Cour d’appel de Pau, le 19 juin 2025, n°23/00058

La Cour d’appel de Pau, 19 juin 2025, chambre sociale, statue sur la reconnaissance d’une faute inexcusable liée à des troubles musculo-squelettiques. Le salarié a déclaré en 2018 une épicondylite bilatérale relevant du tableau n°57, consolidée en 2019, puis évaluée par deux taux d’incapacité permanente partielle. Le pôle social du tribunal judiciaire de Pau, 19 septembre 2022, a retenu la faute inexcusable, fixé la majoration de rente, et ordonné une expertise. L’employeur a interjeté appel pour contester la conscience du danger, le volume d’activité et la causalité, tandis que le salarié sollicite confirmation et liquidation des préjudices. La question porte sur l’étendue de l’obligation de sécurité face aux gestes répétitifs et sur l’effet d’une inopposabilité sur l’instance en faute inexcusable. La cour rappelle que « En application de ces articles, le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».

I – La caractérisation de la faute inexcusable

A – L’exposition aux gestes répétitifs et l’insuffisance des mesures

La cour établit d’abord l’exposition au risque TMS, en s’appuyant sur la description des tâches, la fiche de poste, et le nombre d’interventions quotidiennes. Elle relève que « durant son activité professionnelle, il réalise des travaux qui comportent, de manière habituelle, des mouvements répétés de flexion/extension et rotation des poignets ainsi que de nombreuses saisies manuelles et/ou manipulations d’objets ».

Les éléments produits sur l’intensité de l’activité confirment un rythme soutenu, compte tenu des déplacements et de la récurrence des gestes imposés. Le dossier mentionne que « le nombre d’interventions à réaliser dans une journée est parfois tellement important qu’il en devient ridicule ».

La juridiction fixe la règle de preuve avec précision, en indiquant que « Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Elle examine ensuite l’adéquation concrète des mesures et des documents de prévention.

Il ressort des pièces que les démarches étaient centrées sur la manutention lourde, sans traitement spécifique des gestes répétitifs des membres supérieurs. La cour note que « Les TMS identifiés sont donc principalement ceux liés au port de charges lourdes ce qui n’est pas en débat en l’espèce ». Elle constate aussi l’absence de preuve d’une formation ciblée aux gestes et postures pour ces risques.

Enfin, l’analyse documentaire est critique sur la portée des supports mis à disposition. Il est relevé qu’« En tout état de cause, force est de constater que ce document ne comporte aucune évaluation sur le risque de TMS liés aux gestes répétitifs ». Le constat débouche sur la défaillance de prévention, ce qui prépare l’examen de la portée de l’inopposabilité invoquée.

B – L’inopposabilité des décisions de prise en charge et son absence d’effet

L’employeur invoquait l’inopposabilité des décisions de prise en charge pour contester sa responsabilité au titre de la faute inexcusable. La cour neutralise cet argument en rappelant le principe d’autonomie des rapports en cause.

Le motif invoque explicitement, en tant que principe directeur, l’« indépendance des rapports caisse/employeur et caisse/assuré ». En conséquence, l’instance en faute inexcusable n’est pas conditionnée par l’opposabilité des décisions administratives au financeur.

La juridiction précise que le caractère professionnel n’était plus discuté au fond, l’argumentation portant seulement sur l’opposabilité. Elle en conclut que « Par conséquent, le caractère professionnel des maladies professionnelles est acquis pour le salarié ».

La conséquence est nette : l’inopposabilité ne fait pas obstacle à l’examen du manquement de sécurité ni à la qualification de faute inexcusable. Le débat se concentre alors sur la valeur de la solution retenue et sur ses implications indemnitaires.

II – Valeur et portée de la décision

A – Une prévention spécifique exigée pour les gestes répétitifs

La décision renforce l’exigence d’une évaluation fine des TMS du membre supérieur, distincte de la seule manutention de charges. Le DUER doit refléter l’activité réelle, son rythme, et les contraintes posturales répétées.

La cour insiste sur l’insuffisance d’un document générique de « gestes et postures » dépourvu d’analyse ciblée. Elle souligne que « En tout état de cause, force est de constater que ce document ne comporte aucune évaluation sur le risque de TMS liés aux gestes répétitifs ».

La preuve de la formation fait également défaut, en des termes dépourvus d’ambiguïté. Il est jugé qu’« il n’est produit aucune pièce justifiant de la proposition et du suivi par ce salarié d’une formation aux gestes aux postures ce qui confirme les affirmations de ce salarié sur l’absence de toute formation à la prévention des TMS ».

L’arrêt encourage ainsi une prévention planifiée, articulant charge de travail, aide mécanique, organisation des tournées, et formation traçable. Cette exigence structure l’office du juge sur l’évaluation de la faute et de la causalité.

B – Conséquences indemnitaires et demandes accessoires

La majoration de rente est confirmée, et l’expertise ordonnée pour chiffrer les postes complémentaires non couverts par le livre IV. La cour rappelle que « la victime peut demander à celui-ci la réparation, non seulement des chefs de préjudice énumérés par le texte susvisé, mais aussi de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la Sécurité Sociale ».

Le financement suit le régime légal d’avance par la caisse et de recours contre l’employeur. Il est affirmé que « La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l’employeur ».

Les demandes annexes, relatives notamment à la mise en danger par négligence et à l’appel abusif, sont écartées faute d’argumentation. La cour constate que la partie « ne développe aucun moyen en fait ou en droit au soutien de cette demande ».

Les dépens d’appel sont mis à la charge de l’employeur, et l’application de l’article 700 est réservée, compte tenu de l’expertise. La portée pratique de l’arrêt tient donc à la rigueur probatoire attendue et à l’exigence de prévention concrète et documentée.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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