prévention-sécurité et, sur le terrain contractuel, l’exigence de loyauté dans l’information du salarié. La question de droit portait, d’une part, sur le critère permettant à l’entreprise entrante de refuser un transfert lorsque des pièces manquent, d’autre part, sur la gravité du manquement d’information imputé à l’employeur sortant justifiant une résiliation judiciaire. La Cour retient que l’incomplétude documentaire ne justifie un refus que si elle rend impossible l’organisation effective de la reprise, et constate un manquement de loyauté du sortant, fixant la résiliation au 31 décembre 2019 avec les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

I. Le transfert conventionnel de personnel dans la sécurité privée

A. Le cadre procédural et substantiel de l’avenant de branche
L’arrêt rappelle la mécanique conventionnelle articulée autour d’échanges formalisés et de délais étroits. Il cite ainsi, au titre des obligations initiales, que « L’entreprise entrante accuse réception de cette liste et des pièces jointes dans les 5 jours ouvrables suivant la réception en mentionnant avec précision les pièces éventuellement manquantes. L’entreprise sortante transmet par tous moyens, y compris électroniques, les pièces manquantes dans les 48 heures ouvrables. » Cette séquence instaure un dialogue probatoire bref, orienté vers la continuité opérationnelle du service.

Le texte prévoit également une faculté de refus strictement encadrée lorsque le dossier demeure incomplet au terme du processus. L’arrêt restitue la clause suivante : « À défaut de transmission dans les délais de l’intégralité des éléments énumérés ci-dessus pour un salarié donné, l’entreprise entrante pourra refuser le transfert de ce salarié, que l’entreprise sortante devra reclasser en lui conservant les mêmes classification et rémunération. » La logique est duale : sanctionner l’inaction du sortant et préserver la situation du salarié par un reclassement interne, sans rompre l’équilibre de la charge.

Enfin, la décision rappelle le jalon final de la procédure de reprise, qui commande un engagement explicite et dans un délai bref : « [D]ans un délai de 8 jours ouvrables maximum à compter de la réception des dossiers complets des personnes figurant sur la liste des personnels transférables, l’entreprise entrante communique à l’entreprise sortante, par lettre recommandée avec avis de réception, la liste du personnel qu’elle se propose de reprendre. » L’économie d’ensemble arrime la reprise à une exigence d’effectivité et de diligence, plus qu’à un formalisme absolu.

B. Le critère d’« impossibilité d’organiser la reprise » comme clé de lecture
Au cœur du raisonnement, la Cour substitue au formalisme documentaire une exigence fonctionnelle déterminante. Elle énonce que « le manquement de l’entreprise sortante à son obligation de communiquer à l’entreprise entrante les documents prévus par l’accord ne peut empêcher la reprise du contrat de travail que s’il met l’entreprise entrante dans l’impossibilité d’organiser la reprise effective du marché. » La formule commande un contrôle concret des pièces manquantes, rapporté aux besoins réels d’organisation du site et aux pratiques de reprise observées.

Appliquant ce critère, la Cour constate que des dossiers incomplets ont pourtant permis la reprise d’autres salariés placés dans une situation documentaire comparable. Cette comparaison fragilise l’argument du refus, qui ne repose plus sur une impossibilité mais sur une appréciation opportuniste du degré d’exhaustivité. Dès lors, l’incomplétude ne suffit pas ; seule l’impossibilité avérée emporte légitimité du refus. L’approche limite les contentieux de blocage et favorise la continuité du service, sans exonérer l’entreprise sortante de ses diligences documentaires.

Cette lecture conforte la nature conventionnelle du transfert lorsqu’il est admis que l’article L. 1224-1 ne s’applique pas. Elle évite un automatisme dépourvu de base légale tout en contraignant l’entreprise entrante à une loyauté d’exécution. Elle concilie la sécurité juridique du processus et la protection du salarié, au prix d’un contrôle de proportionnalité entre pièces exigées et faisabilité opérationnelle.

II. La résiliation judiciaire pour manquement de loyauté et ses effets

A. La qualification du manquement suffisamment grave
Sur le terrain contractuel, la norme de comportement s’énonce sans détour : « En application de l’article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. » Cette exigence irrigue l’information délivrée au salarié lorsque sa situation est en cours de stabilisation. La Cour rappelle le standard prétorien de gravité : « Le manquement suffisamment grave est celui qui empêche la poursuite du contrat. Dans ce cas, la résiliation du contrat produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. »

L’employeur a annoncé au salarié un transfert dont le refus avait été antérieurement porté à sa connaissance. La juridiction qualifie alors le comportement au regard de ses effets concrets sur la sécurité professionnelle du salarié. Elle retient précisément que « Ce manquement en ce qu’il a laissé le salarié démuni et sans information par rapport à sa situation alors que les dispositions conventionnelles ont pour but sa protection au regard de son emploi, est suffisamment grave pour empêcher la poursuite immédiate du contrat de travail. » La résiliation judiciaire est prononcée avec effet au jour de la rupture matérialisée, prévenant toute reconstitution artificielle d’une période travaillée.

Ce segment illustre la cohérence de l’ensemble : l’entreprise entrante est fautive du refus de reprise, mais l’entreprise sortante reste comptable de la loyauté due au salarié tant que le lien contractuel subsiste. La faute d’un cocontractant externe ne purge pas l’exigence de bonne foi qui pèse sur l’employeur.

B. Les conséquences indemnitaires et la portée pratique de la solution
La fixation de la date d’effet au 31 décembre 2019 commande le rejet des rappels de salaires postérieurs, faute d’obligation de fourniture de travail au-delà de la rupture retenue. Les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse entraînent l’indemnisation sur le fondement applicable, dans les bornes de l’article L. 1235-3, avec prise en compte des critères habituels liés à l’emploi, à l’ancienneté et à l’âge. S’ajoutent l’indemnité légale, l’indemnité compensatrice de préavis et l’allocation d’une somme spécifique pour l’exécution déloyale, distincte du préjudice lié à la rupture.

Le traitement des intérêts suit la distinction entre créances salariales et indemnitaires, sous la réserve des effets de la procédure collective sur le cours des intérêts. La garantie de l’organisme de garantie des salaires reste due dans ses limites propres, la décision lui étant opposable, sans excéder le cadre légal. Enfin, l’appel en garantie contre l’entreprise entrante est écarté, faute de lien causal entre sa faute et les créances fixées au passif, lesquelles procèdent des seuls manquements de l’employeur envers le salarié.

La portée pratique est nette. La branche sécurité privée dispose d’un critère opératoire qui sécurise la reprise, en évitant qu’un formalisme extensif serve de prétexte à la non-reprise. L’information au salarié devient une ligne de crête : l’employeur doit s’abstenir de toute annonce erronée ou prématurée, particulièrement lorsque l’issue du processus conventionnel est connue. La solution incite à une gouvernance documentée des transferts et à une communication loyale, conditions cardinales d’une continuité sociale maîtrisée.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture