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L’ancien article L. 341-4 du code de la consommation constitue un rempart essentiel contre les engagements excessifs des cautions personnes physiques. L’arrêt rendu par la cour d’appel de Pau le 24 juillet 2025 illustre les modalités d’application de ce texte lorsque plusieurs cautions ont garanti successivement des concours bancaires consentis à une société placée ultérieurement en liquidation judiciaire.
En l’espèce, un établissement bancaire a consenti plusieurs prêts et une ouverture de crédit en compte courant à un groupement agricole d’exploitation en commun entre 2009 et 2012. Quatre personnes physiques se sont portées cautions solidaires de ces engagements pour des montants considérables. Le groupement a été placé en redressement judiciaire le 12 décembre 2016 puis en liquidation judiciaire le 24 avril 2017. L’immeuble appartenant au débiteur principal a été vendu aux enchères publiques en janvier 2019 pour un montant insuffisant à désintéresser le créancier.
La banque a mis en demeure les cautions puis les a assignées devant le tribunal judiciaire de Bayonne en paiement des sommes restant dues au titre de l’ouverture de crédit du 20 octobre 2009 et des prêts des 12 août 2009 et 19 juin 2012. Par jugement du 19 juin 2023, le tribunal a prononcé la déchéance du droit aux intérêts de la banque au titre de certains prêts et condamné les cautions au paiement de la somme due au titre de l’ouverture de crédit. Les cautions ont également formé une requête en omission de statuer le 13 juillet 2023, rejetée par jugement du 18 décembre 2023. Les quatre cautions ont interjeté appel de ces deux décisions.
Les cautions soutenaient que l’ensemble de leurs engagements successifs étaient manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus lors de leur conclusion. Elles demandaient en outre, par voie reconventionnelle, que la banque soit déchue de son droit de se prévaloir d’autres cautionnements non encore appelés.
La cour d’appel devait ainsi répondre à deux questions. D’une part, dans quelle mesure les cautionnements successifs souscrits par les quatre cautions étaient-ils manifestement disproportionnés à leurs biens et revenus respectifs au jour de leur conclusion ? D’autre part, une caution peut-elle agir à titre principal pour faire constater la disproportion manifeste de cautionnements que le créancier n’a pas encore appelés ?
La cour d’appel de Pau a confirmé partiellement le jugement de première instance. Elle a retenu la disproportion manifeste des cautionnements pour deux des cautions, dépourvues de patrimoine significatif. Elle a jugé que les deux autres cautions, propriétaires de biens immobiliers, n’avaient pas rapporté la preuve de la disproportion pour les engagements de 2009, mais l’a admise pour ceux de 2012 compte tenu du cumul des engagements antérieurs. La cour a rejeté la demande reconventionnelle tendant à faire constater la disproportion de cautionnements non appelés.
Cet arrêt mérite examen tant au regard de l’appréciation individualisée de la disproportion manifeste du cautionnement (I) que des conditions d’invocation de cette disproportion par la caution (II).
I. L’appréciation individualisée de la disproportion manifeste du cautionnement
La cour d’appel rappelle les principes gouvernant l’appréciation de la disproportion (A) avant de procéder à une analyse différenciée selon la situation patrimoniale de chaque caution (B).
A. Les principes directeurs de l’appréciation de la disproportion
La cour d’appel rappelle que « la disproportion manifeste du cautionnement aux biens et revenus de la caution au jour où il a été souscrit suppose que la caution soit à cette date dans l’impossibilité manifeste de faire face à un tel engagement avec ses biens et revenus ». Cette formulation reprend fidèlement la jurisprudence constante de la Cour de cassation en la matière.
L’arrêt précise également que « la disproportion du cautionnement s’apprécie pour chaque acte de cautionnement successif à la date de l’engagement de la caution en prenant en compte son endettement global, y compris les cautionnements antérieurs ». Cette règle revêt une importance particulière lorsque, comme en l’espèce, les mêmes personnes ont souscrit plusieurs engagements successifs sur une période de plusieurs années.
La cour écarte par ailleurs deux arguments avancés par la banque. Elle juge d’abord que « le moyen de la banque selon lequel les quatre cautions ont vocation à se répartir la charge des dettes entre elles est inopérant quant à l’appréciation de la disproportion manifeste ». Cette solution s’impose logiquement puisque chaque caution solidaire peut être poursuivie pour la totalité de la dette sans pouvoir invoquer le bénéfice de division. La cour rappelle ensuite que « la proportionnalité de l’engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l’opération garantie ». Ce principe interdit de prendre en compte les perspectives de rentabilité de l’activité financée pour apprécier la capacité de la caution à faire face à son engagement.
B. L’application différenciée selon la situation patrimoniale des cautions
La cour procède à un examen individualisé de la situation de chaque caution. Pour deux d’entre elles, l’absence de patrimoine et la faiblesse des revenus conduisent à retenir la disproportion manifeste de l’ensemble des cautionnements. L’une « ne disposait d’aucun revenu significatif en 2009 et 2010 et a déclaré un revenu agricole de 2.112 euros pour l’année 2012 » et « ne détenait, à la date de ses engagements, aucun patrimoine mobilier ou immobilier lui permettant de faire face à ses engagements ». L’autre percevait un salaire mensuel moyen de 1.407 euros en 2009 et de 892 euros en 2012 et se trouvait dans la même situation patrimoniale.
Pour les deux autres cautions, propriétaires de biens immobiliers, la cour adopte une solution nuancée. Elle relève que ces derniers n’ont « produit aucun avis de valeur sur son patrimoine immobilier en 2009 quand ses engagements cumulés étaient seulement de 286.000 euros ». Or, la charge de la preuve de la disproportion incombe à la caution. Faute d’établir la valeur de leur patrimoine foncier au moment des engagements de 2009, ces cautions ne rapportent pas la preuve requise.
En revanche, pour les engagements de 2012, la cour retient que « le niveau de ses engagements cumulés souscrits en 2012, d’un montant total de 2.002.000 euros (trois cautionnements litigieux + cautionnement de 2011), seulement diminué du capital remboursé au titre des engagements précédents, apparaît manifestement disproportionné au regard de la nature et de la situation des parcelles détenues ». L’écart entre le montant cumulé des engagements et le prix d’adjudication ultérieur des biens saisis permet d’inférer l’impossibilité pour ces cautions de faire face à leurs obligations.
II. Les conditions d’invocation de la disproportion par la caution
L’arrêt apporte des précisions sur le moment où la caution peut invoquer la disproportion (A) et tire les conséquences de l’irrecevabilité de l’action préventive (B).
A. L’impossibilité d’une action préventive en déchéance
Les cautions formaient une demande reconventionnelle tendant à voir déclarer la banque déchue de son droit de se prévaloir de plusieurs cautionnements non encore appelés. La cour rejette cette prétention en se fondant sur un arrêt récent de la Cour de cassation. Elle énonce que « le droit reconnu au créancier, par l’article L 341-4 du code de la consommation, de démontrer que, au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation, s’oppose à ce que la caution puisse, avant d’avoir été appelée, agir à titre principal pour que le créancier soit déchu du droit de se prévaloir du cautionnement en raison de la disproportion manifeste dont cet engagement était affecté au moment où il a été consenti ».
Cette solution découle directement de la structure même du mécanisme légal. L’article L. 341-4 du code de la consommation prévoit un correctif permettant au créancier de démontrer que le patrimoine de la caution, au moment où elle est appelée, lui permet de faire face à son obligation. Ce droit du créancier ne peut s’exercer que lorsqu’il décide d’appeler la caution. Admettre une action préventive priverait le créancier de cette faculté de démontrer l’absence de disproportion au jour de l’appel.
La cour relève en outre une omission de statuer dans le jugement du 19 juin 2023, que le jugement du 18 décembre 2023 avait à tort qualifiée de rejet implicite. Elle infirme ce dernier jugement et complète le premier en déboutant expressément les cautions de leur demande reconventionnelle.
B. La portée de la solution sur l’équilibre des droits des parties
La solution retenue par la cour d’appel préserve l’équilibre voulu par le législateur entre la protection des cautions et les droits du créancier. La caution conserve la faculté d’opposer la disproportion manifeste lorsqu’elle est effectivement poursuivie. Le créancier conserve quant à lui la possibilité de démontrer que l’amélioration de la situation patrimoniale de la caution lui permet désormais de faire face à son engagement.
Cette approche présente néanmoins un inconvénient pratique pour les cautions. Celles-ci demeurent dans l’incertitude quant à l’étendue de leur exposition tant que le créancier n’a pas manifesté sa volonté de les appeler en garantie. Les cautionnements non appelés continuent de peser sur leur situation patrimoniale et peuvent notamment affecter leur capacité à contracter de nouveaux engagements.
L’arrêt illustre également les conséquences de la pluralité de cautionnements successifs. Le cumul des engagements antérieurs dans l’appréciation de la disproportion conduit à ce que des cautionnements initialement proportionnés deviennent manifestement disproportionnés par l’effet de l’accumulation. La cour retient ainsi la disproportion pour les engagements de 2012 alors qu’elle ne l’admet pas pour ceux de 2009, le niveau d’endettement global ayant considérablement augmenté entre ces deux dates avec la souscription du cautionnement de 1.625.000 euros en 2011.