- Cliquez pour partager sur LinkedIn(ouvre dans une nouvelle fenêtre) LinkedIn
- Cliquez pour partager sur Facebook(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Facebook
- Cliquez pour partager sur WhatsApp(ouvre dans une nouvelle fenêtre) WhatsApp
- Cliquez pour partager sur Telegram(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Telegram
- Cliquez pour partager sur Threads(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Threads
- Cliquer pour partager sur X(ouvre dans une nouvelle fenêtre) X
- Cliquer pour imprimer(ouvre dans une nouvelle fenêtre) Imprimer
Le concubinage, situation de fait par excellence, suscite un contentieux patrimonial croissant lors de sa dissolution. L’arrêt rendu par la Cour d’appel de Pau le 8 juillet 2025 illustre les difficultés auxquelles se heurtent les anciens concubins qui entendent obtenir le règlement de créances nées pendant la vie commune.
En l’espèce, un couple avait vécu en concubinage de novembre 1998 à septembre 2018. Durant cette période, le concubin avait réalisé d’importants travaux sur l’immeuble appartenant à sa compagne. À l’occasion du partage de la communauté ayant existé entre celle-ci et son ex-époux, un acte notarié du 14 septembre 2010 avait mentionné au passif une créance forfaitaire de 22 000 euros au profit du concubin. Après la séparation intervenue en 2018, celui-ci avait mis en demeure son ex-compagne de lui régler cette somme, puis l’avait assignée en paiement le 14 mai 2019.
Le tribunal judiciaire de Dax, par jugement du 24 mars 2021, avait déclaré cette demande irrecevable comme prescrite et rejeté la demande reconventionnelle de l’ex-concubine fondée sur l’enrichissement sans cause. L’appelant soutenait à titre principal que les travaux réalisés caractérisaient une société créée de fait dont il convenait de procéder à la liquidation. À titre subsidiaire, il invoquait l’engagement souscrit par son ex-compagne dans l’acte de 2010. L’intimée concluait à la confirmation du jugement et sollicitait reconventionnellement une indemnité au titre de l’enrichissement injustifié pour avoir hébergé gratuitement son ancien compagnon.
La cour d’appel devait ainsi répondre à trois questions. L’existence d’une société créée de fait pouvait-elle être caractérisée entre les concubins ? L’action en paiement de la créance était-elle prescrite ? L’hébergement gratuit du concubin ouvrait-il droit à indemnisation sur le fondement de l’enrichissement sans cause ?
La Cour d’appel de Pau confirme intégralement le jugement entrepris. Elle rejette la demande fondée sur la société créée de fait, faute pour l’appelant de démontrer des apports et un affectio societatis distincts de la vie commune. Elle déclare l’action en paiement prescrite, le délai quinquennal ayant couru à compter de l’exigibilité de la créance en 2010. Elle refuse enfin toute indemnisation à l’intimée, celle-ci n’établissant pas un appauvrissement excédant sa contribution normale aux charges du ménage.
Cet arrêt mérite attention en ce qu’il rappelle les conditions strictes de reconnaissance d’une société créée de fait entre concubins (I), tout en précisant le régime de la prescription et de l’enrichissement injustifié applicable à leurs relations patrimoniales (II).
I. Le refus de qualification de société créée de fait entre concubins
La cour rejette fermement la prétention de l’appelant tendant à voir reconnaître l’existence d’une société créée de fait (A), en rappelant l’exigence d’éléments constitutifs distincts de la simple vie commune (B).
A. L’absence d’apports distincts de l’entraide conjugale
L’appelant prétendait avoir effectué un apport en industrie par son travail et un apport en numéraire par le règlement de factures de matériaux. La cour écarte successivement ces deux allégations.
Concernant l’apport en industrie, elle relève que le seul élément produit consistait en « un document manuscrit, rédigé de sa main aux termes duquel il liste les travaux effectués ainsi que le nombre d’heures passés à ceux-ci ». Elle juge que « ce seul élément ne permet pas d’établir l’existence d’un apport en industrie distinct d’une simple entraide inhérente à la vie du couple ». L’argumentation est classique. La jurisprudence exige en effet que l’apport présente une consistance propre, détachable de la contribution aux charges du ménage que tout concubin assume naturellement.
Concernant l’apport en numéraire, la cour observe que « la production de diverses factures pour des matériaux ne peut également constituer un apport en numéraire dès lors qu’il n’est pas démontré que ces factures, nonobstant le fait qu’elle soit au seul nom de l’appelant, aient bien été débitées du compte bancaire personnel de l’appelant ». Cette exigence probatoire rigoureuse s’explique par la confusion patrimoniale fréquente entre concubins, qui rend malaisée l’identification de la provenance réelle des fonds.
B. L’impossibilité de déduire l’affectio societatis de la vie commune
La cour rappelle le principe selon lequel « les trois éléments nécessaires à l’existence d’une société créée de fait sont cumulatifs et doivent être établis de façon distincte, sans qu’ils puissent se déduire les uns des autres ». Cette règle, constamment affirmée par la Cour de cassation, interdit de présumer l’affectio societatis du seul fait de la collaboration des concubins à un projet commun.
L’appelant soutenait que l’intention associative résultait de la collaboration effective des concubins « sur un pied d’égalité, dans la réalisation de l’ouvrage en vue de générer une plus-value ». La cour rejette cet argument en énonçant que « l’intention de s’associer en vue d’une entreprise commune ne peut se déduire de la participation financière à la réalisation d’un projet immobilier et est distincte de la mise en commun d’intérêts inhérents au concubinage ».
Elle ajoute que « le fait que monsieur [V] ait effectué des travaux dans le bien de son ex-compagne, ou encore ait agi au nom de cette dernière pour lesdits travaux, s’inscrit dans le cadre d’un projet de vie commune ». Le mandat donné par la concubine et le testament établi en faveur de son compagnon ne suffisent pas davantage à caractériser une volonté associative. Ces éléments traduisent simplement la confiance réciproque des concubins, non leur intention de constituer une société. La solution s’inscrit dans une jurisprudence restrictive qui protège le concubin propriétaire contre des revendications tardives fondées sur une qualification juridique artificielle.
II. Le régime des créances et de l’enrichissement entre concubins
La cour confirme la prescription de l’action en paiement en refusant d’étendre aux concubins le bénéfice de la suspension (A), puis rejette la demande reconventionnelle fondée sur l’enrichissement injustifié (B).
A. L’inapplicabilité aux concubins de la suspension de prescription entre époux
L’appelant invoquait l’impossibilité d’agir pendant la vie commune pour échapper à la prescription quinquennale. La cour rappelle les termes de l’article 2236 du code civil qui prévoit que « la prescription ne court pas ou est suspendue entre époux, ainsi qu’entre partenaires liés par un pacte civil de solidarité ». Elle en déduit que « les concubins ne bénéficient pas de la suspension ou de l’interruption de la prescription prévue pour les couples mariés ou pacsés ».
L’appelant tentait également de se prévaloir de l’article 2234 du code civil relatif à l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la force majeure. La cour écarte cet argument en jugeant que « la simple relation de concubinage n’est cependant pas suffisante à elle seule à établir l’impossibilité pour monsieur [V] de demander le paiement de sa créance ». Cette position se justifie par le caractère précaire du concubinage, union de fait que chaque partie peut rompre à tout moment. Le concubin créancier conserve donc la faculté juridique d’agir, même si des considérations d’opportunité peuvent l’en dissuader.
La créance ayant été constatée dans l’acte de partage du 14 septembre 2010, elle était exigible à cette date. L’assignation délivrée le 14 mai 2019, « soit plus de 8 ans après l’acte de partage », était donc tardive. La cour confirme l’irrecevabilité prononcée par le premier juge. Cette solution, conforme au texte, présente néanmoins une certaine sévérité. Elle conduit à pénaliser le concubin qui, par délicatesse ou souci de préserver la relation, s’abstient de réclamer son dû pendant la vie commune.
B. Le rejet de l’enrichissement injustifié faute d’appauvrissement démontré
L’intimée sollicitait une indemnité substantielle au motif qu’elle avait hébergé gratuitement son ex-compagnon pendant près de vingt ans. La cour rappelle les conditions de l’action de in rem verso telles qu’elles résultent des articles 1303 et suivants du code civil. Elle énonce que « l’enrichissement d’un des concubins n’est injustifié que s’il ne procède ni de l’accomplissement d’une obligation par l’appauvri ni de son intention libérale ».
La cour rejette la demande en relevant d’abord que « lorsque l’immeuble litigieux a constitué le logement de la famille, il ne peut être considéré que madame [M] s’est appauvrie, à défaut pour elle de rapporter la preuve de l’appauvrissement qui aurait résulté de l’hébergement de son concubin ». L’hébergement du compagnon dans le logement commun ne constitue pas en soi un appauvrissement indemnisable.
Elle observe ensuite qu’il « n’est pas établi par l’intimée que l’hébergement de son ex-compagnon aurait constitué un avantage excessif et ainsi aurait excédé sa contribution normale aux charges du ménage ». Cette formulation reprend le critère dégagé par la jurisprudence. Seule une sur-contribution aux charges du ménage ouvre droit à indemnisation. Or l’intimée ne produisait aucun élément sur les ressources respectives des parties et ne contestait pas utilement que son ex-compagnon avait réalisé des travaux sur son bien. La symétrie des rejets prononcés à l’encontre des deux parties traduit l’équilibre recherché par la cour, qui refuse de faire prévaloir les prétentions de l’un sur celles de l’autre en l’absence de preuve suffisante.