Cour d’appel de Paris, le 9 septembre 2025, n°22/05664

Cour d’appel de Paris, 9 septembre 2025. Un salarié, engagé en 2019 comme manager dans la restauration rapide, voit son contrat transféré quelques mois plus tard. Convoqué à entretien préalable avec mise à pied conservatoire le 7 décembre 2020, il prend acte de la rupture deux jours ensuite. L’employeur notifie ultérieurement un licenciement pour faute grave, alors que le salarié conteste avoir participé à des irrégularités de caisse. Le litige porte sur la qualification et les effets de cette prise d’acte.

Saisi en 2021, le conseil de prud’hommes de Meaux, le 19 avril 2022, juge la prise d’acte assimilable à un licenciement sans cause et alloue des sommes. L’employeur interjette appel, sollicitant la requalification en démission et le remboursement de l’indemnité de préavis. Le salarié conclut à la confirmation, subsidiairement à une modération, et invoque les griefs ayant motivé son départ. La procédure est clôturée le 9 avril 2025, et l’affaire est débattue le 22 mai 2025.

La question posée tient aux conditions et à la charge de la preuve de la prise d’acte, ainsi qu’aux effets d’un licenciement postérieur. Plus précisément, il s’agit de savoir si des manquements imputés à l’employeur, contestés et pénalement éclairés, sont assez graves et actuels pour empêcher la poursuite du contrat. La réponse commande l’ouverture des droits liés à la rupture et la pertinence des prétentions croisées.

La cour rappelle que « Les manquements par l’employeur à ses obligations, dès lors qu’ils sont suffisamment graves et récents pour empêcher le maintien du contrat de travail, justifient la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat, aux torts de l’employeur ». Elle ajoute : « Cette rupture s’analyse alors en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ». Elle précise encore que « La preuve des manquements reprochés à l’employeur doit être rapportée par le salarié ». Constatant l’absence de faits établis, la formation décide que « Par infirmation du jugement, la cour juge que la prise d’acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d’une démission ». Elle souligne enfin qu’« Il est par ailleurs constant que le licenciement intervenu alors que le contrat est déjà rompu ne produit aucun effet ».

I. Le régime de la prise d’acte rappelé et précisé

A. Gravité et actualité des manquements exigées

La formation sociale réaffirme le critère décisif de l’empêchement du maintien du contrat. L’énoncé selon lequel « Les manquements par l’employeur à ses obligations, dès lors qu’ils sont suffisamment graves et récents pour empêcher le maintien du contrat de travail, justifient la prise d’acte par le salarié de la rupture de son contrat, aux torts de l’employeur » fixe un seuil élevé. La référence conjointe à la gravité et à l’actualité écarte les griefs anciens, ambigus ou difficilement imputables. Elle interdit surtout de fonder la rupture sur de simples soupçons ou sur un climat conflictuel sans faute caractérisée de l’employeur.

Appliqué au cas, le raisonnement se concentre sur un éclairage pénal déterminant. La cour relève qu’une collègue a finalement admis des faits d’extorsion et de dénonciation calomnieuse, neutralisant l’allégation d’intimidations imputées à l’employeur. Les manquements invoqués ne sont donc ni établis ni imputables à l’entreprise. La condition de gravité immédiate fait défaut, ce qui exclut l’assimilation à un licenciement.

B. Charge et modes de preuve du salarié

Le rappel selon lequel « La preuve des manquements reprochés à l’employeur doit être rapportée par le salarié » emporte des conséquences concrètes. Le juge vérifie la matérialité, l’imputabilité et l’intensité des faits, sans se limiter à la seule plainte pénale. La production initiale se trouve discutée si des éléments judiciaires ultérieurs en renversent la crédibilité. La preuve s’apprécie in concreto, au regard d’un ensemble cohérent et licite.

Le recours à une décision pénale postérieure n’est pas étonnant, l’office prud’homal autorisant une appréciation globale des pièces. En l’espèce, l’aveu en comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, acté par un arrêt du 19 mars 2024, a valablement discrédité le récit initial. La démonstration du salarié demeure insuffisante, privant la prise d’acte de son fondement juridique. L’exigence probatoire élevée se trouve ainsi confirmée dans toutes ses dimensions.

II. Effets attachés à la rupture et enseignements pratiques

A. Inefficacité d’un licenciement postérieur à la prise d’acte

La cour rappelle, dans une formule claire, qu’« Il est par ailleurs constant que le licenciement intervenu alors que le contrat est déjà rompu ne produit aucun effet ». La lettre ultérieure ne reconfigure donc ni la qualification de la rupture ni les droits qui s’y rattachent. Les motifs du licenciement restent sans portée propre, sauf à nourrir l’examen des griefs imputés à l’employeur. Cette mise au point stabilise l’office du juge et sécurise l’économie du débat.

La solution est cohérente avec la nature unilatérale et immédiate de la prise d’acte. Dès sa notification, le contrat est rompu, de sorte que toute décision ultérieure est inopérante. Le contentieux se replie logiquement sur la validité des manquements allégués, qui emporte la requalification en licenciement ou en démission. La présente affaire illustre ce recentrage, résolument probatoire.

B. Conséquences financières et articulation avec la mise à pied

Requalifiée en démission, la rupture exclut les indemnités de licenciement, les dommages-intérêts et l’indemnité de préavis au profit du salarié. L’employeur, toutefois, ne peut obtenir une indemnité compensatrice de préavis à sa charge. La mise à pied conservatoire antérieure à la prise d’acte faisait obstacle à l’exécution du travail, empêchant ainsi tout préavis. Le salarié ne pouvait ni travailler ni préaviser, si bien qu’aucune somme n’était due de ce chef.

L’absence d’allocation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile s’inscrit dans une logique d’équilibre. Les dépens suivent la succombance, sans alourdir le coût du procès par des frais irrépétibles. L’enseignement pratique est double, probatoire et chronologique. Il invite à une prudence renforcée avant toute prise d’acte et à une vigilance sur les interactions entre mesures conservatoires et créances de rupture. L’arrêt consacre une ligne de rigueur, favorable à la sécurité des qualifications.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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