Cour d’appel de Pau, le 3 juillet 2025, n°23/00081

La Cour d’appel de Pau, 3 juillet 2025, statue sur un contentieux mêlant temps de travail, harcèlement moral et congés payés pendant la maladie. Un cadre soumis à un forfait annuel en jours a été licencié pour inaptitude, après des arrêts et une déclaration d’inaptitude du médecin du travail. Le conseil de prud’hommes de Bayonne avait prononcé la nullité du licenciement en lien avec un harcèlement moral. L’employeur a interjeté appel, notamment sur la validité du forfait-jours et l’absence de harcèlement. Le salarié a formé un appel incident, demandant en particulier la reconnaissance de l’inopposabilité de la convention de forfait, des rappels d’heures supplémentaires et l’acquisition de congés payés durant l’arrêt maladie.

Le litige se concentre sur l’opposabilité de la convention de forfait au regard des garanties légales de suivi de la charge de travail, sur la caractérisation du harcèlement moral et ses effets sur une inaptitude conduisant à une nullité du licenciement, et sur l’acquisition des congés payés pendant la maladie à la lumière du droit de l’Union. La cour déclare le forfait-jours inopposable faute de garanties effectives de protection de la santé, confirme l’existence d’un harcèlement moral, juge nul le licenciement pour inaptitude, refuse l’origine professionnelle de l’inaptitude, et écarte partiellement l’article L. 3141-3 pour reconnaître des congés payés durant l’arrêt maladie.

I. Le contrôle renforcé du forfait-jours et ses effets

A. L’inopposabilité fondée sur l’insuffisance des garanties protectrices
La cour rappelle les exigences des articles L.3121-64 et L.3121-65 du code du travail, qui imposent des modalités concrètes de suivi de la charge et d’entretiens périodiques. Elle constate l’existence d’un outil de décompte des jours, mais relève l’insuffisance des entretiens produits, limités à des évaluations sans segment dédié aux durées et à l’amplitude. Elle énonce que « l’employeur n’a pas respecté les dispositions relatives à la protection de la santé et de la sécurité du salarié ». Conformément à la jurisprudence sociale, l’accord collectif doit garantir effectivement des durées raisonnables de travail et de repos, et l’employeur doit en rapporter la preuve d’application. Faute d’un dispositif effectif de dialogue périodique sur la charge, l’accord ne remplit pas sa fonction préventive. La conséquence s’impose alors avec clarté, la cour jugeant que « la convention de forfait est donc privée d’effet, entraînant l’application des règles de droit commun relatives au temps de travail et aux heures supplémentaires ». Cette solution s’inscrit dans une ligne constante replaçant le forfait-jours sous le contrôle des garanties de santé-sécurité.

B. La requalification temporelle et les restitutions corrélatives
Le basculement vers le droit commun du temps de travail commande l’examen contradictoire des éléments fournis. Le salarié verse des tableaux précis et des attestations sur la surcharge. L’employeur n’apporte pas de justification fiable des horaires. La cour relève une réalisation d’heures au-delà de 35 heures et alloue un rappel d’heures, des congés y afférents et une contrepartie obligatoire en repos. Elle sanctionne en outre « la violation par l’employeur des durées maximale de travail et minimales de repos » par des dommages-intérêts autonomes. Au titre des restitutions, la cour rappelle que lorsque la convention de forfait est privée d’effet, les jours de RTT attribués deviennent indus et doivent être remboursés. La cohérence des remèdes est notable: les heures réellement accomplies sont réparées, les périodes de repos compensées, et les avantages attachés à un régime devenu inopposable sont restitués. La demande d’indemnité pour travail dissimulé est écartée faute d’intention frauduleuse, ce qui maintient l’office du juge dans son rôle de réparation intégrale sans pénalisation hors des cas légalement circonscrits.

II. Harcèlement, inaptitude et congés payés pendant la maladie

A. Harcèlement caractérisé, lien causal et nullité du licenciement
La cour adopte une lecture ferme du faisceau d’indices, confirmant la qualification de harcèlement moral et le manquement à l’obligation de prévention. Elle retient que « le manquement de l’employeur à son obligation de prévention du harcèlement moral est ainsi caractérisé ». Le dossier médical établit l’apparition d’un syndrome réactionnel et la succession d’arrêts, lesquels fondent, selon la cour, le lien entre harcèlement et inaptitude. Elle énonce que « son licenciement pour inaptitude doit donc être déclaré nul ». Cette solution s’inscrit dans le régime protecteur attaché aux licenciements nuls, indépendamment d’une reconnaissance sociale du caractère professionnel de la pathologie. La cour refuse logiquement l’indemnité spéciale de licenciement à double taux, l’origine professionnelle n’étant ni alléguée auprès de l’organisme, ni caractérisée selon les critères légaux. La solution combine ainsi protection effective et rigueur probatoire sur la qualification professionnelle, tout en consacrant une réparation pour le harcèlement distincte de celle due au titre de la nullité.

B. Réparation intégrale et primauté du droit de l’Union en matière de congés payés
La nullité emporte une indemnité réparant l’intégralité du préjudice, la cour la fixant à un niveau substantiel au regard de l’ancienneté et de la trajectoire professionnelle. Les créances salariales accessoires, le remboursement des allocations dans la limite légale et l’indemnité de préavis sont précisément arrêtés. L’apport décisif réside toutefois dans l’application de la Charte des droits fondamentaux quant aux congés payés durant la maladie non professionnelle. La cour rappelle que « la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée » lorsqu’elle est inconciliable avec l’article 7 de la directive et l’article 31, § 2, de la Charte. Elle en déduit, dans l’espèce, qu’« il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3141-3 du code du travail ». Cette mise à l’écart ciblée assure le plein effet du droit de l’Union et consacre l’acquisition de congés payés pendant l’arrêt maladie, sous réserve de la prescription appréciée à l’aune des diligences de l’employeur. La cour ordonne en conséquence une indemnité de congés, marquant une inflexion lourde de portée pratique pour la gestion des droits à congés.

Cette décision articule avec cohérence trois axes structurants. Elle renforce les exigences opérationnelles du forfait-jours en replaçant la santé au cœur des garanties. Elle consacre, sur un terrain probatoire affermi, la chaîne causalité harcèlement–inaptitude–nullité. Elle opère enfin un alignement clair sur le standard européen des congés payés, en privilégiant l’effet utile. L’ensemble trace une ligne de vigilance pour les politiques de temps de travail et de prévention, où la preuve de l’effectivité des procédures pèse désormais de tout son poids.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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