Cour d’appel de Pau, le 24 juillet 2025, n°23/00625

Par arrêt du 24 juillet 2025, la Cour d’appel de Pau, chambre sociale, confirme un jugement prud’homal ayant rejeté des demandes indemnitaires formées à la suite du licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé. Le litige porte à la fois sur l’existence d’un harcèlement moral, sur d’éventuels manquements à l’obligation de sécurité et sur la contestation, en dommages et intérêts, du licenciement autorisé administrativement.

Les faits utiles tiennent à une relation de travail débutée en 2006 dans des fonctions de chauffeur, marquée par deux avertissements en 2017 et 2018, plusieurs arrêts maladie, un épisode de contestation d’un avis d’aptitude, puis un congé individuel de formation. Déclaré inapte le 17 février 2020 avec la mention selon laquelle « tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé », le salarié a été licencié le 26 mai 2020 après avis favorable du comité social et économique et autorisation de l’inspection du travail.

La procédure révèle d’abord un contentieux antérieur relatif à l’aptitude, tranché en référé puis confirmé en appel en 2019, puis un jugement du 19 janvier 2023 du conseil de prud’hommes de Dax déboutant le salarié de l’ensemble de ses demandes. En appel, l’intéressé sollicite la nullité du licenciement, subsidiairement des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que des réparations au titre d’un harcèlement moral, d’une exécution déloyale et d’un manquement à l’obligation de sécurité. L’employeur conclut à la confirmation, soulève la séparation des pouvoirs, et conteste tout grief.

La question posée concerne, d’une part, le seuil probatoire permettant de présumer un harcèlement moral et, corrélativement, l’existence d’un manquement à l’obligation de sécurité, et, d’autre part, l’étendue du contrôle judiciaire lorsque le licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude a reçu une autorisation administrative. La Cour retient l’absence d’éléments suffisants pour présumer un harcèlement, écarte tout manquement de sécurité, dénie l’origine professionnelle de l’inaptitude, mais admet la recevabilité de l’action indemnitaire malgré l’autorisation administrative, avant de la rejeter au fond.

I – Appréciation des griefs de harcèlement et des manquements contractuels

A – Le cadre probatoire et le contrôle factuel opérés

La Cour rappelle la méthode issue des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail et en reproduit l’économie. Elle énonce que « Il résulte de ces textes que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. » Cette formulation, classique, consacre une appréciation globale, articulée en deux temps, sans renversement total de la charge de la preuve.

Le juge, pleinement saisi, conserve la maîtrise de l’instruction, comme le souligne l’énoncé selon lequel « Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. » L’arrêt rappelle encore que, s’agissant de la validité d’une sanction disciplinaire, « le doute profite au salarié », consacrant un standard probatoire constant, centré sur la matérialité des faits, leur réitération, et leurs effets allégués sur les conditions de travail.

B – L’application aux faits et le rejet des demandes indemnitaires

La Cour distingue les épisodes invoqués, valide le premier avertissement au regard de la faute retenue et de la proportion de la sanction, et cantonne le second à la seule matérialité d’un détour de tournée pour une démarche personnelle pendant le temps de travail, justement sanctionné d’un avertissement mesuré. Les attestations produites, peu circonstanciées, et les certificats médicaux, descriptifs d’un retentissement psychique ou somatique sans constatations professionnelles propres, ne suffisent pas à franchir le seuil probatoire.

Cette insuffisance est clairement formulée par l’énoncé suivant, qui commande la solution: « Les éléments ci-dessus pris dans leur ensemble ne permettent pas de présumer de l’existence d’une situation de harcèlement moral. » Par voie de conséquence, l’exécution déloyale du contrat n’est pas établie, faute de faits précis et concordants, et le manquement à l’obligation de sécurité est écarté, en l’absence de caractérisation d’un management malveillant ou d’un risque professionnel non prévenu. L’office du juge consiste ici à resituer chaque élément dans une trame chronologique cohérente et à écarter les imputations générales détachées de preuves objectivées.

II – Contrôle du licenciement pour inaptitude d’un salarié protégé et portée de l’arrêt

A – Recevabilité de la contestation malgré l’autorisation administrative

L’arrêt précise la délimitation des compétences en matière de licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude. Il rappelle que l’administration vérifie la réalité de l’inaptitude et sa justification au regard de la rupture, sans statuer sur son origine. Le motif est reproduit avec netteté: « Dans le cas où une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, comme en l’espèce, il appartient à l’administration du travail de vérifier que celle-ci est réelle et justifie son licenciement. En revanche, dans l’exercice de ce contrôle, il ne lui incombe pas de rechercher la cause de cette inaptitude. »

Dès lors, « l’autorisation de licenciement donnée par l’inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires, tous les droits résultant de l’origine de l’inaptitude, lorsqu’il l’attribue à un manquement de l’employeur à ses obligations ». Cette articulation confirme la recevabilité de l’action indemnitaire, sans remettre en cause la décision administrative, et sécurise l’office du juge judiciaire sur l’étiologie de l’inaptitude et la responsabilité civile éventuelle de l’employeur.

B – Conséquences sur le fond et précisions incidentes

Au fond, l’action échoue, faute de manquement de sécurité à l’origine de l’inaptitude. La Cour écarte aussi l’origine professionnelle, en rappelant que « Les règles applicables aux victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’appliquent dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement. » L’absence d’éléments sur un évènement professionnel causal et, surtout, l’absence de connaissance par l’employeur à la date de la rupture, conduisent logiquement au rejet.

La demande tenant au caractère vexatoire du licenciement est également écartée, la Cour rappelant la définition opératoire selon laquelle « Un licenciement est dit vexatoire lorsqu’il s’accompagne de modalités inutilement brutales ou humiliantes de nature à préjudicier à elles seules au salarié. » Le refus de lecture d’un courriel en séance du comité social et économique ne satisfait ni au critère d’inutilité, ni à celui d’humiliation, et ne confère aucun caractère vexatoire à la rupture. La solution, enfin, confirme la décision prud’homale en toutes ses dispositions, admet la recevabilité de l’action indemnitaire sans la faire prospérer, et statue accessoirement sur les frais irrépétibles et dépens, dans une cohérence complète avec le raisonnement suivi.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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