Cour d’appel de Poitiers, le 1 juillet 2025, n°24/01628

L’article 386 du code de procédure civile pose un principe strict : l’instance est périmée lorsqu’aucune des parties n’accomplit de diligence pendant deux ans. Cette règle, garante de la bonne administration de la justice, sanctionne l’inertie procédurale. La cour d’appel de Poitiers, par un arrêt du 1er juillet 2025, a été amenée à préciser les contours de la notion de diligence interruptive de péremption dans le contexte particulier d’une radiation pour défaut de régularisation après décès d’une partie.

Un propriétaire foncier avait consenti plusieurs baux ruraux à une preneuse entre 2006 et 2007. Informé d’un changement d’exploitant au profit d’un tiers sans son autorisation, le bailleur a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux aux fins de résiliation des baux. Par jugement du 27 juin 2019, le tribunal a prononcé la résiliation, condamné solidairement la preneuse et le cessionnaire au paiement des fermages impayés et d’une indemnité d’occupation. Le cessionnaire a interjeté appel de cette décision. La preneuse est décédée le 16 avril 2020. Invité à régulariser la procédure en mettant en cause les ayants droit de la défunte, l’appelant n’y a pas procédé. La cour d’appel a prononcé la radiation de l’affaire le 30 juin 2022. Le 1er juillet 2024, l’appelant a fait signifier des conclusions de réinscription au rôle, indiquant ne pas avoir été en mesure de régulariser la procédure auprès des héritiers. L’intimé a opposé la péremption de l’instance.

La question posée à la cour était de déterminer si des conclusions de reprise d’instance, signifiées dans le délai de deux ans suivant la radiation mais ne régularisant pas la procédure au regard du décès d’une partie, constituent une diligence interruptive du délai de péremption.

La cour d’appel de Poitiers constate la péremption de l’instance. Elle relève que si les conclusions ont été signifiées avant l’expiration du délai de deux ans, elles ne remplissent pas les conditions d’une diligence interruptive telles que définies par la Cour de cassation dans ses arrêts du 27 mars 2025. La cour retient que ces conclusions, qui se limitent à alléguer l’impossibilité de régulariser la procédure, ne sont pas utiles dans le cours de l’instance et ne manifestent pas la volonté de parvenir à la résolution du litige.

Cet arrêt illustre la rigueur avec laquelle les juridictions apprécient désormais les conditions de la diligence interruptive de péremption (I), tout en soulevant la question de l’articulation entre l’exigence de régularisation et le mécanisme de la péremption (II).

I. La consécration d’une conception exigeante de la diligence interruptive

La cour d’appel de Poitiers fait une application rigoureuse des critères dégagés par la Cour de cassation pour caractériser une diligence interruptive de péremption (A), ce qui conduit à écarter les actes de procédure formels dépourvus d’effet utile (B).

A. L’application des trois critères cumulatifs posés par la Cour de cassation

La cour d’appel se réfère expressément à deux arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 27 mars 2025. Ces décisions énoncent que pour interrompre le délai de péremption, une diligence doit satisfaire trois conditions cumulatives : « elle doit émaner d’une partie », « elle doit être utile dans le cours de l’instance » et « elle doit manifester la volonté de parvenir à la résolution du litige ».

La première condition ne pose pas difficulté en l’espèce. Les conclusions de reprise d’instance émanaient bien de l’appelant, partie à l’instance. La cour le reconnaît explicitement. En revanche, l’examen des deux autres critères conduit à une appréciation plus sévère. La cour relève que les conclusions litigieuses « se limitent à l’allégation » selon laquelle l’appelant « n’aurait pas été en mesure de régulariser la procédure auprès des héritiers ». Cette simple allégation ne satisfait ni au critère d’utilité ni à celui de la manifestation d’une volonté de résoudre le litige.

L’arrêt s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel qui refuse de considérer tout acte de procédure comme interruptif du seul fait de son existence matérielle. La diligence doit avoir une portée concrète sur le déroulement de l’instance.

B. L’exclusion des actes de procédure dépourvus d’effet utile

La cour d’appel de Poitiers opère une distinction entre l’acte de procédure formel et la diligence véritablement utile. Les conclusions de reprise d’instance ne contenaient aucune mise en cause des ayants droit de la défunte. Elles se bornaient à constater une situation d’impossibilité alléguée sans y remédier. La cour en déduit que cette diligence « n’est pas utile dans le cours de l’instance ».

Cette appréciation repose sur une analyse fonctionnelle de la notion de diligence. L’utilité s’apprécie au regard de la capacité de l’acte à faire progresser l’instance vers son dénouement. Or, une instance interrompue par le décès d’une partie ne peut reprendre utilement que si les héritiers sont mis en cause. Des conclusions qui n’opèrent pas cette régularisation sont structurellement inaptes à faire avancer le procès.

La cour ajoute que les conclusions litigieuses ne manifestent pas « la volonté de parvenir à la résolution du litige ». Ce critère subjectif s’apprécie à travers des éléments objectifs. L’absence de toute démarche tendant à identifier ou à attraire les héritiers, malgré un délai de plus de deux ans depuis le décès, révèle une passivité incompatible avec la volonté sincère de voir l’affaire jugée.

II. Les enjeux de l’articulation entre régularisation et péremption

La décision commentée met en lumière la charge pesant sur l’appelant confronté au décès d’une partie intimée (A), tout en posant la question des moyens dont dispose le plaideur pour satisfaire à son obligation de diligence (B).

A. La charge procédurale incombant à l’appelant après le décès d’un intimé

Lorsqu’une partie décède en cours d’instance d’appel, l’article 370 du code de procédure civile prévoit l’interruption de l’instance. La reprise suppose la mise en cause des héritiers ou de toute personne ayant qualité pour représenter la succession. Cette obligation pèse sur la partie qui a intérêt à la poursuite de l’instance.

En l’espèce, l’appelant était le principal intéressé à la reprise de l’instance puisqu’il contestait le jugement de première instance. Il lui appartenait donc de diligenter les recherches nécessaires à l’identification des héritiers de la preneuse décédée. La cour relève qu’il disposait de plus de deux ans pour ce faire, entre le décès survenu le 16 avril 2020 et la radiation prononcée le 30 juin 2022, puis de deux années supplémentaires jusqu’à l’expiration du délai de péremption.

L’arrêt ne retient pas l’argument tiré de l’impossibilité de régulariser. La simple allégation de cette impossibilité, non étayée par la démonstration de démarches concrètes, ne saurait exonérer le plaideur de sa charge procédurale. La péremption sanctionne précisément l’absence de diligence effective, quelle qu’en soit la cause alléguée.

B. La question des moyens de régularisation à disposition du plaideur

L’arrêt soulève implicitement la question des voies offertes au plaideur pour identifier les héritiers d’une partie décédée. Le droit positif met à sa disposition plusieurs outils. L’interrogation du fichier central des dispositions de dernières volontés permet de connaître l’existence d’un testament. La consultation du notaire chargé de la succession, lorsqu’il est identifiable, peut fournir des informations sur les héritiers. L’assignation aux fins de reprise d’instance peut être délivrée à personne indéterminée selon les formes de l’article 659 du code de procédure civile.

L’appelant n’invoque aucune de ces démarches dans ses conclusions de reprise. Cette carence explique la sévérité de l’appréciation portée par la cour. La jurisprudence n’exige pas que le plaideur parvienne nécessairement à régulariser la procédure, mais elle attend qu’il justifie avoir accompli les diligences raisonnablement envisageables.

La solution retenue présente une cohérence avec l’objectif poursuivi par le mécanisme de la péremption. Il s’agit d’éviter que des instances demeurent indéfiniment pendantes devant les juridictions sans perspective de dénouement. Admettre qu’une simple déclaration d’impossibilité suffise à interrompre le délai de péremption viderait cette institution de sa substance. La cour d’appel de Poitiers rappelle ainsi que la lutte contre l’encombrement des rôles suppose une appréciation rigoureuse des conditions d’interruption du délai biennal.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

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