Cour d’appel de Pau, le 4 septembre 2025, n°23/00753

Cour d’appel de Pau, chambre sociale, 4 septembre 2025. L’arrêt tranche un litige relatif à une demande de reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur après un accident allégué lors d’une intervention technique. La difficulté tient à la recevabilité de l’action malgré l’absence de tentative de conciliation, puis à l’exigence probatoire concernant le caractère professionnel du dommage et la détermination des circonstances de l’accident.

Le salarié, agent de maintenance, soutenait avoir subi des brûlures chimiques à la main lors d’un dépannage. Les premiers certificats médicaux initiaux mentionnaient la date du 2 mai 2017, avant que des prolongations ne retiennent ultérieurement le 28 avril 2017. Une prise en charge par la caisse était intervenue, mais l’employeur contestait la matérialité et la datation de l’événement, soulignant l’absence de déclaration d’accident aux débats, la tardiveté de l’alerte, et des témoignages contradictoires.

Par jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Pau du 12 décembre 2022, la faute inexcusable avait été retenue, assortie d’une expertise et d’une provision. Devant la Cour d’appel de Pau, l’employeur sollicitait l’infirmation intégrale, le salarié demandait la confirmation, et les autres intervenants formulaient des demandes accessoires, notamment sur l’opposabilité et l’expertise. La cour confirme la recevabilité de l’action, mais infirme le jugement sur le fond, rejetant la faute inexcusable.

La question de droit portait, d’abord, sur la sanction du défaut de conciliation préalable, ensuite sur la caractérisation probatoire d’un accident du travail et la possibilité de retenir la faute inexcusable lorsque les circonstances demeurent indéterminées. La solution adoptée s’appuie sur deux séries d’énoncés décisifs, excipant que « la tentative de conciliation n’étant pas prévue à peine d’irrecevabilité de l’action contentieuse, la fin de non recevoir ne peut être accueillie », puis que « la faute inexcusable ne peut être retenue que pour autant que l’affection ou l’accident déclaré par la victime revêt un caractère professionnel ».

I — Recevabilité et cadre normatif de la faute inexcusable

A — La conciliation préalable non prescrite à peine d’irrecevabilité
La cour écarte la fin de non-recevoir tirée de l’absence de conciliation au sens de l’article L. 452-4 du code de la sécurité sociale. Elle juge, en des termes nets, que « la tentative de conciliation n’étant pas prévue à peine d’irrecevabilité de l’action contentieuse, la fin de non recevoir ne peut être accueillie ». Cette affirmation, conforme à une jurisprudence constante, distingue l’office conciliatoire de la caisse et le droit d’accès au juge, sans subordonner ce dernier à un préalable obligatoire. Elle conforte la réception procédurale instaurée par le premier juge, sans anticiper sur le fond du litige.

Ce rappel présente une portée pratique notable. Il sécurise l’action en faute inexcusable, souvent engagée tardivement, en évitant qu’un manquement au processus amiable ne scelle l’échec procédural. Il préserve aussi l’économie du contentieux social, en recentrant l’examen sur les conditions matérielles et juridiques de l’accident, qui relèvent du débat probatoire plutôt que d’un filtre formaliste.

B — La définition opérationnelle de la faute inexcusable
Sur le fond, la cour réitère la construction classique de la faute inexcusable, en combinant les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail avec l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale. Elle énonce qu’« en application de ces articles, le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé (…) a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger (…) et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Cette définition conserve son double critère, conscience du danger et insuffisance des mesures, que la jurisprudence a stabilisé.

La cour précise en outre l’articulation entre la reconnaissance du risque professionnel et la faute inexcusable. Elle rappelle qu’« il en résulte qu’il appartient au salarié qui recherche la faute inexcusable de son employeur d’établir (…) le caractère professionnel du risque qui sous-tend sa demande ». Ce préalable probatoire structure l’examen du fond, et conditionne la discussion sur la conscience du danger, nécessairement attachée à une situation de travail objectivement qualifiée.

II — Exigence probatoire et rejet de la faute inexcusable

A — Caractère professionnel non établi et circonstances indéterminées
La motivation procède d’un contrôle probatoire serré, centré sur la matérialité de l’événement et la certitude de sa datation. La cour souligne d’abord l’insuffisance des pièces, notant que « la cour d’appel ne peut que relever qu’aucune partie ne verse aux débats la déclaration d’accident du travail ». Elle insiste ensuite sur les incohérences des certificats médicaux initiaux et de leur chronologie, retenant que « ces incohérences dans les dates ne permettent pas de retenir avec certitude que la lésion constatée a été causée par un accident qui serait intervenu le 28 avril 2017 ».

Cette appréciation s’étend aux circonstances elles-mêmes. La cour conclut, au terme d’une synthèse factuelle, que « les circonstances de l’accident qu’il invoque étant au demeurant ni déterminées ni déterminables ». Elle en tire la conséquence normative immédiate : « il en résulte que le caractère professionnel de l’accident invoqué n’est pas démontré ». La solution s’inscrit ainsi dans une logique de prudence probatoire, qui fait primer la rigueur des pièces sur les seuls éléments déclaratifs et la simple présence d’un produit dangereux dans l’environnement de travail.

B — Charge de la preuve et portée de la solution
De ces constats découle le rejet de la faute inexcusable, la cour rappelant qu’« aucune faute inexcusable ne peut être imputée à l’employeur lorsque les circonstances de l’accident ou sa cause sont indéterminées ». La décision illustre une hiérarchie des questions : tant que le caractère professionnel demeure incertain, la discussion sur la conscience du danger et les mesures de prévention reste sans objet utile, faute de socle factuel déterminé.

La portée de l’arrêt est double. D’une part, il confirme que l’acceptation administrative d’un accident ne préjuge pas, entre salarié et employeur, de la preuve du caractère professionnel exigée pour la faute inexcusable. D’autre part, il met en garde contre les fragilités documentaires récurrentes: absence de déclaration, dates médicales fluctuantes, avis tardifs. La rigueur probatoire exigée incite à une traçabilité immédiate des faits, condition d’un débat contradictoire loyal et d’une indemnisation complémentaire conforme au droit positif.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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