Cour d’appel de Paris, le 9 septembre 2025, n°22/19221

Cour d’appel de Paris, 9 septembre 2025. La chambre commerciale internationale est saisie d’un recours en annulation d’une sentence UNCITRAL rendue à Paris, au terme d’un arbitrage conduit sous l’égide d’une institution internationale. Le tribunal arbitral s’était déclaré incompétent pour connaître des demandes d’une investisseuse, estimant qu’aucun « investissement » protégé au sens du traité bilatéral applicable n’était établi au‑delà d’une faible participation et d’un prêt, et avait statué sur les frais. Le recours invoquait la violation du contradictoire, une erreur sur la compétence, une irrégularité de constitution du tribunal et une atteinte à l’ordre public international.

Les faits tiennent à l’activité de la demanderesse au sein d’une société locale de capital‑investissement, à des poursuites pénales menées par l’État d’accueil, puis à la saisine d’un tribunal arbitral sur le fondement d’un traité de protection des investissements conclu en 1994. La sentence a retenu l’incompétence en considérant que la demanderesse n’avait pas réalisé un investissement protégé à raison de la société dans son ensemble, et l’a condamnée aux frais. Devant la cour, la demanderesse a articulé quatre moyens d’annulation fondés sur l’article 1520 du code de procédure civile. Le défendeur a opposé des irrecevabilités tirées de l’article 1466 et contesté tout grief de fond.

La question centrale portait sur l’accès même à la protection conventionnelle et, partant, sur la compétence arbitrale: l’investissement protégé suppose‑t‑il que l’actif ait été investi par l’investisseur lui‑même, le seul contrôle de facto d’une société pouvant suffire, et selon quels critères probatoires. S’y ajoutaient deux questions procédurales: l’étendue du contradictoire devant l’arbitre et le contrôle, au regard de l’ordre public international de direction, des atteintes alléguées aux droits fondamentaux. La cour rejette le recours, déclare irrecevable le grief relatif à la constitution du tribunal, retient l’exigence d’un investissement réalisé par l’investisseur, écarte toute violation du contradictoire et de l’ordre public.

I. L’exigence d’un investissement propre et le contrôle de compétence

A. La définition conventionnelle éclairée par le Protocole

Le traité définit l’investissement comme « tout type d’actif détenu ou contrôlé par un investisseur […] et investi sur le territoire de l’autre Partie Contractante en accord avec sa législation », et garantit que « Les investissements par les investisseurs d’une Partie Contractante se verront accorder un traitement juste et équitable » (art. 1 et 2, traduction de la cour). Le Protocole précise: « Les Parties Contractantes reconnaissent également que la question de savoir si le contrôle existe dépendra des circonstances factuelles du cas d’espèce. » Il détaille des indices cumulatifs: intérêt substantiel, influence substantielle sur la gestion et la composition des organes.

L’arrêt retient une lecture combinée et finaliste. La protection vise « les investissements qu’[les investisseurs] réalisent sur le territoire de l’autre », non des actifs façonnés par l’apport d’autrui au seul motif d’un contrôle allégué. L’offre permanente de consentement à l’arbitrage, qui vise les litiges « eu égard à un investissement de [l’investisseur] », ne se dissocie pas de cette exigence normative. Le contrôle exercé par le juge de l’annulation est précisément rappelé: « Pour l’application de ce texte, il appartient au juge de l’annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage. » Le même contrôle « est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l’annulation n’ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé. »

En conséquence, la cour valide l’approche du tribunal arbitral: la notion d’investissement ne se réduit pas à un faisceau de pouvoirs fonctionnels sur une entité sociétaire; elle suppose que l’actif protégé ait été investi par l’investisseur couvert par le traité, directement ou indirectement selon les termes du Protocole.

B. Application: contrôle de fait insuffisant et absence d’investissement protégé

La demanderesse soutenait contrôler la société cible dans son ensemble, par une présence organique, des responsabilités opérationnelles et un intéressement. La cour vérifie d’abord le critère d’« intérêt substantiel » et constate que la détention minoritaire, très marginale, même complétée par un prêt, ne suffit pas. Elle se réfère aux indices textuels du Protocole et refuse d’ériger un schéma d’intéressement en équivalent d’une participation significative.

Elle apprécie ensuite l’« influence substantielle » alléguée sur la gestion et la composition des organes. Les fonctions exercées, aussi étendues soient‑elles, restent attachées à un rapport de subordination salariale et s’analysent en pouvoirs de direction classiques, non en attributs de contrôle au sens conventionnel. La cour souligne ainsi le nécessaire ancrage factuel des indices de contrôle: « À cette fin, il convient de prendre en considération, entre autres, s’il y a : a) un intérêt substantiel […] b) la capacité à exercer une influence substantielle sur la gestion […] c) la capacité à exercer une influence substantielle sur la composition du conseil d’administration […]. » Faute de démonstration probante, la qualification de la société comme investissement protégé fait défaut, justifiant la décision d’incompétence.

La solution s’inscrit, enfin, dans l’économie du consentement étatique à l’arbitrage. L’offre vise des « investissements par les investisseurs », et l’arrêt écarte explicitement une lecture qui « confèrerait sa protection à un investisseur pour un investissement réalisé par un autre ». La cohérence du dispositif conventionnel commande cette interprétation.

II. Le respect du contradictoire et de l’ordre public international

A. Le contradictoire en arbitrage: rappel des exigences et mise en œuvre

La cour rappelle la portée exacte du principe: « Le principe de la contradiction veut seulement que les parties aient été mises à même de débattre contradictoirement des moyens invoqués et des pièces produites, et qu’elles aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n’ait échappé à leur débat contradictoire. » Elle ajoute: « Le tribunal arbitral n’est pas tenu de soumettre aux parties l’argumentation juridique qui étaye la motivation de sa sentence avant son prononcé. Il ne peut toutefois fonder sa décision sur des moyens de droit ou de fait non invoqués. »

Appliquant ces principes, la cour relève que le débat avait porté sur la qualification d’« investissement » au sens du traité, non sur la seule question isolée du « contrôle » formaliste. L’examen, par la majorité arbitrale, des actifs effectivement « détenus ou contrôlés » et « investis » n’a pas déplacé la cause juridique hors du champ des écritures. La motivation critiquée, qui contextualise les arguments de la demanderesse, ne révèle pas un moyen nouveau soulevé d’office, mais l’articulation normale des qualifications pertinentes. Le moyen d’annulation est rejeté.

Cette appréciation s’accorde avec la nature du contrôle exercé par la juridiction d’appui en matière de compétence: « Le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence. » L’office du juge n’est pas de substituer son appréciation aux arbitres sur le bien‑fondé, mais d’assurer que rien d’extrinsèque à la contradiction n’a servi de support décisif.

B. L’ordre public international de direction: champ, renonciation et preuve du grief

L’arrêt distingue nettement l’ordre public de direction et les griefs susceptibles de renonciation. Il souligne d’abord la règle procédurale de renonciation: « L’article 1466 du code de procédure civile ne vise pas les seules irrégularités procédurales mais tous les griefs qui constituent des cas d’ouverture du recours en annulation des sentences arbitrales, à l’exception des moyens tirés de ce que la reconnaissance ou l’exécution de la sentence violerait l’ordre public international de direction. » Il précise la charge du contrôle du juge sur la connaissance en temps utile: « Il incombe au juge de rechercher si, relativement à chacun des faits et circonstances allégués comme constitutifs d’une irrégularité, la partie qui s’en prévaut en avait connaissance […] de sorte qu’elle aurait dû alors s’en prévaloir. »

Sur cette base, le grief relatif à l’indépendance d’un arbitre, non soulevé devant le tribunal, est déclaré irrecevable. En revanche, les allégations d’atteintes aux droits fondamentaux et d’inéquité procédurale relèvent, par leur nature, de l’ordre public de direction et ne se heurtent pas à la renonciation. La cour encadre ensuite le contrôle matériel de ces allégations par trois rappels de principe. D’abord, « L’ordre public international au regard duquel s’effectue le contrôle du juge s’entend de la conception qu’en a l’ordre juridique français, c’est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international. » Ensuite, « La lutte contre les violations des droits de l’homme […] figurent au rang des principes dont l’ordre juridique français ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international. » Enfin, la méthode est restreinte: « Ce contrôle s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international. »

La mise en œuvre est rigoureuse. La procédure arbitrale a permis des échanges contradictoires complets, des audiences et la présence de la demanderesse assistée de ses conseils. Les difficultés pénales et administratives alléguées, extérieures à l’instance arbitrale, ne sont pas établies comme ayant privé la défense de garanties effectives au cours de l’arbitrage lui‑même. Aucune violation caractérisée de l’ordre public international n’est constatée, de sorte que le moyen est écarté.

Au total, la solution combine une lecture exigeante des conditions d’accès à la protection des investissements et un contrôle procédural à la fois attentif et circonscrit. L’irrecevabilité partielle assainit le contentieux d’annulation, tandis que l’analyse de la compétence, recentrée sur l’exigence d’un investissement réalisé par l’investisseur, conforte l’économie du consentement étatique. L’examen des garanties fondamentales demeure, quant à lui, fidèle à un standard élevé, sans dénaturer l’office du juge de l’annulation.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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