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La question de l’affiliation obligatoire aux régimes de sécurité sociale français et de son articulation avec le droit européen de la concurrence suscite un contentieux récurrent devant les juridictions sociales. L’arrêt rendu par la chambre sociale de la cour d’appel de Pau le 3 juillet 2025 s’inscrit dans cette lignée jurisprudentielle désormais bien établie.
Un artisan, affilié depuis le 6 février 2006 à la sécurité sociale des indépendants, s’est vu notifier le 18 avril 2024 une contrainte par l’organisme de recouvrement pour un montant de 1 570 euros correspondant aux cotisations et majorations de retard du quatrième trimestre 2023. Cette contrainte lui a été signifiée le 22 avril 2024. Le cotisant a formé opposition devant le pôle social du tribunal judiciaire de Pau par lettre recommandée du 2 mai 2024. Par jugement du 23 juillet 2024, le tribunal de commerce de Pau a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard du patrimoine professionnel de l’intéressé.
Par jugement contradictoire et en dernier ressort du 25 novembre 2024, le pôle social du tribunal judiciaire de Pau a déclaré l’opposition recevable, confirmé la régularité de l’affiliation à la sécurité sociale française et validé la contrainte pour son montant total de 1 570 euros. L’artisan a interjeté appel de cette décision par lettre recommandée du 31 décembre 2024.
L’appelant soutenait que le premier juge avait fait preuve de partialité en refusant d’appliquer les dispositions constitutionnelles et conventionnelles européennes. L’organisme de recouvrement concluait à l’irrecevabilité de l’appel en l’absence d’excès de pouvoir et, subsidiairement, à la confirmation du jugement tout en sollicitant la fixation de sa créance au passif de la procédure collective.
Trois questions se posaient à la cour. La première concernait la recevabilité de l’appel formé contre un jugement rendu en dernier ressort. La deuxième portait sur la régularité de l’affiliation obligatoire au régime français de sécurité sociale au regard du droit européen. La troisième avait trait aux conséquences de l’ouverture d’une procédure collective sur le montant de la créance de cotisations.
La cour d’appel de Pau rejette le moyen tiré de la nullité du jugement, confirme la régularité de l’affiliation et valide la contrainte pour un montant ramené à 1 496 euros en principal, les majorations de retard étant remises du fait de la procédure de redressement judiciaire. Elle fixe cette créance au passif de la procédure collective.
Cette décision mérite examen tant au regard de l’articulation entre le caractère obligatoire de l’affiliation et le droit européen (I) qu’au regard des incidences de la procédure collective sur le recouvrement des cotisations sociales (II).
I. La confirmation du caractère obligatoire de l’affiliation au regard du droit européen
La cour rappelle avec fermeté le principe de l’affiliation obligatoire (A) avant de l’articuler avec les règles européennes de concurrence (B).
A. Le rappel du principe d’affiliation obligatoire
La cour d’appel de Pau rappelle qu’« en vertu des articles L. 611-1 et suivants du code de la sécurité sociale applicables au présent litige, le régime d’assurance de sécurité sociale applicable aux professions indépendantes constitue un régime obligatoire de sécurité sociale géré désormais par l’URSSAF ». Elle en déduit qu’« en l’état actuel de la législation relative à la sécurité sociale, toute personne travaillant en France doit être affiliée à un régime de sécurité sociale et de retraite ».
Cette affirmation traduit le principe fondamental d’universalité de la protection sociale française. Le système repose sur une architecture à deux niveaux que la cour prend soin de distinguer. D’une part, les régimes obligatoires de base sont « gérés par des organismes de droit privé institués par la loi et chargés d’une mission de service public ». D’autre part, les régimes complémentaires relèvent « des entreprises d’assurance, des mutuelles, des institutions de prévoyance ou des organismes assureurs relevant du code de la mutualité ».
Cette distinction structurelle emporte une conséquence juridique majeure. L’artisan « exerçant la profession d’artisan est tenu de cotiser au régime légal obligatoire de sécurité sociale et de retraite des indépendants ». La cour ferme ainsi toute possibilité d’échapper à cette obligation par le biais d’une assurance privée étrangère ou nationale.
B. L’exclusion des règles européennes de concurrence
La cour d’appel aborde frontalement la question de l’applicabilité du droit européen de la concurrence aux organismes de sécurité sociale français. Elle rappelle que « les directives européennes en matière d’assurance excluent de leur champ d’application les assurances comprises dans un régime légal de sécurité sociale ». Elle s’appuie également sur la jurisprudence de la Cour de justice selon laquelle « les États membres conservent leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale ».
Le raisonnement repose sur la qualification fonctionnelle de l’organisme de recouvrement. Celui-ci « remplit une fonction à caractère exclusivement social fondée sur le principe de solidarité ». Cette qualification emporte une double conséquence. L’organisme « n’est donc pas soumis aux règles relatives à la concurrence » et le cotisant « n’a pas la possibilité d’échapper à son affiliation obligatoire par la souscription d’une assurance privée ».
La cour rejette par ailleurs le moyen tiré de l’excès de pouvoir du premier juge. Elle relève que « la simple lecture de la motivation du jugement suffit à relever que le premier juge a statué au visa du droit européen et de la Constitution française ». Elle précise que « l’éventuelle erreur d’appréciation du juge ou l’erreur de droit de celui-ci, qui n’est au demeurant pas démontrée, ne saurait constituer un excès de pouvoir ». Cette position s’inscrit dans la jurisprudence constante distinguant l’erreur de droit, insusceptible d’appel contre un jugement en dernier ressort, de l’excès de pouvoir qui seul ouvre cette voie de recours.
II. Les incidences de la procédure collective sur le recouvrement des cotisations
L’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire modifie substantiellement les modalités de recouvrement, tant sur le montant de la créance (A) que sur les conditions de son paiement (B).
A. La remise des majorations de retard
La cour d’appel fait application de l’article L. 243-5 du code de la sécurité sociale selon lequel « en cas de procédure de sauvegarde ou de redressement ou de liquidation judiciaires, les pénalités, majorations de retard et frais de poursuites dus par le redevable à la date du jugement d’ouverture sont remis ». Cette disposition opère une remise automatique et de plein droit des accessoires de la dette de cotisations.
En l’espèce, le jugement d’ouverture du redressement judiciaire date du 23 juillet 2024. La contrainte portait sur un montant total de 1 570 euros comprenant 1 496 euros de cotisations et 74 euros de majorations de retard. La cour infirme donc le jugement de première instance qui avait validé la contrainte pour son montant intégral. Elle la valide « pour un montant ramené à la somme de 1 496 euros au titre des cotisations sociales du 4è trimestre 2023 ».
Cette solution illustre l’adaptation du droit de la sécurité sociale aux impératifs du droit des entreprises en difficulté. Le législateur a fait le choix de faciliter le redressement des entreprises en allégeant leur passif social des éléments purement punitifs. Le principal de la dette demeure toutefois intégralement dû.
B. La fixation de la créance au passif de la procédure collective
La cour tire les conséquences procédurales de l’existence d’une procédure collective. Elle « rejette la demande de condamnation » formée par l’organisme de recouvrement. En effet, l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire interdit aux créanciers antérieurs d’obtenir un titre exécutoire contre le débiteur. Leurs créances doivent être déclarées et vérifiées dans le cadre de la procédure collective.
La cour procède donc à une fixation de créance plutôt qu’à une condamnation. Elle « fixe au passif de la procédure collective la créance de l’URSSAF Aquitaine à la somme de 1 496 euros ». Elle y ajoute une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Les dépens sont quant à eux « employés en frais privilégiés de la procédure de redressement judiciaire ».
Cette articulation entre contentieux social et procédure collective présente un intérêt pratique certain. L’organisme de recouvrement justifiait avoir déclaré sa créance « suivant notification du 27 janvier 2025 à hauteur de 119 884 euros en ce compris la somme de 1 496 euros due au titre du 4è trimestre 2023 ». La validation judiciaire de la contrainte, même pour un montant réduit, vient ainsi sécuriser la déclaration de créance effectuée dans le cadre de la procédure collective. Le créancier social dispose désormais d’un titre lui permettant de participer aux répartitions qui interviendront dans le cadre du plan de redressement ou, le cas échéant, de la liquidation judiciaire.