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La question du travail dissimulé en période de chômage partiel constitue un contentieux récurrent depuis les mesures de restriction sanitaire liées à la pandémie de Covid-19. Nombre d’employeurs ont sollicité le maintien de prestations de travail tout en déclarant leurs salariés en activité partielle, percevant ainsi indûment les aides publiques associées. La cour d’appel de Pau, dans un arrêt du 28 août 2025, se prononce sur cette problématique dans le contexte d’une relation de travail marquée par une confusion quant à l’identification de l’employeur.
Une salariée a été engagée le 1er juillet 2020 en qualité de vendeuse. Son certificat de travail mentionnait comme employeur une entreprise individuelle exploitée par le gérant d’une société à responsabilité limitée, tandis que ses bulletins de paie indiquaient cette société avec toutefois l’adresse et le numéro SIRET de l’entreprise individuelle. Après avoir été placée en arrêt maladie à compter d’août 2021, la salariée a démissionné le 10 octobre 2021. Elle a saisi la juridiction prud’homale le 22 avril 2022 aux fins d’obtenir le paiement de diverses sommes au titre du travail dissimulé, d’un rappel de salaire et de dommages et intérêts pour préjudice moral.
Le conseil de prud’hommes de Dax, par jugement du 19 janvier 2023, a reconnu l’existence d’un travail dissimulé et condamné la société au paiement de l’indemnité forfaitaire correspondant à six mois de salaire. Il a en revanche rejeté les demandes de rappel de salaire et de dommages et intérêts. La société a interjeté appel, soulevant pour la première fois en cause d’appel l’irrecevabilité des demandes formées à son encontre en raison de ce que le véritable employeur serait l’entreprise individuelle. Cette dernière est intervenue volontairement à la procédure.
La cour d’appel devait déterminer si les demandes formées contre la société étaient recevables malgré la confusion quant à l’identification de l’employeur, puis examiner si les éléments constitutifs du travail dissimulé étaient réunis et enfin statuer sur les demandes accessoires relatives au maintien de salaire.
La cour confirme la condamnation au titre du travail dissimulé et rejette la demande de mise hors de cause de la société. Elle infirme partiellement le jugement en allouant à la salariée le rappel de salaire sollicité au titre du maintien conventionnel pendant son arrêt maladie.
L’arrêt présente un double intérêt. Il éclaire d’une part les conséquences de la confusion créée par l’employeur quant à son identification sur la recevabilité des demandes formées par le salarié (I). Il précise d’autre part les critères de caractérisation du travail dissimulé en période de chômage partiel (II).
I. L’identification de l’employeur en présence d’une confusion documentaire
La cour se prononce sur la fin de non-recevoir soulevée tardivement par l’employeur (A) avant de retenir une solution protectrice des intérêts du salarié confronté à une confusion imputable à son cocontractant (B).
A. Le rejet de la fin de non-recevoir soulevée pour la première fois en appel
La société appelante soutenait que les demandes formées à son encontre étaient irrecevables dès lors que le véritable employeur était l’entreprise individuelle exploitée par son gérant. Elle sollicitait sa mise hors de cause. La cour relève que « cette fin de non-recevoir n’a pas été soulevée devant le conseiller de la mise en état ». Elle observe également qu’en première instance, la société « n’a aucunement soulevé l’irrecevabilité des demandes (‘) à son encontre, ni attrait l’entreprise individuelle (‘) en la cause et s’est, au contraire, défendue au fond sur les demandes présentées ».
Cette constatation ne suffit pas à elle seule à écarter la fin de non-recevoir. L’article 123 du code de procédure civile dispose que les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages et intérêts ceux qui se seraient abstenus dans une intention dilatoire de les soulever plus tôt. La cour ne fonde pas sa décision sur ce seul motif procédural mais examine le fond de l’argumentation pour déterminer si la société pouvait légitimement être considérée comme l’employeur.
B. La prévalence de l’apparence créée par les documents remis au salarié
La cour procède à un examen des pièces versées au dossier et constate qu’« une confusion a été opérée dans l’identification de l’employeur ». L’attestation de déclaration préalable à l’embauche, les bulletins de paie et le certificat de travail mentionnaient la société comme employeur, bien qu’avec l’adresse et le numéro SIRET de l’entreprise individuelle.
Elle en déduit que « pour la salariée, son employeur était ainsi légitimement reconnu comme étant la société (‘), représentée par son gérant (‘), lequel lui donnait les directives pour l’exercice de ses fonctions ». Cette motivation s’inscrit dans la logique de la théorie de l’apparence qui permet de protéger le tiers de bonne foi ayant légitimement cru à une situation juridique différente de la réalité. La salariée ne pouvait que se fier aux mentions figurant sur ses bulletins de paie et son certificat de travail.
La solution retenue sanctionne l’employeur qui a lui-même créé la confusion dont il entend ensuite se prévaloir pour échapper à ses obligations. La cour préserve toutefois les droits de la société en précisant qu’elle pourra « le cas échéant, se retourner contre l’entreprise individuelle (‘) pour la contribution finale à la dette ». Cette réserve permet de concilier la protection du salarié avec le principe selon lequel le véritable débiteur doit supporter la charge définitive de la dette.
II. La caractérisation du travail dissimulé en période de chômage partiel
La cour examine successivement l’élément matériel (A) puis l’élément intentionnel (B) de l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.
A. L’établissement de prestations de travail non déclarées
L’article L. 8221-5 du code du travail répute travail dissimulé le fait pour l’employeur de mentionner sur le bulletin de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli. La salariée versait aux débats plusieurs messages adressés sur un groupe de discussion professionnel. Un message du 18 novembre 2020 émanant de la responsable lui demandait de venir travailler le lendemain pour réceptionner des livraisons. Un message du 22 avril 2021 indiquait que « tout le monde fait 10/18 avec 1h de pause » du 26 au 30 avril.
La cour rappelle le contexte sanitaire : « du 30 octobre au 1er décembre 2020, la France a connu un deuxième confinement (‘) avec fermeture des magasins » et « à compter du 3 avril 2021 a été décidé un nouveau confinement (‘) avec notamment une réouverture des commerces à partir du 19 mai 2021 ».
L’examen des bulletins de paie et de l’attestation Pôle Emploi démontre qu’« en novembre 2020, ainsi qu’en avril et mai 2021, (la salariée) était en chômage partiel total (‘) alors qu’elle a accepté ou bien s’est vu imposer des heures de travail ». Concernant les fresques murales réalisées par la salariée, la cour relève une contradiction dans la position de l’employeur qui avait initialement écrit que ces travaux avaient été « effectuées pendant le temps de présence normal (‘) à ses heures de travail » avant de soutenir qu’il s’agissait d’une prestation artistique indépendante « sans pour autant justifier du paiement d’une telle prestation ».
B. La démonstration de l’intention frauduleuse
L’article L. 8221-5 du code du travail exige que l’employeur se soit soustrait « intentionnellement » à ses obligations déclaratives. La cour rappelle que « ladite intention (doit) être démontrée par le salarié ». Elle caractérise l’élément moral en retenant que l’employeur « a demandé sciemment à sa salariée, qu’il savait en chômage partiel en raison des confinements décidés au niveau national et rémunéré comme tel par l’Etat, de venir travailler au cours de ces périodes sans la payer pour les heures effectuées, ni faire apparaître les temps de travail exécutés sur les bulletins de paie ».
La connaissance par l’employeur de la situation de chômage partiel de ses salariés est déterminante. Il ne pouvait ignorer que ceux-ci percevaient une indemnisation au titre de l’activité partielle financée par l’Etat. La demande de prestations de travail dans ce contexte révèle nécessairement une volonté de se soustraire aux obligations déclaratives. La cour relève d’ailleurs que cette pratique n’était pas isolée puisque le message du 22 avril 2021 « démontre que cette pratique de faire faire des prestations de travail pendant des périodes de confinement concernait tous les salariés des magasins concernés ».
La décision confirme l’allocation de l’indemnité forfaitaire de six mois de salaire prévue par l’article L. 8223-1 du code du travail, soit 10 920,24 euros. Elle accorde également le rappel de salaire sollicité au titre du maintien conventionnel pendant l’arrêt maladie, la cour retenant que l’ancienneté requise était acquise dès lors que « le contrat de travail a (n’avait pas) été suspendu durant les périodes de chômage partiel en raison des prestations de travail qu’elle a été amenée à fournir à ces occasions ».