Cour d’appel de Paris, le 9 septembre 2025, n°23/15803

La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 9 septembre 2025, a statué sur la question de l’admission d’une créance au passif d’une société en redressement judiciaire lorsque le fondement de cette créance fait l’objet d’une contestation devant une autre juridiction.

Une société exploitant une salle de sport avait conclu en novembre 2019 un contrat de crédit-bail portant sur du matériel de fitness. À la suite d’impayés, le crédit-bailleur a notifié la résiliation du contrat en août 2022 et réclamé le paiement d’une somme de 137 732,20 euros comprenant les loyers impayés, les loyers à échoir, une valeur résiduelle, une indemnité de recouvrement et une clause pénale. Un mois plus tard, la société débitrice a été placée en redressement judiciaire. Le crédit-bailleur a déclaré sa créance au passif. La société débitrice a contesté cette déclaration et a parallèlement assigné le crédit-bailleur devant le tribunal de commerce de Paris en contestation de la résiliation du contrat. Le juge-commissaire du tribunal de commerce d’Évry a néanmoins admis la créance pour son montant intégral. La société débitrice a interjeté appel, sollicitant un sursis à statuer dans l’attente de l’issue du litige pendant devant le tribunal de commerce de Paris.

La question posée à la Cour était de savoir si le juge-commissaire, saisi d’une demande d’admission de créance dont le fondement est contesté devant une autre juridiction, doit surseoir à statuer lorsque l’issue de ce litige aura une incidence sur le montant de la créance.

La Cour d’appel de Paris infirme l’ordonnance du juge-commissaire. Elle prononce le sursis à statuer dans l’attente de l’issue du litige pendant devant le tribunal de commerce de Paris, au motif que « le montant de la créance de la société DLL demeure conditionné par l’issue du litige en contestation de la résiliation du contrat ».

Cette décision mérite examen tant au regard de la compétence du juge-commissaire face à une instance parallèle (I) que des conséquences pratiques du sursis à statuer sur la vérification des créances (II).

I. La compétence du juge-commissaire confrontée à l’existence d’une instance parallèle

Le juge-commissaire dispose d’une compétence encadrée par l’article L. 624-2 du code de commerce (A), mais cette compétence peut se heurter à l’existence d’une instance dont l’objet diffère de la fixation de la créance (B).

A. Le cadre légal de la compétence du juge-commissaire en matière de vérification des créances

L’article L. 624-2 du code de commerce définit les pouvoirs du juge-commissaire en matière de vérification des créances. Ce magistrat « décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence ». La Cour rappelle que « faute de texte contraire, le juge-commissaire peut en outre prononcer une décision de sursis à statuer en application de l’article 378 du code de procédure civile s’il ne peut statuer par voie d’admission, de rejet, d’incompétence ou de constat qu’une instance est en cours ».

Cette précision est importante. Elle confirme que les pouvoirs du juge-commissaire ne se limitent pas aux quatre hypothèses expressément prévues par le texte. Le droit commun de la procédure civile demeure applicable lorsque les circonstances l’exigent. La Cour reconnaît ainsi une certaine souplesse dans l’office du juge-commissaire, qui peut recourir au sursis à statuer lorsqu’aucune des solutions légales ne permet de traiter convenablement la situation.

Le juge-commissaire dispose également, en l’absence de contestation sérieuse, d’une compétence élargie pour « statuer sur tout moyen opposé à la demande d’admission ». Cette compétence accessoire lui permet de trancher certaines questions préalables nécessaires à l’admission de la créance.

B. La distinction entre instance en cours et instance connexe

La Cour opère une distinction essentielle entre l’instance en cours au sens de l’article L. 624-2 et l’instance simplement connexe. Elle relève que le litige pendant devant le tribunal de commerce de Paris « n’ayant pas pour objet la fixation de la créance de la société DLL au vu de l’assignation délivrée le 4 avril 2023, elle ne revêt pas la qualification d’instance en cours au sens de l’article L. 624-2 du code de commerce ».

Cette qualification est déterminante. Une instance en cours au sens du texte conduit le juge-commissaire à constater son existence et à renvoyer les parties devant la juridiction saisie. En revanche, une instance connexe ne produit pas automatiquement cet effet. Elle peut néanmoins justifier un sursis à statuer lorsque son issue conditionnera le sort de la créance.

La Cour précise que « la question se pose donc de savoir si ce litige, dont l’issue aura des conséquences directes sur l’action en revendication exercée devant le juge-commissaire, aura également une incidence indirecte sur le montant de la créance ». Cette formulation révèle la démarche intellectuelle suivie : il ne suffit pas qu’un litige soit pendant pour justifier le sursis, encore faut-il que son issue ait une incidence réelle sur la créance soumise à vérification.

II. Les conséquences du sursis à statuer sur la procédure de vérification des créances

Le prononcé du sursis à statuer repose sur l’analyse concrète de l’incidence du litige parallèle sur la créance déclarée (A) et traduit une conception pragmatique de la bonne administration de la justice (B).

A. L’incidence du litige sur la résiliation sur les différentes composantes de la créance

La Cour procède à un examen détaillé des différents postes composant la créance déclarée. Elle distingue les sommes dont le caractère certain ne dépend pas de l’issue du litige et celles qui demeurent conditionnées par la validité de la résiliation.

S’agissant des loyers impayés, la Cour observe que « quelle que soit l’issue de ce litige, la société Nico-Coaching-[Localité 8], dont il est constant qu’elle n’a pas restitué le matériel de fitness nécessaire à l’exercice de son activité, est débitrice de sommes correspondant aux loyers impayés ». Cette partie de la créance paraît donc certaine indépendamment de la contestation de la résiliation.

En revanche, « l’indemnité de recouvrement et la clause pénale prévues au contrat sont susceptibles d’être dues en cas de résiliation pour inexécution ». Ces sommes ne seront dues que si la résiliation est jugée régulière. De même, la valeur résiduelle dépend de l’issue du contrat puisqu’elle correspond au prix de rachat du matériel en fin de crédit-bail.

La Cour en conclut que « le montant de la créance de la société DLL demeure conditionné par l’issue du litige en contestation de la résiliation du contrat ». Cette analyse conduit logiquement au sursis à statuer.

B. Le sursis à statuer comme instrument de bonne administration de la justice

La Cour justifie sa décision par des considérations de bonne administration de la justice. Elle relève que « le juge-commissaire ne pouvant en pareille hypothèse décider d’une admission provisionnelle ou conditionnelle, et dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il apparaît nécessaire d’ordonner le sursis à statuer dans cette attente ».

Cette motivation révèle une limite du dispositif légal. Le juge-commissaire ne dispose pas du pouvoir d’admettre une créance sous condition ou à titre provisionnel. Face à une créance dont certaines composantes sont incertaines, il ne peut que l’admettre intégralement, la rejeter ou surseoir à statuer. L’admission intégrale présenterait le risque d’admettre des sommes qui pourraient ne pas être dues. Le rejet serait injustifié pour les sommes dont le principe n’est pas contesté.

Le sursis à statuer apparaît donc comme la solution la plus adaptée. Il préserve les droits du créancier tout en évitant une admission prématurée de sommes incertaines. Il permet également d’éviter des décisions contradictoires entre les différentes juridictions saisies.

La Cour ordonne la radiation de l’affaire et précise que « l’instance sera rétablie à l’initiative des parties sur justification de la survenance de l’évènement ayant justifié le sursis ». Cette mesure de gestion du rôle est cohérente avec la durée potentiellement longue du sursis. Elle impose aux parties de prendre l’initiative de la reprise d’instance une fois le litige parisien tranché.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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