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Par un arrêt du 10 juillet 2025, la cour d’appel de Pau, chambre sociale, s’est prononcée sur le bien-fondé d’un licenciement pour motif économique et sur l’étendue de l’obligation de formation de l’employeur. Cette décision présente un intérêt particulier en ce qu’elle illustre les exigences probatoires pesant sur l’employeur qui invoque une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité au sein d’une société de droit étranger disposant d’un établissement en France.
Un salarié avait été engagé le 15 août 2012 en qualité de Business Development Manager par une société française, filiale d’un groupe international spécialisé dans les services aux industries d’extraction d’hydrocarbures. Le 1er décembre 2015, son contrat de travail fut transféré à une société de droit allemand, autre filiale du groupe, pour occuper le poste de directeur développement commercial. Il était affecté à l’établissement français de cette société, situé à Pau. Le 28 avril 2021, l’employeur convoqua le salarié à un entretien préalable à un licenciement individuel pour motif économique. Le salarié accepta le contrat de sécurisation professionnelle le 28 mai 2021 et la relation de travail prit fin le 1er juin 2021.
Le salarié saisit le conseil de prud’hommes de Pau le 6 mai 2022 pour contester son licenciement. Par jugement du 16 juin 2023, la juridiction prud’homale jugea le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, condamna l’employeur à verser des dommages et intérêts pour violation de l’obligation de formation et débouta le salarié du surplus de ses demandes. Le salarié interjeta appel. Devant la cour, il soutenait que le motif économique n’était pas caractérisé et sollicitait une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’employeur demandait la confirmation du jugement sur le bien-fondé du licenciement et, par appel incident, contestait sa condamnation au titre de l’obligation de formation.
La cour d’appel devait déterminer si l’employeur avait suffisamment établi la réalité du motif économique invoqué, à savoir une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, et si les éléments de preuve produits permettaient d’apprécier cette menace au niveau de la société employeur et non du seul établissement français.
La cour d’appel de Pau infirme le jugement en ce qu’il a retenu le bien-fondé du licenciement économique. Elle considère que « la cour ne peut en retirer ipso facto que la situation financière de la société […], qui employait [le salarié], était obérée ou, à tout le moins rencontrait des difficultés justifiant une réorganisation, par la suppression du poste de directeur de développement commercial, pour sauvegarder sa compétitivité ». Elle juge en conséquence le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et alloue au salarié une indemnité de 50 000 euros. La cour infirme également la condamnation au titre de l’obligation de formation, estimant que l’employeur avait satisfait à cette obligation.
La cour d’appel de Pau rappelle avec fermeté les exigences probatoires du licenciement économique fondé sur la sauvegarde de la compétitivité (I), tout en précisant les contours de l’obligation de formation pesant sur l’employeur (II).
I. L’exigence d’une démonstration rigoureuse du motif économique au niveau de l’entité employeur
La cour d’appel censure l’insuffisance des preuves relatives à la situation économique de la société employeur (A) et réaffirme la nécessité de caractériser une menace réelle sur la compétitivité à l’échelon pertinent (B).
A. L’insuffisance des éléments comptables limités au seul établissement français
L’employeur invoquait une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité, motif autonome prévu à l’article L.1233-3 du code du travail. La note explicative remise au salarié détaillait le contexte de crise du secteur pétrolier, aggravée par la pandémie de Covid-19, et mentionnait une baisse significative du chiffre d’affaires et du nombre de commandes sur le périmètre français.
La cour relève cependant que « les seuls éléments comptables produits et exploitables sont les documents comptables des années 2019, 2020 et 2021 relatifs à l’établissement français déposés au greffe du tribunal de commerce de Pau ». Elle constate que les tableaux produits ne comportent aucune mention permettant de les rattacher à la société employeur elle-même, observant qu’il s’agit de « l’édition d’un tableau brut, qui semble concerner la France mais ne précise pas l’entreprise concernée et n’explicite pas les chiffres mentionnés ».
Cette appréciation s’inscrit dans une jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation qui impose à l’employeur de produire des éléments comptables fiables et identifiables. La cour d’appel sanctionne ici une confusion entre le périmètre de l’établissement et celui de la société, confusion d’autant plus problématique que le salarié, bien qu’affecté à l’établissement palois, exerçait des fonctions de développement commercial pour la société dans son ensemble.
La décision souligne également le caractère inexploitable d’un courriel produit par l’employeur, qui faisait référence aux « revenue number for France » et non aux chiffres de la société employeur. Cette distinction apparaît déterminante dans l’appréciation portée par la cour, qui refuse de présumer une identité entre la situation de l’établissement français et celle de la société de droit allemand.
B. L’appréciation de la menace sur la compétitivité à l’échelon de la société employeur
La cour rappelle le cadre juridique applicable en énonçant que « la réorganisation ne constitue un motif économique licite qu’à condition d’être nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise qui doit être réellement menacée, la seule recherche d’économies ne suffisant pas ». Elle précise qu’une telle réorganisation peut être mise en œuvre « non seulement pour répondre à des difficultés économiques avérées, mais encore pour prévenir des difficultés économiques à venir, dès lors que la menace se profile et que la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, donc son aptitude à affronter la concurrence, risque d’être mise en cause ».
L’arrêt souligne que lorsque l’entreprise comporte plusieurs établissements, « c’est la compétitivité dans son ensemble qui doit être menacée ». La cour en déduit que l’employeur ne pouvait se borner à produire des éléments relatifs au seul établissement français pour justifier la suppression d’un poste au sein d’une société de droit allemand.
La cour conclut que les chiffres produits « sont nettement insuffisants pour permettre à la cour d’évaluer l’existence et l’importance de la menace de difficultés financières justifiant de réorganiser la société pour sauvegarder sa compétitivité ». Cette motivation illustre le contrôle rigoureux exercé par les juridictions du fond sur la réalité du motif économique, contrôle que la Cour de cassation a progressivement renforcé en exigeant des juges qu’ils ne se contentent pas de « motifs d’ordre général ».
La portée de cette décision est significative pour les groupes internationaux disposant d’établissements en France. Elle impose à l’employeur de produire des éléments comptables propres à l’entité juridique qui procède au licenciement, et non des données agrégées ou relatives à un seul établissement. Cette exigence probatoire apparaît d’autant plus justifiée que le salarié, dans cette affaire, était chargé du développement commercial de la société et non du seul établissement français.
II. La satisfaction de l’obligation de formation par la multiplicité des actions de formation dispensées
La cour d’appel infirme la condamnation prononcée au titre de l’obligation de formation (A) et précise les critères d’appréciation du respect de cette obligation (B).
A. L’infirmation de la condamnation fondée sur le manquement à l’obligation de formation
Le conseil de prud’hommes avait condamné l’employeur à verser 12 763,56 euros de dommages et intérêts pour violation de son obligation de formation. Cette somme correspondait à deux mois de salaire, sanctionnant l’absence alléguée de formations adaptées au maintien de l’employabilité du salarié.
La cour d’appel infirme cette condamnation après avoir examiné la liste des formations suivies par le salarié entre 2012 et 2021, dont la traduction en français n’avait pas été produite devant les premiers juges. Elle relève que le salarié a bénéficié de « plus de 80 actions de formations en 9 années », portant sur des thématiques variées allant des politiques internes de l’entreprise à des formations plus substantielles.
La cour identifie notamment « une formation sur les ventes et celle sur l’analyse des chiffres comptables, des sujets permettant au salarié d’enrichir ses connaissances pour mieux appréhender sa fonction de directeur développement commercial ». Elle mentionne également un cycle de formation sur les ventes « à raison de 7 cours, dispensés en Roumanie à raison de 2 à 3 jours par cours ».
L’arrêt précise que « ces documents attestent donc de ce que la société […] a respecté son obligation de formation et d’adaptation […] par des actions de formation dispensées régulièrement ». La cour ajoute que le salarié « ne démontre nullement l’existence, ni l’étendue d’un quelconque préjudice à ce titre », ce qui constitue un motif autonome de rejet de la demande indemnitaire.
B. Les critères d’appréciation du respect de l’obligation de formation
L’article L.6321-1 du code du travail impose à l’employeur d’assurer l’adaptation des salariés à leur poste de travail et de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi. La cour rappelle que cette obligation « relève de l’initiative de l’employeur » et que « c’est à ce dernier qu’il incombe de démontrer qu’il s’est acquitté de cette obligation, même si le salarié n’a pas été confronté à une difficulté d’adaptation à son poste de travail et même s’il n’a pas demandé de bénéficier de formations ».
La décision apporte un éclairage sur les critères permettant d’apprécier le respect de cette obligation. La cour retient la régularité des formations dispensées tout au long de la relation de travail, la diversité des thématiques abordées et l’adéquation de certaines formations aux fonctions exercées par le salarié.
La distinction opérée par la cour entre les formations relatives aux procédures internes et celles permettant au salarié d’enrichir ses compétences professionnelles mérite attention. Elle suggère que l’obligation de formation ne saurait être satisfaite par la seule dispense de formations obligatoires relatives à la conformité ou à la sécurité. Cependant, la présence de formations substantielles, même en nombre limité, peut suffire à démontrer le respect de l’obligation dès lors qu’elles sont adaptées aux fonctions du salarié.
L’exigence d’un préjudice démontré par le salarié constitue un rappel utile. La cour souligne que l’obligation de formation n’emporte pas automatiquement droit à réparation en cas de manquement allégué. Le salarié doit établir l’existence et l’étendue du préjudice subi, ce qui suppose de démontrer en quoi l’insuffisance des formations l’aurait privé d’une évolution de carrière ou aurait compromis son employabilité. Cette exigence probatoire tempère la rigueur de l’obligation pesant sur l’employeur et maintient un équilibre entre les parties dans le contentieux de la formation professionnelle.