Cour d’appel de Pau, le 30 juin 2025, n°24/02620

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La Cour d’appel de Pau, le 30 juin 2025, se prononce sur l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif engagée contre les dirigeants d’une société du bâtiment, après redressement judiciaire en novembre 2015 et conversion en liquidation en mai 2016. Un technicien avait été désigné en 2017 pour analyser la comptabilité consolidée du groupe et les flux intragroupe. Le premier juge avait retenu plusieurs fautes de gestion, condamné solidairement les dirigeants au comblement intégral du passif provisoire et prononcé une faillite personnelle de dix ans.

Les appelants contestent la motivation du jugement, la validité du rapport du technicien et l’existence d’un faisceau de fautes de gestion antérieures à l’ouverture. Le mandataire liquidateur soutient au contraire la réalité d’opérations artificielles, d’écritures de compensation et de prestations intragroupe sans contrepartie, et sollicite l’actualisation de l’insuffisance d’actif. Le ministère public conclut à la confirmation. La question posée tient aux conditions d’engagement de la responsabilité pour insuffisance d’actif, à la délimitation temporelle des fautes, et à la preuve d’un lien causal. La Cour confirme la validité du rapport, actualise l’insuffisance d’actif, mais écarte toute faute de gestion contributive, refuse les sanctions personnelles et infirme le jugement sur ces points.

I. Les conditions de recevabilité et de preuve

A. Motivation du jugement et validité du rapport technique
La Cour écarte la nullité pour défaut de motifs en rappelant que « le jugement doit être motivé, cette prescription devant être observée à peine de nullité. Le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motif ». Elle retient que les premiers juges ont répondu aux moyens, même succinctement, et rejette l’exception. Le grief tenant à l’exécution prétendument déléguée de la mission technique est également écarté, la Cour constatant l’intervention personnelle du technicien et le respect du contradictoire lors des opérations.

Le grief tiré du dépassement de mission échoue encore. L’ordonnance visait l’examen des flux financiers entre toutes les sociétés du groupe, impliquant un croisement des comptabilités. La Cour constate la notification de l’ordonnance aux sociétés concernées et la participation effective des dirigeants aux opérations. La critique tient donc davantage de l’appréciation de la valeur probante que de la régularité, ce qui renvoie à la charge de la preuve au fond.

B. Certitude et actualisation de l’insuffisance d’actif
La Cour rappelle la définition opératoire: « En droit, l’insuffisance d’actif […] est égale à la différence entre le montant du passif antérieur admis définitivement et le montant de l’actif réalisé […] Elle doit être certaine à la date à laquelle le juge statue. » Elle refuse de retrancher des créances régulièrement admises et non contestées dans les délais, et rejette les déductions fondées sur des compensations intra‑groupe non établies.

Côté actif, les montants allégués au titre de réalisations futures ou d’actions pendantes ne peuvent être retenus faute d’éléments probants et actuels. La Cour arrête donc le quantum et tranche par une fixation en dispositif: « Fixe l’insuffisance d’actif à la somme de 1.874.394,50 € ». Cette actualisation, fermement ancrée sur les états admis et les réalisations justifiées, structure la suite du raisonnement sur la causalité des fautes alléguées.

II. La responsabilité des dirigeants et les sanctions

A. Absence de faute de gestion contributive au sens de l’article L.651-2
La Cour qualifie strictement la temporalité des faits. S’agissant des écritures de compensation passées le jour de l’ouverture, elle souligne que « le jugement d’ouverture prend effet le jour de son prononcé à 0 heure », en sorte que « les écritures contestées ne peuvent être servir de fondement à la sanction demandée ». Cette délimitation exclut les postériorités et recentre l’examen sur des actes antérieurs à l’ouverture.

Les critiques relatives aux prestations d’animation de groupe échouent, faute d’éléments concrets sur la disproportion des tarifs ou l’absence de contrepartie. La Cour exige factures, données d’activité et organigrammes, notant que la facturation réelle était inférieure aux plafonds conventionnels. Elle relève encore que l’avoir et son annulation, les loyers commerciaux et un virement isolé ne dépassent pas la simple négligence et ne révèlent pas, en l’état, une manœuvre contraire à l’intérêt social imputable aux dirigeants. De même, les cessions d’actifs ne sont pas démontrées comme déséquilibrées. Enfin, la direction de fait alléguée n’est pas caractérisée après la démission, la Cour précisant qu’« il s’en suit que seule une insuffisance d’actif antérieure à la date de sa démission est susceptible d’engager sa responsabilité ». Le lien causal, au-delà de la négligence, n’est donc pas établi.

B. Rejet corrélatif des sanctions personnelles
La faillite personnelle suppose l’un des comportements limitativement énumérés et une matérialité probante. La Cour relève l’insuffisance des démonstrations sur un usage contraire de biens ou de crédit, sur une poursuite abusive d’une exploitation déficitaire dans un intérêt personnel, ou sur un détournement d’actif. L’allégation d’un profil de « mauvais gestionnaire » ne suffit pas juridiquement, l’économie de la procédure exigeant la preuve précise des faits et de la contribution à l’insuffisance.

La conséquence procédurale est nette. Les conditions de l’article L.651-2 ne sont pas remplies, de sorte que « La responsabilité des dirigeants mis en cause dans l’insuffisance d’actif à ce titre n’est donc pas caractérisée. » Les sanctions personnelles tombent avec l’absence de faute contributive. La Cour « infirme le jugement en ce sens » et déboute le mandataire de ses demandes de condamnation et de faillite personnelle, tout en investissant les dépens en frais privilégiés de la procédure collective.

Cette décision précise l’exigence probatoire en matière de flux intragroupe et de prestations d’animation, refuse de confondre négligence et faute contributive, et consolide la frontière temporelle autour de l’ouverture de la procédure. Elle éclaire, avec sobriété, la logique du comblement d’insuffisance, resserrée sur des preuves actuelles et des fautes antérieures caractérisées.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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