Cour d’appel de Pau, le 4 septembre 2025, n°23/00933

Par un arrêt de la Cour d’appel de Pau, chambre sociale, 4 septembre 2025, la juridiction d’appel confirme le rejet d’une demande de reconnaissance de faute inexcusable. Le litige naît d’un accident du travail du 4 février 2018, pris en charge au titre de la législation professionnelle, suivi d’une inaptitude au poste le 1er juillet 2019, puis d’un licenciement pour impossibilité de reclassement le 3 février 2020. L’état de santé a été consolidé au 7 juin 2021 avec un taux d’incapacité permanente partielle de 10 %.

Après un échec de la conciliation, le salarié a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Bayonne d’une action en faute inexcusable. Par jugement du 3 mars 2023, cette juridiction l’a débouté de l’ensemble de ses demandes ainsi que le syndicat intervenant volontaire. L’appel a été régulièrement interjeté. Devant la juridiction d’appel, le salarié et le syndicat sollicitaient l’infirmation et une expertise, tandis que l’employeur demandait la confirmation et la caisse s’en remettait à justice.

La question posée tenait à la caractérisation d’une faute inexcusable lorsque les circonstances précises de l’accident ne sont pas établies et qu’aucune préconisation médicale n’existait au jour des faits. La Cour d’appel de Pau répond par la négative, rappelant que « Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Elle retient que les circonstances de l’accident ne sont « pas déterminées ni déterminables » et que les éléments médicaux postérieurs sont sans incidence sur l’appréciation au jour de l’accident. Le jugement est confirmé, les demandes accessoires sont réglées en conséquence.

I – La réaffirmation des critères et du fardeau probatoire de la faute inexcusable

A – Le standard jurisprudentiel rappelé avec précision

La cour rappelle d’abord le cadre légal issu des articles L. 452-1 du Code de la sécurité sociale et L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail. Elle en déduit la formule désormais classique, en des termes assurés et complets. « En application de ces articles, le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Cette définition, constante depuis la consécration jurisprudentielle du régime, situe la faute inexcusable au croisement de la conscience du risque et de la carence des mesures.

S’agissant de la charge de la preuve, l’arrêt retient sans détour que « Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il était exposé, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Cette affirmation consacre un régime probatoire exigeant, qui commande des éléments circonstanciés sur le risque, sur la connaissance imputable à l’employeur et sur l’insuffisance des mesures prises. Elle s’inscrit dans la ligne d’une jurisprudence attachée à une démonstration concrète et documentée.

B – L’indétermination des circonstances comme obstacle dirimant

La juridiction d’appel fonde ensuite sa solution sur l’absence de preuve des circonstances exactes du fait dommageable. Elle constate que « En l’espèce, la cour d’appel ne peut que relever que les circonstances de l’accident du travail du 4 février 2018 ne sont pas déterminées ni déterminables ». Ni déclaration d’accident ni certificat médical initial ne sont produits, la seule attestation tardive ne permettant pas de pallier ces lacunes probatoires.

Cette incertitude factuelle ferme l’examen au fond de la faute, la cour soulignant avec netteté que « Dans ces conditions, ni les circonstances ni la cause de l’accident du 4 février 2018 ne sont connues ». Le principe est réaffirmé avec rigueur : « En outre, aucune faute inexcusable ne peut être imputée à l’employeur lorsque les circonstances de l’accident ou sa cause sont indéterminées ». La démonstration de l’existence du risque, de sa prévisibilité et des mesures attendues ne peut, dans une telle configuration, qu’échouer.

II – Une application stricte au jour des faits et sa portée pour le contentieux des AT/MP

A – L’absence de manquement caractérisable à la date de l’accident

Au-delà de l’indétermination de l’événement, la cour veille au respect du principe d’appréciation in tempore. L’analyse se fixe au 4 février 2018, sans pouvoir tirer profit d’éléments ultérieurs. La solution est exprimée en ces termes : « de sorte qu’il convient de se situer à la date du 4 février 2018 pour apprécier l’existence d’un manquement de l’employeur ». Ce rappel exclut que des préconisations médicales postérieures, des restrictions ultérieures ou un mi-temps thérapeutique ultérieurement mis en place puissent rétroagir dans l’analyse du manquement supposé.

La juridiction ajoute ensuite, dans une formule claire, que « Par ailleurs, les fiches ultérieures à l’accident et établies entre le 5 mars 2018 et le 17 décembre 2019 et qui comprennent des aménagements ne peuvent donc être prises en compte pour apprécier l’existence d’un manquement de l’employeur à la date de l’accident ». Elle en déduit logiquement que « Dès lors, les affirmations du salarié sur le non-respect des préconisations, sur la manutention de charges lourdes ou du mi-temps thérapeutique sont sans incidence puisqu’à la date du 4 février 2018, aucune de ces préconisations n’existaient ». L’architecture du raisonnement demeure cohérente : à défaut de préconisations opposables au jour des faits, l’employeur ne peut être réputé défaillant pour leur non-respect.

B – Portée pratique : vigilance probatoire et délimitation du champ contentieux

La portée de l’arrêt se mesure d’abord sur le terrain probatoire. La solution encourage la conservation immédiate des pièces fondatrices du contentieux d’accident du travail, en particulier la déclaration et le certificat initial. Elle incite également à documenter sans délai la matérialité de l’événement et les tâches accomplies, afin d’objectiver le risque et de fonder la conscience imputable à l’employeur. Faute de telles pièces, la qualification de faute inexcusable décroît fortement en probabilité.

L’arrêt précise en outre le périmètre de l’argumentation recevable. Les éléments postérieurs à l’accident ne sauraient, à eux seuls, établir le manquement initial, même s’ils éclairent l’évolution de la situation médicale. La cour refuse d’ériger des rechutes, non caractérisées comme telles dans la procédure, en fondement autonome de la faute. Le rappel selon lequel « aucune faute inexcusable ne peut être imputée à l’employeur lorsque les circonstances de l’accident ou sa cause sont indéterminées » conforte une ligne de sécurité juridique, au prix d’une sévérité certaine pour les victimes ayant connu des difficultés de preuve initiales.

L’articulation avec les autres obligations employeur demeure, enfin, distincte. Les suites en matière d’inaptitude et de reclassement relèvent d’un contentieux spécifique, sans interagir mécaniquement avec la faute inexcusable, centrée sur la connaissance du risque au jour de l’événement. La confirmation du rejet des demandes du syndicat, faute d’atteinte démontrée à l’intérêt collectif, parachève une décision qui privilégie la rigueur de la preuve sur l’extension prétorienne du champ de la réparation complémentaire. Cette orientation, strictement arrimée aux textes, livre un signal clair aux acteurs du risque professionnel.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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