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La Cour d’appel de Poitiers, chambre sociale, par un arrêt du 10 juillet 2025, tranche une question relative à l’articulation entre une transaction conclue en 2007 et un accord collectif postérieur dénonçant un usage d’entreprise. Un retraité d’un établissement portuaire avait obtenu par transaction la prise en charge à hauteur de cinquante pour cent de ses cotisations de mutuelle santé, usage précédemment appliqué par la chambre de commerce et d’industrie. En 2015, un accord d’entreprise a dénoncé cet usage pour l’ensemble des retraités bénéficiaires, avec effet au 1er janvier 2019.
Les faits remontent à 2006, date à laquelle un établissement public a succédé à la chambre de commerce dans l’administration d’un port de commerce. Un salarié retraité a saisi le conseil de prud’hommes pour obtenir l’application d’un usage de participation patronale à la mutuelle santé. Le 21 juin 2007, les parties ont conclu une transaction par laquelle l’employeur s’engageait à prendre en charge cinquante pour cent des cotisations, tout en précisant que « cette transaction n’emporte pas novation des usages ou accords, ces derniers pouvant être dénoncés conformément à la loi et à la jurisprudence ». En 2015, un accord collectif a dénoncé cet usage au profit des retraités non cadres, avec un délai de préavis de trois ans. L’intéressé a été informé de cette dénonciation en juillet 2016.
Le conseil de prud’hommes de La Rochelle, par jugement du 25 janvier 2021, a constaté l’inexécution fautive de la transaction et condamné l’établissement à maintenir la prise en charge viagère des cotisations. Il a également alloué des dommages-intérêts au retraité et au syndicat intervenant. L’établissement portuaire a interjeté appel après l’irrecevabilité de son pourvoi en cassation. Il soutenait que l’accord de 2015 s’appliquait à tous les retraités bénéficiaires de l’usage, y compris ceux ayant conclu une transaction, puisque celle-ci réservait expressément la possibilité de dénonciation.
La question posée à la cour était de déterminer si la transaction de 2007 avait créé un engagement contractuel individuel insusceptible de remise en cause par la dénonciation collective de l’usage, ou si le retraité demeurait soumis au régime de l’usage tel que susceptible d’être dénoncé.
La cour infirme le jugement et déboute le retraité de l’ensemble de ses demandes. Elle retient que la transaction n’a pas substitué un engagement contractuel autonome à l’usage d’entreprise, mais s’est bornée à constater l’application de cet usage au bénéfice du retraité. La stipulation selon laquelle les usages peuvent être dénoncés conformément à la loi et à la jurisprudence exclut l’existence d’un droit acquis intangible.
L’arrêt invite à examiner la nature juridique de l’engagement transactionnel en matière d’avantages sociaux (I), avant d’analyser les conditions de la dénonciation régulière d’un usage (II).
I. La qualification de l’engagement transactionnel relatif à un usage d’entreprise
La cour procède à une analyse rigoureuse de l’objet de la transaction (A), pour en déduire l’absence d’engagement contractuel autonome (B).
A. La délimitation de l’objet transactionnel au différend initial
La cour rappelle les termes des articles 2048 et 2049 du code civil selon lesquels « les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu ». Elle applique cette règle d’interprétation stricte au litige.
La transaction de 2007 avait pour objet de mettre fin à une contestation portant sur l’application de l’usage par le nouvel établissement gestionnaire du port. Le retraité revendiquait la continuation d’un avantage dont il bénéficiait sous l’ancienne administration. L’employeur a accepté d’appliquer l’usage et de verser un rappel de cotisations pour l’année 2006.
La cour observe que « les parties ont clairement indiqué que la transaction n’emportait pas novation des usages et accords, ceux-ci pouvant être dénoncés par les parties conformément à la loi et à la jurisprudence ». Cette clause démontre que les parties n’entendaient pas transformer l’usage en engagement contractuel pérenne.
B. Le refus de reconnaître un engagement contractuel individuel
La cour rejette l’interprétation extensive retenue par les premiers juges. Ceux-ci avaient considéré que l’absence de mention expresse des signataires de transactions dans l’accord de 2015 excluait leur application à ces derniers. La cour d’appel censure ce raisonnement.
Elle juge « qu’il ne peut être retenu l’existence d’un engagement contractuel individuel liant le [port] à [l’intéressé], dont celui-là, ou son successeur, ne pourrait se désengager unilatéralement ». La transaction a simplement acté l’application de l’usage au profit du retraité sans créer de droit distinct de cet usage.
Cette analyse s’inscrit dans la jurisprudence classique distinguant les avantages individuels acquis des droits résultant d’un statut collectif. Le retraité bénéficiait de l’usage en tant que membre de la catégorie des anciens salariés non cadres, non en vertu d’un contrat personnel.
II. La régularité de la dénonciation collective de l’usage
L’accord de 2015 procède à une dénonciation de l’usage selon les formes requises (A), dont les effets s’étendent à l’ensemble des bénéficiaires sans distinction (B).
A. Le respect des conditions de validité de la dénonciation
La dénonciation d’un usage d’entreprise obéit à des conditions jurisprudentielles établies. L’employeur doit informer les représentants du personnel, notifier individuellement les salariés concernés et respecter un délai de préavis suffisant.
En l’espèce, l’accord du 24 avril 2015 a été signé avec les organisations syndicales représentatives, qui ont elles-mêmes accepté la dénonciation de l’usage au profit des retraités. Le syndicat CGT a adhéré à cet accord par avenant du 10 février 2016. La dénonciation résulte donc d’une décision collective des partenaires sociaux.
Le retraité a été informé individuellement par lettre du 11 juillet 2016. La cour relève que « la dénonciation prendrait effet à compter du 1er janvier 2019, ce qui constitue un délai raisonnable de préavis ». Un délai de plus de deux ans et demi entre l’information et la cessation de l’avantage satisfait aux exigences jurisprudentielles.
B. L’application uniforme aux bénéficiaires de l’usage
La cour rejette l’argument selon lequel la transaction de 2007 aurait créé un régime particulier soustrayant son signataire à la dénonciation collective. L’accord de 2015 vise expressément « les retraités non cadres déjà bénéficiaires de cet usage », catégorie à laquelle appartient le demandeur.
La cour juge que « l’accord d’entreprise du 24 avril 2015, en ce qu’il dénonce l’usage de prise en charge partielle des cotisations mutuelle santé au profit des retraités déjà bénéficiaires, trouve à s’appliquer à [l’intéressé], auquel la transaction de 2007 n’a conféré sur ce point aucun statut particulier ».
Cette solution préserve l’égalité de traitement entre les retraités. Admettre qu’une transaction puisse soustraire son signataire à l’évolution du statut collectif créerait une discrimination injustifiée entre bénéficiaires d’un même usage selon qu’ils ont ou non engagé une procédure contentieuse.
L’arrêt rappelle également que l’accord de 2015 s’inscrit dans le contexte de la généralisation de la complémentaire santé obligatoire. Les partenaires sociaux ont pris acte « des dernières améliorations législatives eu égard notamment à la portabilité au profit des retraités qui en font la demande ». La dénonciation de l’ancien usage accompagne la mise en place d’un nouveau régime collectif conforme à la réglementation.
La cour infirme donc intégralement le jugement et déboute le retraité ainsi que le syndicat de leurs demandes. Elle condamne les intimés aux dépens mais refuse toute condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour des motifs d’équité.