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Un établissement public de droit étranger ayant déclaré une créance de plus de seize millions d’euros au passif d’une procédure collective ouverte en France se voit opposer le rejet de celle-ci pour insuffisance de justification. Tel est l’enseignement de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Poitiers le 1er juillet 2025.
Un contrat de prestation de services portant sur la fourniture d’un système de gestion intégré des communications a été conclu le 13 avril 2018 entre un établissement public écossais et une société française. Par jugement du 8 novembre 2022, le tribunal de commerce de La Rochelle a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de cette dernière. Le 6 mars 2023, l’établissement étranger a déclaré une créance de 16 120 208,77 euros au passif, invoquant des préjudices subis en raison de manquements contractuels survenus lors de l’exécution du contrat. Le mandataire judiciaire a contesté cette déclaration. Par ordonnance du 5 avril 2024, le juge-commissaire du tribunal de commerce de La Rochelle a rejeté la créance.
L’établissement public a relevé appel de cette décision en soutenant, d’une part, que l’ordonnance était entachée de nullité pour défaut de motivation et, d’autre part, que sa créance devait être admise au passif. Il reprochait au premier juge d’avoir totalement ignoré ses prétentions et moyens. La société débitrice concluait à la confirmation de l’ordonnance et sollicitait des dommages-intérêts pour procédure abusive.
La cour d’appel devait répondre à deux questions. La première était de savoir si l’ordonnance du juge-commissaire satisfaisait aux exigences de motivation prévues par les articles 455 et 458 du code de procédure civile. La seconde était de déterminer si le créancier avait suffisamment justifié sa déclaration de créance au regard de l’article R. 622-23 du code de commerce.
La Cour d’appel de Poitiers rejette la demande d’annulation et confirme l’ordonnance en toutes ses dispositions. Elle considère que le premier juge a suffisamment motivé sa décision et que le créancier n’a produit aucun élément de nature à établir l’apparence d’un manquement contractuel imputable à la débitrice.
Cette décision mérite examen tant au regard de l’appréciation des exigences de motivation en procédure orale (I) que de la charge probatoire pesant sur le créancier déclarant une créance indemnitaire (II).
I. L’appréciation souple des exigences de motivation en procédure orale
La cour rappelle le cadre juridique applicable à la motivation des décisions rendues en procédure orale (A) avant de valider la méthode adoptée par le juge-commissaire (B).
A. Le rappel du régime de la motivation en procédure orale
L’appelant invoquait la nullité de l’ordonnance au motif que le juge-commissaire avait « totalement ignoré ses prétentions, moyens et pièces ». Il estimait que la décision ne contenait « aucun élément de motivation, de laquelle toute discussion juridique est absente ».
La cour rappelle que « l’obligation de visa des conclusions des parties n’est pas applicable à une procédure orale, dans lesquelles les écrits auxquels se réfère une partie, et que mentionne le juge, ont pour date celle de l’audience ». Elle s’appuie sur une jurisprudence établie de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 8 juillet 2004. Cette solution se justifie par la nature même de la procédure orale où les prétentions sont réputées formulées lors des débats.
La cour prend soin de distinguer l’obligation de visa des conclusions, inapplicable en procédure orale, de l’obligation d’exposition des prétentions et moyens des parties, qui « demeure cependant une exigence applicable à la procédure orale ». Cette distinction est fondamentale. Elle préserve l’effectivité du droit au procès équitable tout en tenant compte des spécificités procédurales.
B. La validation d’une motivation par appropriation
La cour relève que l’ordonnance « a exposé que le Sfrs avait demandé l’admission au passif de sa créance de 16 120 208,77 euros correspondant à des préjudices subis en raison de manquements contractuels survenus lors de l’exécution du contrat de prestation de services ». Elle considère que le premier juge a ainsi « exposé, succinctement, les prétentions et un moyen de la demanderesse à l’admission de créance ».
La cour valide ensuite la technique dite de la motivation par appropriation. Elle constate qu’« après avoir exposé les moyens de défense de la débitrice et son mandataire judiciaire, le premier juge les a fait siens ». Elle en déduit qu’« il a ainsi suffisamment motivé sa décision ». Cette solution s’inscrit dans une jurisprudence constante selon laquelle « il n’est pas interdit au juge de motiver sa décision en reprenant à son compte une partie des arguments avancés par l’une des parties ».
La cour ajoute que « la circonstance que le premier juge n’y ait pas fait référence dans sa décision ne constitue qu’un défaut de réponse à conclusions, insusceptible d’emporter l’annulation de l’ordonnance déférée ». Cette distinction entre défaut de motivation et défaut de réponse à conclusions est classique. Le premier est sanctionné par la nullité, le second par la seule infirmation.
Cette appréciation souple de la motivation préserve l’efficacité du contentieux de la vérification des créances. Elle évite que des annulations systématiques ne paralysent les procédures collectives.
II. L’exigence de justification du fait générateur de la créance indemnitaire
La cour définit l’étendue de la charge probatoire pesant sur le déclarant (A) avant de tirer les conséquences de la carence probatoire constatée (B).
A. L’étendue de l’obligation de justification du créancier déclarant
La cour rappelle les dispositions de l’article R. 622-23 du code de commerce qui impose au déclarant de produire « les éléments de nature à prouver l’existence et le montant de la créance ». Elle cite une jurisprudence de la chambre commerciale du 2 juin 2015 selon laquelle « lorsque le débiteur ou le liquidateur conteste la déclaration de créance en invoquant l’absence ou l’insuffisance des justifications produites à l’appui de celle-ci, il appartient au créancier de verser aux débats, le cas échéant, des pièces complémentaires, sans que la cour d’appel soit tenue de l’y inviter ».
La cour constate que le créancier « a produit un nombre très conséquent d’éléments de nature à justifier son préjudice ». Il avait notamment versé aux débats « un tableau de synthèse détaillant ses divers postes de préjudice contractuels, une note explicative de ses calculs, une clé Usb contenant le détail des calculs ainsi que les pièces justificatives ». Le préjudice allégué se décomposait en quatre postes distincts totalisant 14 033 436,73 livres sterling.
La cour relève cependant que le créancier « n’en a produit strictement aucun de nature à établir l’apparence d’un quelconque manquement contractuel imputable à la société Systel ». Cette formulation est significative. Elle exige du créancier qu’il établisse non seulement le quantum de son préjudice mais également le fait générateur de sa créance.
B. Les conséquences de la carence probatoire
La cour tire les conséquences de cette carence en retenant « l’insuffisance des justificatifs produits à l’appui de sa déclaration de créance ». Elle précise qu’« il appartenait au déclarant de verser aux débats des pièces complémentaires pertinentes de sa propre initiative, sans que la cour soit tenue de l’y inviter avant de rejeter sa déclaration de créance ».
Cette solution peut sembler sévère au regard du montant considérable de la créance déclarée et du volume de pièces produites. Elle s’explique cependant par la nature indemnitaire de la créance. Une telle créance suppose la réunion de trois conditions cumulatives : le fait générateur, le dommage et le lien de causalité. Le créancier avait abondamment justifié le dommage allégué mais nullement le fait générateur de sa responsabilité contractuelle.
La cour rejette par ailleurs la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la débitrice. Elle considère que « le seul défaut de justification du manquement contractuel imputée à la société débitrice en procédure collective ne caractérise pas, à elle seule, les fautes et intention » nécessaires pour caractériser un abus du droit d’ester en justice. Cette solution préserve le droit d’accès au juge du créancier dont la déclaration, même insuffisamment justifiée, ne révèle pas nécessairement une intention de nuire.
Cette décision rappelle que la déclaration d’une créance indemnitaire au passif d’une procédure collective obéit à des exigences probatoires spécifiques. Le créancier ne saurait se contenter de justifier son préjudice sans établir, même sommairement, le fondement juridique de sa prétention.